Tandis que la protestation monte, en Israël contre la logique meurtrière du gouvernement Netanyahu, et à Gaza contre le martyr du peuple palestinien voulu par le Hamas, l’antisionisme occidental réagit d’abord par le silence. Par-là, il témoigne du fait que ce funeste face-à-face soit le seul qui convienne à sa lecture idéologique du conflit. La politique se réduit alors à la distinction ami/ennemi, dessinant des camps qui ne tolèrent pas le clivage interne, et ne partagent donc que leur volonté d’annihilation mutuelle. Cette vision du monde a des effets directs sur notre débat public : en atteste le traitement du vocable « sioniste de gauche » et de ceux qui s’en trouvent affublés. Julien Chanet interroge cette semaine les motifs qui font croire à une partie de la gauche que le sionisme ne peut qu’être son ennemi existentiel, la poussant dès lors à s’installer dans une logique binaire qui interdit toute perspective de paix : « Pourquoi serait-il donc impensable qu’un sionisme de gauche, à défaut d’être soutenu dans son travail de critique interne du sionisme, soit au moins laissé tranquille ? ».

À l’occasion de Pâques, nous publions deux textes qui n’ont rien à voir avec la mort du Pape. Aussi peu à voir, en fait, que cette dernière avec son ultime moment de gloire : ce discours résolument moderne sur la montée de l’antisémitisme. Corrélation n’est pas causalité, évidemment. Quoiqu’il en soit, et puisque nous sommes dans le registre des pures coïncidences, Danny Trom nous en partage une belle. Il croyait passer une paisible semaine de vacances en famille à Séville ? C’était sans compter sur la semaine Sainte et ses pénitents aux allures de Klansmen qui surgissent à chaque coin de rue. Son délire interprétatif calmé par un Lexomil ou deux, il relate pour K. cette confrontation traumatique avec les aspects les plus archaïques du catholicisme.

En parallèle, et pour faire amende honorable, nous publions le récit de l’étrange conversion d’un juif au catholicisme. Cette nouvelle du grand écrivain roumain Ion Luca Caragiale, traduite et préfacée par Elena Guritanu, prend, elle aussi, place durant la semaine Sainte. Quelqu’un a annoncé un événement pour le soir de Pâques. Alors le juif Leiba Zibal attend, dans la fièvre et l’angoisse, que le miracle advienne…

 

Qu’on puisse être sioniste et de gauche, c’est ce qu’a décidé de rejeter par principe la gauche antisioniste contemporaine. Pourtant, cette possibilité est bien sûr attestée par tout un pan de l’histoire politique d’Israël comme par les mouvements politiques auxquels adhèrent de nombreux juifs de la diaspora. Julien Chanet interroge ici les causes et les conséquences de cette « évidence antisioniste » qui veut que « sionisme de gauche » soit un oxymore. En préférant dénigrer cette réalité que la penser, l’antisionisme vise non seulement à rendre les juifs un peu plus étrangers à la gauche, mais il se fait paradoxalement l’allié objectif du sionisme réactionnaire, obstruant tout horizon d’une issue politique au conflit israélo-palestinien. 

Coïncidence du calendrier, Danny Trom avait prévu ses vacances en famille à Séville, pile pendant la Semaine Sainte. Perdus au milieu des défilés de pénitents, le Lexomil ne suffisant pas pour contrer une peur et une angoisse juive sans doute ataviques, il s’est improvisé correspondant journalistique de cette expérience archaïque du catholicisme.

On entend parfois dire que les juifs seraient réfractaires à la révélation christique. Pour Pâques, K. publie une nouvelle d’Ion Luca Caragiale, traduite du roumain par Elena Guritanu, qui montre qu’il n’en est rien. Dans ce récit d’une étrange conversion, le juif accepte en effet de se saisir de la main catholique qui lui est tendue, seulement un peu aidé dans sa décision par cette fièvre sans laquelle il n’est pas de foi véritable.

Les suites du 7 octobre ont profondément reconfiguré les pratiques de l’identité et de la communauté juives, ainsi que la manière dont elles sont perçues par le reste des sociétés occidentales. Dans ce texte, le démographe Sergio DellaPergola livre le diagnostic général de ces mutations, dégageant ainsi les grandes questions qui se posent pour l’avenir des juifs.

Comment la frange la plus « critique » de l’université française justifie-t-elle son désir de boycotter les établissements d’enseignement supérieur israéliens ? Karl Kraus, s’est penché sur le rapport rédigé par quelques enseignants-chercheurs et étudiants de Sciences Po Strasbourg pour affirmer la nécessité de rompre tout partenariat avec l’université Reichman. Il n’y a découvert que le dépit de chercher le crime sans le trouver, et la perfidie de maintenir malgré tout le parti pris initial des accusateurs.

