Que l’État d’Israël se préoccupe d’antisémitisme et qu’il organise une conférence internationale à Jérusalem à ce sujet, voilà qui est parfaitement normal, dès lors que le projet sioniste est né d’un diagnostic portant sur l’hostilité indépassable de l’Europe à l’égard des juifs. Le dispositif nommé loi du retour est en ce sens la traduction institutionnelle du lien réciproque qui unit cet État conçu pour les juifs et les juifs qui, de par le monde, sont potentiellement en quête d’abri. Mais les porte-paroles actuels de cet État prennent l’initiative d’y convier des forces dont les juifs savent pertinemment que la conversion à l’anti-antisémitisme est purement opportuniste et leur sincérité plus que douteuse. La forme que prend cette initiative du ministère de la Diaspora sonne, disons-le clairement, comme une trahison à l’égard de la diaspora. On pourra tenter de se soulager en se disant que cette initiative résulte d’une ignorance de la situation des juifs, hypothèse que l’inculture abyssale de la droite et de l’extrême droite gouvernementale rend plausible. Mais ne nous y trompons pas : ce que traduit la liste des invités à cette conférence n’est ni plus ni moins qu’un alignement voulu sur les forces les plus rétrogrades et autoritaires déjà au pouvoir dans certains pays, et qu’un soutien ferme à celles qui y aspirent. Ces dernières espèrent que le chemin vers Jérusalem leur ouvrira les portes du pouvoir, dans un contexte, il faut bien le constater, où la gauche radicale en France, en Grande-Bretagne et ailleurs, a désormais préempté ouvertement le discours antisémite. Ce brouillage, dont K. s’est fait à de multiples reprises l’écho, ne nous empêche pas d’y voir clair : la liste des convives à la Conférence de Jérusalem sur l’antisémitisme, dessine, à peine dissimulé sous le saupoudrage d’invités honorables, le projet de faire de Jérusalem la capitale de la Réaction…
La lutte contre l’antisémitisme peut-elle être autre chose qu’une parodie dès lors qu’elle est organisée par l’extrême droite ? En invitant à venir parader sur la scène de sa « Conférence internationale sur la lutte contre l’antisémitisme » des députés de la droite autoritaire et xénophobe européenne, le ministère israélien de la Diaspora a commis une grave faute politique, qui sonne comme une trahison de sa mission. Michael Brenner rend ici compte de la dérive que représente cette initiative, et de la nasse dans laquelle elle enferme les juifs.
Qui, enfant, n’a jamais rêvé de se découvrir une filiation secrète, une obscure origine qui viendrait répondre à la lancinante question de l’identité ? Omniprésent dans la fiction, ce trope du « roman familial », bien identifié par Freud, croise parfois un semblant de réalité. C’est depuis ce point de jonction ténu qu’enquête Romain Moor, au sujet de ceux qui se découvrent marranes après l’heure.
David Hirsh était invité, en sa qualité de directeur académique du London Centre for the Study of Contemporary Antisemitism, à la Conférence internationale sur la lutte contre l’antisémitisme organisée par le ministère israélien de la Diaspora. Dans ce texte, il explique pourquoi il a choisi de ne pas participer à cette initiative qui, en faisant la part belle à l’extrême droite, décrédibilise la lutte contre l’antisémitisme et met en danger les juifs de la diaspora.
Devant l’expérience collective de l’impuissance modernes, les démocraties doutent et les populismes promettent de reprendre le contrôle par le « passage à l’acte ». Le Faust de Goethe et Walter White, le héros de Breaking Bad, figures paradigmatiques séparées par deux siècles, incarnent cette fuite en avant : quand comprendre ne suffit plus, on détruit et on refonde. Mais toujours, dans l’ombre de ces récits, une figure juive accompagne l’élan destructeur, incarne la négation, ou porte la faute. Dans les moments où la modernité craque, que devient la minorité juive, se demande la philosophe Julia Christ ? Alors que de larges pans de nos sociétés tendent l’oreille aux murmures qui promettent une sortie immédiate de l’impuissance, elle rappelle que seule la possibilité d’une solidarité à construire peut garantir les minorités contre la tyrannie du désir majoritaire.
