De nouveau, le feu s’abat sur Gaza. Ni les exigences de restitution des otages adressées à leurs ravisseurs et tortionnaires, ni celles de faire primer la négociation adressées à un gouvernement israélien conforté dans sa politique de la force et qui se repait de la perpétuation de la guerre, n’ont été entendues. De nouveau, la volonté déclarée d’éliminer la direction du Hamas se paie au prix d’un nombre injustifié de morts civils palestiniens, et les victimes s’amoncèlent au milieu d’une polarisation qu’aucun discours politique responsable, dans un camp comme dans l’autre, ne parvient à arrêter. C’est qu’un tel discours supposerait que la plus forte tendance de l’époque, qui parfois semble être en passe de tout emporter, soit enfin contrée : celle qui incline à un nihilisme débridé, dont le diagnostic reste à faire. D’un tel diagnostic, il est tout aussi frappant de voir que ce qui nous permet de nous approcher le plus aujourd’hui, dans nos contrées, est la réflexion que suscite la poussée apparemment irrépressible de l’antisémitisme. En quoi croient les antisémites ? Réponse : en Rien. Mais c’est un Rien qui dans ce cas se fait tout-puissant et dévorant. Il prolifère dans la période que nous vivons. L’important, ici, c’est le geste qui nie, car quand la parole est décrétée impuissante, il ne reste qu’à lui opposer la perspective d’un acte qui aurait l’immense capacité d’épuiser toute signification. De là naissent ces rêves d’apocalypse mi-exaltés mi-angoissés, où se dessine, pour le sujet qui ne se soutient que de cette négation, la possibilité de trouver enfin un monde à sa mesure. Mais c’est aussi le terreau où fleurissent – misère de l’actualité politique – ces actes étranges qui, pour se donner en représentation sur la scène publique, se refusent pourtant radicalement à être interprétés…

 

>>> Suite de l’édito

 

Haine de la médiation et du langage, abolition des différences dans une logique du tout ou rien, rêve solipsiste où vient disparaître le monde : dans ce texte, le philosophe Gérard Bensussan propose une approche conceptuelle du nihilisme. Cette pathologie de la raison y apparaît, par-delà la diversité de ses manifestations, comme ce qui menace la pensée dès lors qu’elle oublie son dehors, pente sur laquelle glisse facilement le geste critique, et où se rencontre la vieille question juive. 

Le dimanche 19 janvier se tenait, pour la sixième édition, le salon ‘Choisir l’école juive’, lancé en 2019 par Elodie Marciano. En 2023, K. avait déjà consacré un article à cet événement bousculant le monde institutionnel, et devenu aujourd’hui un rendez-vous incontournable pour tout l’écosystème de l’enseignement et de la jeunesse juifs français. Un an et trois mois après le 7 octobre, nous avons décidé d’y retourner, curieux et inquiets des effets du climat actuel sur les plus jeunes. Entre les stands des mouvements de jeunesse et des grands ensembles scolaires, les images de la libération des otages en boucle sur fond d’Israël Haï, suivez le guide !

Les éditions de l’Échappée font paraître la traduction du roman écrit en yiddish par Benjamin Schlevin, Les Juifs de Belleville, publié en 1948. Cette fresque sociale plonge le lecteur dans le petit monde des immigrés juifs d’Europe centrale et de l’Est, ouvriers et artisans, militants idéalistes et arrivistes désabusés, à la veille de la défaite de 1940 et de l’Occupation. K. en publie un extrait, précédé d’une présentation d’Elena Guritanu.

Le sens de Pourim – fête exilique par excellence en ce qu’elle reflète l’enjeu de la protection du peuple dispersé – n’est-il pas appelé à s’estomper dès lors que les juifs se sont donnés un État chargé de les préserver de la persécution ? C’est la question que rouvre Danny Trom à la lumière du 7 octobre et de ses suites. Comment doit-on comprendre que circulent, pour le Pourim de cette année, des appels à ce que les enfants adoptent le costume de Batman d’Ariel Bibas ? N’est-ce pas que la condition politique juive en exil demeure latente dans la réalisation du projet sioniste, n’attendant que son actualisation ?