Le 3 octobre 1989, aux alentours de 18h, le Docteur Joseph Wybran, grand médecin et président du C.C.O.J.B, le CRIF belge, était abattu à bout portant sur le parking de l’hôpital Érasme de Bruxelles. Trente-trois ans plus tard, justice n’a toujours pas été rendue. Agnès Bensimon revient pour K. sur les rebondissements d’une enquête sur un assassinat dont le traitement par la police et la justice belge interroge.

Entre avril et juillet 1994, en un peu plus de trois mois, près d’un million de Tutsis ont été assassinés au Rwanda. Écrit en 2007, K. republie aujourd’hui ce texte de Stéphane Bou, à l’occasion de la semaine de commémoration du début du génocide. À l’heure où les rescapés vieillissent et où le négationnisme du crime qui les a frappés continue de circuler, il nous a semblé important de donner une nouvelle vie à ce reportage qui plongeait dans un pays encore pétrifié par l’horreur, où les souvenirs des massacres s’infusent partout, dans les mots, les silences, les corps, les paysages. Il témoigne de la durée du génocide – sa persistance psychique, sociale, politique – et du travail mémoriel propre à l’épreuve génocidaire.

Qui est invité à partager le repas de l’humanité libérée, et qu’y trouve-t-on à se mettre sous la dent ? À travers une comparaison entre le seder et le banquet gréco-romain, Ivan Segré met en évidence une conception proprement juive de la libération, et de ce qu’elle implique. Car ce qui se partage lors de ce « festin de paroles » juif, c’est le récit d’une libération qui eut lieu mais qui, pour être effective, doit se rejouer pour chaque être humain : « où en es-tu, singulièrement, avec le récit de ta propre sortie d’Égypte ? ».

Accusée par le Ministre israélien de l’Éducation d’ « idéologie anti-israélienne », la sociologue Eva Illouz a vu sa nomination au Prix Israël contestée. Dans cet entretien, elle revient sur l’affaire, dénonce les dérives autoritaires du gouvernement de Benjamin Netanyahu, et défend une position intellectuelle à la fois critique, universaliste et profondément attachée à l’État d’Israël. Pour elle, « Ce gouvernement fait comme si ceux qui se battent pour qu’Israël ne devienne pas un État paria étaient des ennemis ».

Dans un monde où l’impuissance collective ébranle les démocraties et nourrit les populismes, le recours au « passage à l’acte » devient tentant. Faust, le personnage emblématique de Goethe, et Walter White, le héros de Breaking Bad, incarnent cette fuite en avant : lorsque la compréhension échoue, la destruction et la refondation s’imposent. Mais dans ces récits de la puissance retrouvée, une figure juive surgit souvent en filigrane, accompagnant l’élan destructeur ou endossant la faute. Dans les moments où la modernité craque, que devient alors la minorité juive, se demande la philosophe Julia Christ ? Alors que nos sociétés écoutent les sirènes des solutions immédiates, elle rappelle que seule une solidarité patiemment construite peut protéger les minorités de la tyrannie du désir majoritaire.

Hadas Ragolsky, ancienne journaliste, activiste et fondatrice du mouvement Women in Red, a rencontré K. à deux reprises : la première fois dans son bureau à la mairie de Tel-Aviv en juin 2024, et la seconde il y a quelques jours. Lors de cette dernière rencontre, elle a évoqué les attaques répétées contre la démocratie, la résistance de l’opposition, et les droits des femmes, tandis qu’une partie de la société israélienne manifeste contre les actions controversées du gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Elle a notamment lancé un appel vibrant à la diaspora pour qu’elle soutienne les mouvements de protestation.

La lutte contre l’antisémitisme peut-elle être autre chose qu’une parodie dès lors qu’elle est organisée par l’extrême droite ? En invitant à venir parader sur la scène de sa « Conférence internationale sur la lutte contre l’antisémitisme » des députés de la droite autoritaire et xénophobe européenne, le ministère israélien de la Diaspora a commis une grave faute politique, qui sonne comme une trahison de sa mission. Michael Brenner rend ici compte de la dérive que représente cette initiative, et de la nasse dans laquelle elle enferme les juifs.

Qui, enfant, n’a jamais rêvé de se découvrir une filiation secrète, une obscure origine qui viendrait répondre à la lancinante question de l’identité ? Omniprésent dans la fiction, ce trope du « roman familial », bien identifié par Freud, croise parfois un semblant de réalité. C’est depuis ce point de jonction ténu qu’enquête Romain Moor, au sujet de ceux qui se découvrent marranes après l’heure.

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Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.