Ils savent qu’ils ne veulent pas savoir : telle est la conclusion qui s’impose après les deux affaires ayant récemment remis la question de l’antisémitisme de gauche au centre du débat public. Toutes deux ont concerné le lieu du savoir, l’université. Qu’un professeur d’histoire, Julien Théry, auteur d’un texte s’échinant à démontrer que l’antisémitisme de gauche, ça n’existe pas et ça n’a jamais existé, diffuse une liste de noms à large majorité juifs de « génocidaires à boycotter en toute circonstance », et la levée de boucliers ne se fait pas attendre : halte-là, il n’a fait que reprendre les signataires d’une pétition ! Certes en la constituant en liste, certes en livrant à la vindicte chacune des personnes nommées, mais quand même. Jusqu’à ce qu’une caricature surgisse des bas-fonds de son compte, dont le caractère antisémite est cette fois si marqué que ses défenseurs doivent baisser les yeux – pas tous cependant, le syndicat qui l’avait d’abord soutenu ne pouvant faire autrement que de le condamner. Quant à l’autre affaire, elle englobe ce phénomène et en comprend bien d’autres : il s’agit de l’enquête sur l’antisémitisme à l’université commandée par le ministre de l’Enseignement supérieur à un centre de recherches spécialisé en enquêtes d’opinion. Ici aussi, tir de barrage a priori. Sur ce thème, l’antisémitisme, trop d’enjeux se coagulent pour que vouloir savoir ne soit pas suspect de vouloir faire autre chose que savoir – contrôler, contraindre, soumettre, etc… Pour la tranquillité de tous, mieux vaudrait alors ne pas savoir. Et se rassurer en croyant savoir, comme l’a justement démontré le professeur – sanctionné, mais pour quoi donc déjà ? –, que l’antisémitisme de gauche « ça n’existe pas » …
La réflexivité, sur ce point, a donc du mal à se frayer un passage. La difficulté est que des préoccupations bien légitimes se font ici entendre : pour la liberté académique, dont il est indéniable qu’elle est menacée par une sphère politique bruyante où les arguments réactionnaires ne cessent de grandir …
>>> Suite de l’édito
Pour le philosophe Bruno Karsenti, la forme prise par la montée contemporaine de l’antisémitisme – qui s’organise de manière privilégiée autour d’un déni – témoigne de ce qu’un nouveau procès est fait aux juifs. Dans cette conférence, donnée au Mémorial de la Shoah le 4 juillet 2025 à l’occasion du séminaire annuel de formation pour les Référents « Racisme et antisémitisme » des universités, il entreprend de déciller notre regard, afin de le rendre apte à reconnaître ce que la situation actuelle comporte d’inédit. Transparaît alors une question, qui est autant adressée aux juifs qu’à l’Europe : celle de leur persistance.
Aux États-Unis, le révisionnisme de la Shoah rencontre aujourd’hui un écho inquiétant. Porté par des personnalités médiatiques proches du mouvement MAGA, et dont l’influence ne fait que croître, il témoigne de la libération des forces antisémites sous l’ère Trump. Dans cet article, Yair Rosenberg explore la galaxie d’influenceurs qui exploite cette résurgence des discours conspirationnistes, et interroge la manière dont une partie de la droite américaine est en train de s’affranchir des digues politico-morales héritées de la Seconde Guerre mondiale.
Une énième rupture amoureuse pousse Sophie à enfiler son masque et s’armer d’une arbalète pour aller trouver ce monstre marin qui la poursuit depuis son entrée dans la vie adulte et qui l’empêche de s’épanouir dans sa vie de femme juive émancipée. Ce monstre n’est autre que la somme de ses peurs, de ses héritages familiaux et de ses contradictions intimes. Parmi ces héritages, une injonction tenace : celle d’aimer « dans le groupe », de se mettre en couple avec un homme juif. Trancher, seule en scène dont elle incarne le personnage, est la première pièce de Sophie Engel. À la fois drôle et cathartique, elle interroge la place de la religion dans les rapports amoureux.
