Il y a des guerres qui s’éternisent, jusqu’à épuiser les discours dans un long ressassement qui fige l’attention publique. Et il y en a d’autres qui n’attendent pas que le choc initial soit passé ni que les analyses soient stabilisées pour se terminer. Nous avions préparé un numéro consacré à la guerre entre Israël et l’Iran, pour découvrir, à la veille de sa publication, que cette dernière s’écrivait déjà au passé. Ce qu’on peut attendre alors de l’articulation entre ces différentes voix et perspectives portant sur la guerre, et émanant de ce qu’elle a eu pour effet de révéler, c’est – à l’heure où nous écrivons ces lignes et dans le contexte d’une situation qui n’est pas à l’abri de rebondissements possibles – le dégagement de lignes directrices autour desquelles pourrait se reconfigurer ce qui a été déstabilisé.

La première voix, celle qui porte le point de vue européen de K., a eu l’avantage de pouvoir inclure le cessez-le-feu dans son propos. Ce n’était cependant pas là infléchir beaucoup le sens du texte de Bruno Karsenti et Danny Trom, puisqu’il s’agissait précisément de ce qu’ils espéraient, une fois la menace nucléaire iranienne dissipée. Dans la continuité de leur texte de la semaine dernière, ils interrogent la manière dont le soupçon d’une politique militariste de puissance, légitimé dans l’opinion occidentale par les actions effectives du gouvernement israélien à Gaza, s’est trouvé en décalage avec le déroulement du conflit avec l’Iran. Ce qui est en jeu alors, et qui vient d’être éclairé, c’est la différence fondamentale entre une guerre qui limite ses objectifs à garantir la promesse sioniste d’un abri pour les juifs, et une guerre qui a depuis longtemps débordé ce principe et ne peut plus en aucun cas être justifiée. Toute la question est alors de savoir si, de cette clarification, la société israélienne parviendra à faire tirer à son gouvernement les conséquences aux yeux du monde. À quoi il faut seulement ajouter un espoir en miroir : que l’Europe, dont l’inaction vis-à-vis de l’Iran a laissé s’enkyster une situation intenable, renoue avec ses principes politiques fondateurs et les responsabilités qui en découlent.

La deuxième voix porte depuis un Israël bombardé, mais parle avec assurance et clarté. Dans un entretien accordé à la Frankfurter Allgemeine Zeitung et traduit par nous, Benny Morris, figure majeure des « nouveaux historiens » israéliens, souligne le caractère d’évidence que revêt la guerre avec l’Iran pour de larges pans de la société israélienne, et dissipe, en sa qualité d’historien, certains des mythes qui entourent le conflit au Moyen-Orient. Ce qui se lit alors dans cette perspective israélienne, c’est une conscience nette de ce qui vient faire obstacle à une issue durable au conflit, et des faits avec lesquels la responsabilité des Israéliens ne peut pas transiger…

 

>>> Lire la suite

Le conflit entre Israël et l’Iran des mollahs -- qui, à l'heure où nous écrivons, donne tous les signes d'être achevé -- a fait ressortir le sens que prend pour Israël l’acte même de la guerre. En ôtant à la République islamique d’Iran les moyens de parvenir à ses fins exterminatrices, Israël redéfinit les conditions concrètes de sa sécurité. Se pose alors, avec d’autant plus d’acuité, la question de la poursuite d’une guerre interminable et meurtrière à Gaza. Mais l’affrontement qui vient de prendre fin interroge également l’inaction de l’Europe face aux menaces criminelles proférées depuis des décennies à l’égard de l’État d’Israël et des Juifs, laquelle n’est que l’autre face de son indifférence au sort du peuple iranien.

Si certaines vérités historiques sont trop souvent tues, leur énonciation ne suppose pourtant pas de prendre la pose du démystificateur. C’est le grand mérite de cet entretien avec Benny Morris, d’abord paru dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung le 20 juin 2025 [à la veille de l’attaque américaine], que d’illustrer la manière dont un travail historique précis et lucide permet de salutaires mises au point politiques. Alors que la guerre avec l’Iran faisait rage, l’historien israélien, figure majeure des « nouveaux historiens » dans les années 1980 et auteur de The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947–1949 – ouvrage pionnier sur les causes de l’exode palestinien – revenait sur les racines du conflit au Moyen-Orient et lles mythes qui les entourent.

De la guerre Iran-Irak aux soulèvements réprimés dans le sang, jusqu'à la guerre actuelle, enterrant les espoirs nucléaires des Mollahs, la mémoire de la violence traverse toute une génération d'iraniens. Réfugiée en Allemagne, la poétesse iranienne Atefe Asadi nous a confié son témoignage. Elle questionne l’éthique des États face à un régime criminel resté impuni depuis des décennies. Entre souvenirs traumatisants, colère lucide et espoir inflexible, elle trace le portrait d’un peuple abandonné. Elle revient sur les répressions sanglantes, les illusions perdues, la guerre en cours - et continue pourtant de rêver d’un Iran libre.

Pour mieux transmettre et faire circuler nos idées, K. repense et refonde son site internet, crée de nouveaux formats (Audio, Réseaux sociaux...) et commande de nouveaux textes. Pour concrétiser ce projet, nous avons besoin de votre soutien. Chaque don (déductible d'impôts) contribuera à faire vivre les textes et les réflexions de la Revue K. et à en élargir la portée. Pour toute question sur les types de dons éligibles, nous écrire à contact@k-larevue.com

Alors que l’opération israélienne de décapitation du régime de Téhéran et de ciblage de son programme nucléaire se poursuit, entraînant une riposte sur l’ensemble du territoire de l’État juif, Bruno Karsenti et Danny Trom s’interrogent sur le sens politique de ce tournant majeur du conflit au Moyen-Orient. Par rapport au dévoiement du sionisme que représente la conduite actuelle de la guerre à Gaza, la guerre contre l’Iran revêt une tout autre signification, pour les Israéliens comme pour l’ensemble du monde juif.

