La guerre s’achève donc, enfin. C’est avec un immense soulagement et une joie sans mélange que nous avons accueilli et célébré les nouvelles de la semaine qui vient de s’écouler. La séquence mortifère ouverte il y a deux ans, et s’éternisant depuis, vient de se clore, et cet achèvement a, par bien des aspects, le sens d’une libération. Libération des captifs survivants du 7 octobre, et libération de la population de Gaza de la violence des bombardements israéliens. L’obtention de ce résultat, c’était l’urgence même, trop longtemps différée et reléguant tout le reste à l’arrière-plan. Cela atteint, de nouveaux horizons politiques s’ouvrent au Moyen-Orient, à la fois pour les Palestiniens et pour les relations d’Israël avec ses voisins. La prudence est évidemment de mise, mais le simple germe du possible est déjà motif à se réjouir.
Pour l’État d’Israël, cette libération est une opportunité. C’est l’occasion, en fait, de tracer le chemin que cet État entendra suivre à l’avenir, de revenir sur le sens de la politique qui est la sienne, et d’interroger là où elle s’est avérée fautive. Car, ce que la séquence a fait éclater au grand jour – mais qui était déjà clair au moins depuis la crise politique déclenchée par l’annonce du projet de réforme judiciaire du gouvernement Netanyahu –, c’est l’ampleur des désaccords au sein d’Israël quant au sens à donner au sionisme réalisé. On attend des Israéliens qu’ils clarifient la signification qu’a aujourd’hui pour eux l’existence de l’État refuge, entre une voie démocratique qui devra assumer les lourdes exigences de l’apaisement, et une voie néomessianique qui s’inscrira dans la tendance générale à se détacher du droit au profit d’une politique de puissance. On ne voit d’ailleurs pas comment ils pourraient éviter de s’affronter à cette alternative. L’aspiration démocratique israélienne est aussi forte que tenace – des signes récents en ont encore attesté –, et elle mérite la confiance et le soutien des juifs de la diaspora. Il n’en reste pas moins que c’est sur leur propre avenir que les Israéliens auront à se prononcer.
Il y a peut-être un dernier motif, plus obscur et moins avouable, au soulagement que nous avons pu ressentir cette semaine. Car, le 7 octobre 2023, chaque juif a éprouvé la réactivation d’un principe de solidarité spécifique, forgé dans l’exil…
>>> Suite de l’édito
Le massacre du 7 octobre 2023 a provoqué un séisme dont l’onde de choc n’a pas fini de traverser le monde juif. En Israël, il a réactivé le spectre du pogrom que l’État devait rendre impossible ; en diaspora, il a révélé la fragilité d’une sécurité que l’on croyait acquise. L’historien Jacques Ehrenfreund interroge ce que cet événement dit de notre temps : la fin de l’après-Shoah, la dissolution des repères moraux européens, et la persistance d’une hostilité que l’histoire semblait avoir disqualifiée.
En mars 1973, Robert Badinter prononce une plaidoirie -- restée méconnue, mais capitale --lors du premier procès intenté en vertu de la loi Pleven, qui réprime l’incitation à la haine raciale. Face à un article de propagande soviétique où l’antisémitisme se déguise en antisionisme, l’avocat déploie une argumentation mêlant droit, histoire et mémoire juive. À l’occasion de la panthéonisation de Robert Badinter, K. publie le texte intégral de cette plaidoirie, où s’illustrent son engagement contre l’antisémitisme et son attachement aux principes socialistes. L’ensemble est précédé d’une introduction de l’historien Emmanuel Debono et accompagné d’un appareil critique de notes.
Le 3 octobre 2025, les éditions de l’Antilope publiaient la traduction en français de deux œuvres majeures de l’écrivain yiddish Peretz Markish : le roman Une génération passe, une génération vient (Dor oys dor ayn), traduit par Rachel Ertel, et un choix de poèmes, traduits et rassemblés par Batia Baum dans le recueil Le Tas (Di Kupe). Œuvres dont la revue K. propose dans ce numéro une sélection d'extraits.
