Tous les articles de Grigory Kanovich

Vilna, Wilno, Vilnus. Yerushalayim de Lita. Ville-songe, inondée par la lumière de la Grande Synagogue. Ville rêvée, aux matins parfumés de brioche à la cannelle. Ville-chimère, aux forêts empêtrées d’effroi. Dans un texte inédit en français, Gregory Kanovitch – l’écrivain lituanien de 93 ans qui vit aujourd’hui en Israël – évoque sa Jérusalem de Lituanie, ville devenue fantôme.

« Le Pauvre Rothschild ne fut point surpris lorsque, au soir du même jour, les victorieux motocycles à panier entrèrent dans la cour des bains, chargés de quelque chose qui ressemblait à des baluches. Le pharmacien Zalman Amsterdamskii lui avait naguère raconté que, dans toutes les villes et les petits lieux, les Allemands rassemblaient tous les Juifs en un seul endroit, les emmenaient en dehors de la ville et les fusillaient. C’était probablement son tour, à lui aussi. »

« L’été n’augurait vraiment rien qui vaille. Une armée étrangère s’était établie en Lituanie, dont les unités s’installèrent dans les accueillants bois et bosquets qui ceinturaient le petit lieu. Le président lituanien – auprès duquel le fameux invité, le baron de Rothschild, s’apprêtait soi-disant à racheter le petit lieu avec tous les Juifs qui y habitaient –, avait apparemment décidé de ne pas attendre l’offre avantageuse du banquier et s’était enfui à l’étranger en abandonnant tous ses biens. »

« — Tu es un Rothschild ! s’exclamait Zalman Amsterdamskii avec enthousiasme, se prenant de plus en plus à ce jeu qui lui procurait un étrange plaisir et qui consistait à rechercher ce qui pouvait confirmer ce lien de parenté avantageux pour Itsik. »

« Tous les Juifs du « petit lieu » appelaient Itsik – le fils du préposé aux bains Avigdor – non pas par le nom qui lui fut donné à sa naissance, mais par son patronyme précédé de l’immanquable épithète « pauvre ». Même de la bouche du rabbin Hillel, qui connaissait sur le bout des doigts le nom de chaque Juif que Dieu avait mis sous ses auspices, le sobriquet finissait par s’échapper :
— Comment vas-tu, Pauvre Rothschild ? »

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