Histoire
Le 30 janvier 1933, il y a quatre-vingt-dix ans cette semaine, Hitler était nommé chancelier du Reich. Face à cet événement l’Europe entière attendait qu’une personne prenne la parole : Karl Kraus, juif viennois, pamphlétaire radical et polémiste universellement redouté qui avait fondé en 1899 Le Flambeau, journal dont il fut le rédacteur unique à partir de 1911 et aux flèches duquel peu de ses contemporains ont échappé. Or, Karl Kraus refuse de parler. Au lieu de commenter « l’événement » il s’acharne à faire comprendre à tous ceux qui veulent « en parler » pourquoi il n’y a plus rien à dire. Julia Christ revient sur le silence de celui qui jusque-là avait toujours trouvé quelque chose à dire et rend compte de sa signification pour l’histoire de l’Europe.
200.000 Juifs soviétiques se sont installés en Allemagne depuis les années 1990. S’ils ont migré dans le pays des assassins, c’est en partie parce que l’Allemagne a mené une politique d’accueil très positive à leur égard, mais aussi parce que le judaïsme soviétique n’avait pas les mêmes représentations de ce pays que les Juifs de l’Europe de l’Ouest. Lisa Vapné nous raconte l’histoire de l’intégration complexe de ceux qui étaient d’abord désirés, puis ont déçu, et enfin jusqu’aujourd’hui se battent en grande partie pour être reconnus par leur propre communauté.
Vilna, Wilno, Vilnus. Yerushalayim de Lita. Ville-songe, inondée par la lumière de la Grande Synagogue. Ville rêvée, aux matins parfumés de brioche à la cannelle. Ville-chimère, aux forêts empêtrées d’effroi. Dans un texte inédit en français, Gregory Kanovitch – l’écrivain lituanien de 93 ans qui vit aujourd’hui en Israël – évoque sa Jérusalem de Lituanie, ville devenue fantôme.
Beaucoup a été écrit sur les musées et les mémoriaux de la Shoah. Ljiljana Radonić s’intéresse dans ce texte à la manière dont la Shoah est exposée dans les musées nationaux (en particulier en Europe centrale et orientale) pourtant consacrés à d’autres événements tragiques. Mais pourquoi ? Il ne s’agit pas tant de réparer une omission que d’évoquer la souffrance juive comme un modèle. Dans bien des cas, le message à comprendre : « Nos » victimes ont souffert « comme les Juifs ».
Les Juifs turcs étaient 100.000 au début du XXe siècle, ils ne sont plus que 10.000 aujourd’hui. L’une des dernières communautés juives du monde musulman, confrontée à de nouveaux défis, paraît en sursis aujourd’hui. François Azar revient sur l’histoire d’une minorité qui a traditionnellement cultivée la kayadez (la discrétion dans l’espace public) mais qui entend se rendre davantage visible dans la société turque.
L’examen autocritique de l’ère nazie fait partie de la culture politique de l’Allemagne d’aujourd’hui. C’est cependant sur l’histoire d’une autre « culture » que l’avocat Zachary Simon revient dans son récit dont nous publions cette semaine la seconde partie : une longue culture judiciaire de l’acquittement des criminels nazis, laquelle aura commencé à se fissurer au moment les criminels poursuivis et jugés sont devenu des paisibles nonagénaires…
Pour faire face à sa responsabilité dans la Shoah, l’Allemagne a construit une « culture du souvenir » largement reconnue, qui place son passé au premier plan. Pourtant à y regarder de plus près, des fissures apparaissent dans ce tableau. Car pour l’avocat et écrivain Zachary Simon, derrière l’attachement proclamé du pays à la mémoire de la Shoah, une timidité pour juger les criminels, voir un mépris pour la justice, est manifeste.
Vienne, 1900 : l’Empire austro-hongrois décline. Son voisin allemand lui fait de l’ombre et la mobilité sociale des décennies précédentes s’enraye. En 1984, dans un ouvrage devenu un classique, Vienne 1900, le sociologue Michael Pollak analysait les effets produits par cette crise politique et sociale à travers la notion d’identité blessée. Bruno Karsenti revient sur ce livre cette semaine dans K. À son tour, il précise les causes de cette crise et sa conséquence principale : le développement d’un antisémitisme inédit. Plus d’un siècle plus tard, la résurgence de l’antisémitisme signale une nouvelle crise des sociétés libérales européennes. Une crise dont toutes les voies de sortie semblent cette fois être bouchées.
Il y exactement soixante dix ans, en septembre 1952, fut signé l’Accord du Luxembourg. Le gouvernement de la RFA accédait aux demandes du jeune État israélien et s’engageait à verser une indemnisation conséquente. Traditionnellement considéré comme une modalité de réparation après la Shoah, l’accord de Luxembourg est en réalité une transaction bien plus subtile qui ne fut pas considérée comme une réparation, ni comme une réconciliation. L’historien Constantin Goschler revient sur les tenants et les aboutissants de cet accord et sur le contexte géopolitique allemand et mondial qui l’éclaire.
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