Histoire

« Arrivé en France à l’âge d’un an, j’ai attendu 37 ans pour devenir français. De mon Allemagne natale je ne connaissais rien, ma germanité était toute virtuelle, réduite à une langue et un passeport. La procédure fut expéditive et je reçus mon acte de naissance français six mois seulement après avoir entamé ma démarche de naturalisation. Trois jours plus tard, le binational que je venais de devenir était à nouveau saisi de bougeotte identitaire et je me mis en contact avec l’ambassade d’Autriche à Paris. Depuis 2019, l’Autriche, comme l’Allemagne, permet aux descendants des victimes du nazisme de récupérer la nationalité dont leur ancêtre a été déchu. Ce qui est mon cas. »

Les éditions de l’Antilope publient demain le premier livre de Joseph Voignac. Ce jeune historien a enquêté sur une institution atypique : l’école Maïmonide, le premier établissement secondaire juif de France. De sa fondation dans l’entre-deux-guerres jusqu’au début du XXIe, l’auteur dresse le portrait de cette grande institution « juive et républicaine ». Mais à travers l’histoire de cette école, c’est aussi le destin des Juifs en France depuis un siècle qui s’expose : du « réveil juif » de l’entre-deux-guerres, à l’épreuve de la Shoah, de l’accueil des populations juives originaires d’Afrique du Nord à la guerre des Six jours, du renouveau de l’antisémitisme depuis trente ans en passant par l’attraction du sionisme puis de l’État d’Israël. K. propose en exclusivité quelques extraits de ce livre passionnant.

Les Judéo-Espagnols « d’Orient » – ceux de l’ex-empire ottoman (par opposition aux Judéo-Espagnols « d’Occident » qui se regroupèrent surtout au Maroc) – « se connaissent et reconnaissent les uns les autres, mais personne ne les connaît », comme nous l’explique Marie-Christine Bornes Varol, qui rappelle qu’en Turquie aujourd’hui, les Juifs ont pour devise « pour vivre heureux, vivons cachés ». Retour sur une histoire complexe, qui s’est déroulée sur un espace géographique et à travers un écheveau de langue tout aussi complexes. Une histoire de la survivance d’une micro-société éparse, dont la Turquie demeure un centre.

C’est le 6 et 7 avril 1903 qu’eut lieu le premier pogrom de Kichinev qui, parmi des dizaines et de dizaines de pogroms ayant été commis à l’est de l’Europe entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, conserve une valeur particulière. Son retentissement fut immédiat et mondial, et, encore aujourd’hui, il vaut comme un symbole. En cette date d’anniversaire du massacre, nous publions, grâce à la traduction inédite d’Elena Guritanu, les extraits choisis du récit capital – Jours d’affliction, qui mériterait d’être publié en France dans son intégralité – de Moisei Borisovitch Slutskii, témoin direct et, en tant que médecin et directeur de l’hôpital de Kichinev, acteur de l’événement.

Jakub Nowakowski, historien et directeur du musée juif de Galicie, dresse un large tableau du rapport de la Pologne aux Juifs depuis la Shoah. Après une longue période d’appropriation de l’espace mais aussi de l’histoire et de la mémoire juive polonaise sur laquelle il revient en détail, il note un intérêt nouveau depuis les années 80. Pour autant, un nouvel enjeu se fait jour à travers les tentatives actuelles d’instrumentalisation de cette histoire au profit d’un récit glorificateur porté par le nationalisme polonais et relayé jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir.

Simon Doubnov (1860-1941) fut cet historien qui fit de l’histoire des Juifs une histoire des mutations de la diaspora, dispersée et organisée autour de divers centres. La nation juive est polycentrique et, au début du XXe siècle, il en allait pour lui de la nécessité de saisir la carte nouvelle de ces centres à l’époque moderne, d’en déchiffrer les tensions et les équilibres, sur fond de persécution, mais aussi de vitalité manifeste du judaïsme à l’Est. Mais, après la Shoah et après la création de l’État de l’Israël, comment saisir aujourd’hui le collectif dispersé des Juifs modernes ?

À l’instar de la majeure partie de la population argentine, constituée par vagues de migration successives, venues en particulier d’Espagne et d’Italie, la communauté juive argentine est composite. Ses membres sont arrivés de Pologne, d’Ukraine, de Russie, d’Allemagne et de France, ainsi que de l’Empire ottoman et du Maroc espagnol. Tous ont traversé l’océan. En s’appuyant entre autres sur l’examen de leur culture, de leur cuisine, la chercheuse Jacqueline Laznow explore dans cet article le processus d’intégration des immigrés Juifs dans le Nouveau Monde — et cela en portant un regard spécifique sur la place des femmes.

Avishag Zafrani nous propose une réflexion sur l’ « antisémitisme métaphysique ». L’expression est de Bernard Lazare pour désigner l’antisémitisme sophistiqué des intellectuels et philosophes, puis elle est reprise par Gershom Scholem et Hans Jonas pour circonscrire l’antisémitisme de Heidegger. Cet antisémitisme a ceci de spécifique qu’il désigne, directement ou indirectement, les juifs comme les responsables d’un processus général d’aliénation au monde.

Enfant, Alain de Tolédo croyait qu’ « Espagnol » voulait dire « Juif ». Et puis il s’est aperçu que l’espagnol qu’il parlait chez lui n’était pas le même que celui qu’on lui enseignait à l’école… Dans son témoignage pour K., à travers l’évocation du destin de sa famille et de la prise de conscience progressive de l’histoire à laquelle il appartient, il raconte ce qui fait la singularité d’une langue et du groupe de ceux qui l’ont portée jusqu’à aujourd’hui.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.