Du 13 au 15 juin avait lieu à Vienne le premier congrès juif antisioniste, visant à faire entendre la voix de farouches résistants à l’abomination sioniste. Depuis la capitale autrichienne, et au nom de la mémoire de la Shoah, se disait alors d’une seule traite « Ni Herzl ni Hitler », comme s’il s’agissait finalement un peu de la même chose. Cette « clarté » morale est-elle suffisante pour illuminer la voie politique à suivre ? Le reportage de notre correspondant Liam Hoare donne à croire que non : tout n’est pas clair chez les juifs antisionistes, rejoints pour l’occasion par leurs alliés Roger Waters et Rima Hassan.

Les deux lettres que nous publions sont extraites de ‘Parler sans détours. Lettres sur Israël et la Palestine’ (Cerf, 2025), correspondance entre Anoush Ganjipour et Jean-Claude Milner engagée au lendemain du 7 octobre et sur fond de guerre à Gaza. Dans cet échange, les deux intellectuels confrontent leurs diagnostics sur la nature et l’histoire de la haine antijuive en Orient : passion occidentale importée par la modernité conquérante pour l’un, judéophobie inscrite dans les affects collectifs et revitalisée aujourd’hui par l’antisionisme pour l’autre. Au cœur du désaccord, une divergence fondamentale s’exprime à travers deux regards portés sur un même phénomène, mais ancrés dans deux expériences politiques distinctes. 

L’antisémitisme, celui qui traîne dans l’atmosphère contemporaine jusqu’à la rendre irrespirable, est d’abord une affaire de signes que l’on apprend à repérer. Signes à déchiffrer, donc, mais qui, pour ceux qui ont de la mémoire, apparaissent nimbés du funeste halo de l’évidence. Le témoignage que Boris Schumatsky nous livre dans ce texte vient nous rappeler que ce monde saturé de signes inquiétants peut nous faire suffoquer : il nous interroge alors sur le sens du combat qu’il est possible d’y mener. 

Dans Pogrom. Kichinev ou comment l’Histoire a basculé, paru en français aux Éditions Flammarion, Steven J. Zipperstein revient sur le massacre de Kichinev en 1903, événement local devenu traumatisme global dans la conscience juive moderne. Plus qu’un simple récit de violence, son enquête dévoile comment ce pogrom – largement médiatisé, interprété, mythifié – a infléchi l’histoire juive contemporaine : il a nourri l’essor du sionisme, suscité une mobilisation mondiale, inspiré la littérature et la presse, et forgé un paradigme durable de la vulnérabilité juive.

Depuis l’attaque du 7 octobre et la guerre que mène Israël à Gaza, le mot « génocide » s’est imposé comme pierre de touche du débat public. Symbole d’un engagement intransigeant pour les uns, il ne relève plus du droit, mais d’un impératif moral absolu. Matthew Bolton analyse dans ce texte le glissement de ce terme — d’accusation juridique à condamnation ontologique — et montre comment son usage, nourri par la théorie du « colonialisme de peuplement », conduit à se couper de toute possibilité d’agir politiquement sur la guerre de destruction à Gaza menée par le gouvernement Netanyahu. Car en posant qu’Israël actualise une logique d’annihilation intrinsèque à son existence même, l’équation « Israël = génocide » devient l’axiome d’une idéologie qui réfute par principe tout issue politique au conflit.

Pour garder présent à notre mémoire le grand historien Pierre Nora, qui vient de nous quitter lundi 2 juin, nous donnons à lire un texte qui interroge l’écho entre le projet des Lieux de mémoire de Nora et Zakhor de Yerushalmi. Deux rapports à la mémoire foncièrement distincts, voire opposés, qui pourtant dessinent tous deux la question de l’Émancipation des juifs dans la nation moderne, et de ce qui persiste de leur conscience historique lorsque la République ne tient pas ses promesses.

En février 2024, Gabriel Abensour ouvrait dans K. un débat sur l’état du franco-judaïsme contemporain, déplorant sa tiédeur et l’oubli de ses héritages spirituels. Après David Haziza et Julien Darmon, c’est au tour de Jérémie Haddad d’émettre une critique amicale du diagnostic proposé. Regrettera-t-on vraiment une époque révolue, quand le présent abonde de signes de la vitalité d’un judaïsme français qui sait témoigner de sa spécificité par rapport aux mondes anglo-saxons et israéliens ?

Alors que la situation à Gaza s’aggrave et que le débat politique israélien se radicalise toujours plus, tout projet de solution au conflit israélo-palestinien semble décalé. Pourtant, nombreux sont ceux qui préparent l’avenir. Un projet politique, A Land for All – Two States, One Homeland mérite une attention particulière. Il propose deux États souverains liés par une confédération, reconnaissant chacun les légitimités nationales de l’autre, et organisant la coexistence sur toute la terre disputée. Dans un contexte marqué par l’impasse militaire, la fatigue démocratique et la montée des lectures antisionistes en Europe, y compris de ce projet, que penser d’une telle construction utopique ?

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.