Pour la Journée internationale des droits des femmes, K. publie un texte qui détonne par rapport à sa ligne habituelle. Une jeune femme juive nous a en effet fait parvenir un manuscrit qui, pastichant le célèbre SCUM Manifesto (1967) de la militante féministe radicale Valérie Solanas, exprime avec virulence sa colère face à la surdité du monde juif aux revendications d’émancipation féminine. Considérant que si, certes, la colère n’est pas encore la politisation, elle est néanmoins ce qu’on obtient à maintenir le couvercle sur ce qui bout, nous avons décidé nous avons décidé de le traduire de l’anglais et de le publier.

‘The Brutalist’, qui vient de remporter trois Oscars, offre une relecture romancée de la carrière d’un célèbre architecte juif hongrois, rescapé de la Shoah. Film brillant, il prend cependant le risque, par ses approximations et ses exagérations, de passer à côté d’une des dimensions de cette histoire — celle qui a trait à l’architecture, qui est au cœur du film. Mise au point par l’architecte Albert Levy.

En mars dernier, Jean-Claude Milner livrait dans nos colonnes un diagnostic dérangeant : la rapide mise sous tutelle américaine d’Israël, en raison de la fin de l’illusion qui faisait de l’État juif un « diamant impénétrable et solitaire », un représentant de l’Occident démocratique en terres hostiles. « Occidental », dans son texte, signifiait avant tout la reconnaissance de la suprématie américaine, des valeurs WASP et d’une doctrine où la paix est la règle et la guerre l’exception. Une alternative se dessinait alors pour les juifs : ou l’orientalisation dans un Israël vassalisé, ou la dissolution dans la nouvelle Jérusalem américaine. À l’heure où la présidence Trump semble rebattre les cartes en renouant avec une logique impériale, et où l’Europe semble toujours plus marginalisée, Milner revient sur son diagnostic.

L’Autriche a un un nouveau chancelier : Christian Stocker. Après avoir négocié avec l’extrême droite, il s’est finalement posé en rempart contre l’autoritarisme et le FPÖ d’Herbert Kickl. Mais de quel projet politique ce dernier fait-il courir le risque à l’Autriche ? Liam Hoare retrace la trajectoire de ce parti et de son leader aux sympathies nazies.

Shiri, Ariel et Kfir sont enterrés aujourd’hui même, mercredi 26 février 2025. De quel espoir la famille Bibas avait-elle été le nom ? Et qu’est-ce qui s’est joué dans le geste d’arrachage des affiches donnant à voir leurs visages, comme ceux de tous les otages dans l’espace public ? Alors que douleur et se mêlent une fois découvert l’assassinat des enfants Bibas et de leur mère, Bruno Karsenti interroge leur destin dans l’horizon de la persistance de la vie juive, et du combat qu’elle suppose. 

Monty Ott livre pour K. une enquête sur l’histoire de l’AfD, arrivé deuxième aux élections fédérales du 23 février 2025. Soutenu par Trump et Musk, et se faisant le chantre des intérêts russes, ce parti a traversé depuis sa création il y a une dizaine d’années un processus de radicalisation le conduisant vers des positions de plus en plus anti-européennes et d’extrême droite. Plongée dans les réseaux et l’idéologie du souverainisme allemand.

Qu’est-il advenu d’Odessa, jadis surnommée « étoile de l’exil » par Isaac Babel, depuis le début de l’invasion russe de l’Ukraine ? Joseph Roche nous livre ici son témoignage sur la manière dont la communauté juive s’efforce d’y subsister, malgré la guerre et les départs.

La trêve conclue entre Israël et le Hamas donne lieu à un spectacle déplorable. Côté Hamas, on crie « victoire » sur un champ de ruines et de cadavres, au mépris du sort de la population gazaouie pour laquelle le groupe n’a d’autre projet que celui du martyr. Côté israélien, Netanyahu se réjouit des parodies de « solution » annoncées avec une légèreté inouïe par le président Trump. K. se fait le relais d’une voix palestinienne, celle de Ihab Hassan, d’abord parue dans Liberties, qui pense dans les seuls termes praticables politiquement : ceux d’un conflit entre deux revendications nationales également justes, désignant l’horizon d’une solution à deux États.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.