Hadas Ragolsky, ancienne journaliste, activiste et fondatrice du mouvement Women in Red, a rencontré K. à deux reprises : la première fois dans son bureau à la mairie de Tel-Aviv en juin 2024, et la seconde il y a quelques jours. Lors de cette dernière rencontre, elle a évoqué les attaques répétées contre la démocratie, la résistance de l’opposition, et les droits des femmes, tandis qu’une partie de la société israélienne manifeste contre les actions controversées du gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Elle a notamment lancé un appel vibrant à la diaspora pour qu’elle soutienne les mouvements de protestation.
Les éditions de l’Échappée font paraître la traduction du roman écrit en yiddish par Benjamin Schlevin, Les Juifs de Belleville, publié en 1948. Cette fresque sociale plonge le lecteur dans le petit monde des immigrés juifs d’Europe centrale et de l’Est, ouvriers et artisans, militants idéalistes et arrivistes désabusés, à la veille de la défaite de 1940 et de l’Occupation. K. en publie un extrait, précédé d’une présentation d’Elena Guritanu.
Haine de la médiation et du langage, abolition des différences dans une logique du tout ou rien, rêve solipsiste où vient disparaître le monde : dans ce texte, le philosophe Gérard Bensussan propose une approche conceptuelle du nihilisme. Cette pathologie de la raison y apparaît, par-delà la diversité de ses manifestations, comme ce qui menace la pensée dès lors qu’elle oublie son dehors, pente sur laquelle glisse facilement le geste critique, et où se rencontre la vieille question juive.
Le dimanche 19 janvier se tenait, pour la sixième édition, le salon ‘Choisir l’école juive’, lancé en 2019 par Elodie Marciano. En 2023, K. avait déjà consacré un article à cet événement bousculant le monde institutionnel, et devenu aujourd’hui un rendez-vous incontournable pour tout l’écosystème de l’enseignement et de la jeunesse juifs français. Un an et trois mois après le 7 octobre, nous avons décidé d’y retourner, curieux et inquiets des effets du climat actuel sur les plus jeunes. Entre les stands des mouvements de jeunesse et des grands ensembles scolaires, les images de la libération des otages en boucle sur fond d’Israël Haï, suivez le guide !
Le sens de Pourim – fête exilique par excellence en ce qu’elle reflète l’enjeu de la protection du peuple dispersé – n’est-il pas appelé à s’estomper dès lors que les juifs se sont donnés un État chargé de les préserver de la persécution ? C’est la question que rouvre Danny Trom à la lumière du 7 octobre et de ses suites. Comment doit-on comprendre que circulent, pour le Pourim de cette année, des appels à ce que les enfants adoptent le costume de Batman d’Ariel Bibas ? N’est-ce pas que la condition politique juive en exil demeure latente dans la réalisation du projet sioniste, n’attendant que son actualisation ?
Pour la Journée internationale des droits des femmes, K. publie un texte qui détonne par rapport à sa ligne habituelle. Une jeune femme juive nous a en effet fait parvenir un manuscrit qui, pastichant le célèbre SCUM Manifesto (1967) de la militante féministe radicale Valérie Solanas, exprime avec virulence sa colère face à la surdité du monde juif aux revendications d’émancipation féminine. Considérant que si, certes, la colère n’est pas encore la politisation, elle est néanmoins ce qu’on obtient à maintenir le couvercle sur ce qui bout, nous avons décidé nous avons décidé de le traduire de l’anglais et de le publier.
‘The Brutalist’, qui vient de remporter trois Oscars, offre une relecture romancée de la carrière d’un célèbre architecte juif hongrois, rescapé de la Shoah. Film brillant, il prend cependant le risque, par ses approximations et ses exagérations, de passer à côté d’une des dimensions de cette histoire — celle qui a trait à l’architecture, qui est au cœur du film. Mise au point par l’architecte Albert Levy.
En mars dernier, Jean-Claude Milner livrait dans nos colonnes un diagnostic dérangeant : la rapide mise sous tutelle américaine d’Israël, en raison de la fin de l’illusion qui faisait de l’État juif un « diamant impénétrable et solitaire », un représentant de l’Occident démocratique en terres hostiles. « Occidental », dans son texte, signifiait avant tout la reconnaissance de la suprématie américaine, des valeurs WASP et d’une doctrine où la paix est la règle et la guerre l’exception. Une alternative se dessinait alors pour les juifs : ou l’orientalisation dans un Israël vassalisé, ou la dissolution dans la nouvelle Jérusalem américaine. À l’heure où la présidence Trump semble rebattre les cartes en renouant avec une logique impériale, et où l’Europe semble toujours plus marginalisée, Milner revient sur son diagnostic.

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