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Dernière séance de l’année du Ciné-Club de la Revue K. : Fragments d’intime. Mardi 16 décembre à 20h au MK2 Beaumarchais.
Projection des films : MASEL TOV COCKTAIL d’Arkadij Khaet et Mickey Paatzsch et PAYE POUR TES MORTS de Carine Ruszniewski.
En présence des réalisateurs, en discussion avec la philosophe Julia Christ.
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Poursuivant son exploration des grands artistes juifs, de leur présence vive dans notre monde contemporain et de la question de leur « legs » collectif, Benjamin Balint a publié un livre stupéfiant sur Bruno Schulz. On y découvre la postérité fascinante d’une partie de son œuvre : notamment des fresques peintes dans les chambres d’enfants d’un officier nazi, redécouvertes, puis « sauvées » par des agents israéliens et exposées à Yad Vashem. Mais qui était Bruno Shultz ?
Retraçant le parcours de vie de sa grand-mère maternelle, Stephen Pogany nous propose une plongée dans l’univers juif hongrois du début du XXe siècle. Avec la Première Guerre mondiale, l’époque bascule et les espoirs s’effondrent : du fait de la montée de l’antisémitisme, les juifs intégrés à la nation magyar sont jetés dans les ornières de l’histoire.
Il n’est pas possible de délier la crise que vivent les Juifs de celle que vit l’Europe — et cette dernière vient de prendre un tour décisif. Dans ce texte, prononcé le 19 novembre à Munich, Jürgen Habermas dresse un constat sans appel : l’Amérique qui incarnait une certaine idée de l’Occident n’existe plus. Ce qui s’y déroule — purge de l’exécutif, neutralisation du droit, silence d’une société civile qui réserve son indignation à d’autres causes — est un changement de régime légitimé par les urnes. Pour l’Europe, prise dans une alliance qui a perdu sa cohérence normative, il est temps de tirer un bilan, pour amer qu’il soit, sans perdre toutefois espoir.
Cela faisait longtemps, et pourtant, ça ne nous avait pas manqué. Cela, c’est cet antijudaïsme typiquement catholique que l’on croyait relégué aux oubliettes de l’histoire, mais dont le dernier pamphlet d’Éric Zemmour, La messe n’est pas dite, vient de proposer une réactivation sécularisée et nationaliste. Gabriel Abensour réinsère ici le discours zemmourien dans cette tradition atavique, non sans interroger les paradoxes de son auteur : qu’espère un « juif métèque » en allant fouiller du côté de Maurras ?
Né en 1925 à Vilnius, le YIVO – Institut scientifique juif – voulait être le « toit » de la culture yiddish. Cent ans plus tard, installé à New York, il reste la référence mondiale pour l’étude et la transmission de l’univers ashkénaze. À l’occasion de ce centenaire, nous avons rencontré l’historienne Cecile Kuznitz, qui retrace pour nous l’aventure intellectuelle et politique de cette institution unique.
En Suisse, deux villages aujourd’hui presque vides de Juifs conservent les traces d’une histoire longtemps oubliée : Endingen et Lengnau furent, pendant des siècles, les seuls lieux de résidence autorisée aux Juifs en Suisse. Synagogues au centre du village, maisons à double portes, mikvés, cimetière commun : un monde d’équilibres fragiles et de coexistence contrainte. La journaliste Evelyne Dreyfus et le photographe Eric Beracassat sont retournés sur ces terres où, autrefois, c’était la synagogue qui donnait l’heure – et où subsiste encore, dans les pierres et dans les noms, la mémoire d’une communauté presque effacée.
Après le texte d’André Markowicz que nous avons publié la semaine dernière sur le concert de l’Orchestre philharmonique d’Israël à la Philharmonie de Paris, nous avons reçu ce témoignage d’un spectateur présent dans la salle. Il revient, à hauteur de siège, de musique et d’émotion, sur cette soirée du 6 novembre 2025 : drones au-dessus du bâtiment, interruptions, fumigènes, hymne israélien en bis. À travers Beethoven et Tchaïkovski, ce récit interroge ce que peut un concert quand l’actualité s’invite au cœur même de l’écoute.
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