La Revue K. présente son nouveau cycle d’événements : Le Ciné-Club de K. Première séance du Ciné-Club de K. – Enseigner la Shoah à l’école aujourd’hui, le lundi 3...
Le 7 octobre n’a pas seulement été importé dans les débats européens : il s’y est réfléchi, révélant la crise interne d’une Europe incertaine de son héritage post-Shoah et post-colonial, et désormais divisée entre trois récits inconciliables — l’occidentaliste, l’anticolonial et l’européen. Au cœur de cette fracture, deux questions obsédantes : que reste-t-il de l’Europe, si elle ne sait plus reconnaître ce que signifie, ici comme là-bas, la résurgence de l’antisémitisme ? Mais aussi, que reste-t-il du sionisme comme projet européen, si la réponse qu’il a donné à l’antisémitisme en termes de droit des peuples lui échappe tout autant?
Qu’est-ce que « l’invalidation traumatique » ? Selon les psychologues Miri Bar-Halpern et Jaclyn Wolfman, c’est un concept qui pourrait décrire adéquatement les effets subjectifs du 7 octobre sur la psyché de nombreux juifs. Leur travail important nous est ici présenté par la psychologue clinicienne Céline Masson.
Dans ce court texte, l’écrivain israélien Etgar Keret évoque la faille que la guerre a creusée dans sa société, au point d’y rendre la communication impossible.
L’être juif relève-t-il d’un faire semblant, d’une mascarade ? Pris dans l’excentrique manège entre deux mendiants, Ruben Honigmann s’amuse à se laisser déstabiliser, jusqu’à faire boiter son identité.
Dans une yeshiva new-yorkaise, un jeune étudiant marqué par la guerre de Six Jours décrète que la loi talmudique prohibe tout dommage collatéral. Son ami, narrateur pas si innocent, relate les péripéties qui s’ensuivent, avec leur lot de conséquences inopinées. À travers cette nouvelle aux allures de roman de formation, initialement parue dans Tablet, Elie Hirsch nous initie au charme excentrique du monde de la yeshiva, sur fond de mésaventures adolescentes.
À Treblinka, la mémoire devient enjeu d’État : monuments et projets muséaux redessinent le passé au mépris des sources, jusqu’à promettre un « mur des noms » que que nulle archive ne permet d’établir avec exactitude. Jan Grabowski et Katarzyna Grabowska plaident pour une politique mémorielle transparente et fondée sur la rigueur historique.
Entre partisans convaincus et détracteurs farouches, la reconnaissance de l’État de Palestine cristallise des positions tranchées. Les arguments de chacun sont d’ailleurs défendables — dès lors qu’ils visent à la fois la sécurité d’Israël et le droit des Palestiniens à l’autodétermination –, mais l’enjeu est ici de saisir ce que produit réellement un tel geste : une déclaration de principe porte-t-elle à conséquences pour l’avenir ?
Oui de Nadav Lapid a électrisé Cannes et la critique française. Salué comme pamphlet politique autant que confession cathartique, le film soulève pourtant une question : qu’applaudit-on au juste dans cette œuvre donnée comme radicale ? Derrière l’objet cinématographique, c’est le discours du médiatique réalisateur israélien qui – embrassant tantôt le rôle de sabra déconstruit, tantôt de prophète de malheur ou de poète voyant – fascine la critique française. À l’occasion de la sortie du film, retour sur le parcours du cinéaste israélien et la réception de son œuvre par la critique française.
L’intégration progressive des Juifs en Europe s’est toujours jouée dans une tension, entre ouverture et rejet. Cette tension est au cœur du nouvel essai de Bruno Karsenti, ‘Les paradoxes de l’intégration. L’Europe et les Juifs’ (Calmann-Lévy, 2025), qu’il a présenté au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme lors d’une rencontre avec Ruben Honigmann organisée en partenariat avec la revue K et Akadem.

Accompagnez-nous
Avec le soutien de :
Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.
La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.