La semaine dernière, Delphine Horvilleur publiait une tribune intitulée « Gaza/Israël : « Aimer (vraiment) son prochain, ne plus se taire ». Elle y exprimait son accablement face à la situation à Gaza, dénonçant une « déroute politique » et une « faillite morale » d’Israël, tout en affirmant que « l’avenir des Palestiniens et celui d’Israël sont liés ». À ce « ne plus se taire », ont immédiatement répondu deux violentes injonctions au silence. D’un côté, celle, antisioniste, d’une condamnation pour avoir trop tardé à parler, qui ne voit dans ce geste qu’un opportunisme destiné à se réhabiliter : elle décrète par principe cette parole nulle et non avenue, car jamais l’attachement au sionisme ne pourra être oublié ni pardonné. De l’autre, l’accusation de trahir Israël, de se vendre à l’opinion mondiale antisioniste : pour les soutiens du jusqu’au-boutisme de Netanyahou, doit être tue toute critique de sa politique belliciste poursuivie au mépris du droit international humanitaire, responsable de la mort de civils palestiniens dans des proportions par là même injustifiables, car condamner cela serait rompre la loyauté à l’État juif et se faire le « collabo » des antisémites. Voilà donc le panorama de la scène abîmée de notre débat public, où des factions cherchent à faire taire les juifs qui condamnent ce qui est objectivement condamnable. Nous apportons tout notre soutien à Delphine Horvilleur qui subit, en plus de la prévisible volée de bois vert antisioniste, le retournement d’une partie de sa communauté contre elle…
Il est nécessaire que, depuis l’expérience juive diasporique, parvienne à se faire entendre une position qui, à la fois, défende l’existence légitime d’Israël et critique sans concession la politique de son gouvernement actuel…
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Comment un classique de la pensée juive écrit en arabe au XIIe siècle, qui revendique la supériorité absolue des Juifs et de l’hébreu, s’est-il retrouvé cité à la fois par l’extrême droite israélienne et par les franges les plus radicales de l’antisionisme ? Pour dissiper ce mystère, et les mauvaises lectures suscitées par ce texte, David Lemler s’est plongé dans le Kuzari de Yehuda Halevi. De son interprétation se dégage une utopie inattendue, celle de l’État juif des Khazars, dont la fonction critique pourrait aider à se dégager des apories contemporaines.
Trois éclats biographiques d’une filiation juive post-Crémieux, translatée entre l’Algérie et la France, voilà ce que nous offre ici le philosophe François-David Sebbah. Il y est lui-même situé en bout de récit, sous le visage de l’enfant. C’est à redevenir enfant en effet qu’il s’est exercé dans le livre, intitulé « Ses vies d’Afrique », dont ces quelques pages sont extraites et qui paraîtra à l’automne prochain aux Éditions Manucius. Il l’a fait pour mieux comprendre et pour mieux donner à voir ce qui, en lui, s’est secrètement conservé et déplacé de cette mémoire séfarade éminemment française. On verra qu’il y est lui-même suspendu à la manière d’un paragraphe rattaché à un plus long texte, impossible à unifier cependant, et voué pour cette raison à se présenter sous la forme d’éclats.
Dans "Des sadiques au cœur pur. Sur l’antisionisme contemporain", (Éditions Hermann, 2025), le philosophe Gérard Bensussan analyse les mutations idéologiques de l’antisionisme actuel. Dans cet extrait que l’auteur et l’éditeur nous ont autorisés à publier, se déploie, à l’ombre du 7 octobre, une réflexion qui interroge la souffrance palestinienne, entre responsabilité éthique et lucidité politique.
Ce 1er mai, les cris de « sales sionistes génocidaires » et la violence d’une extrême gauche enragée ont non seulement ciblé Jérôme Guedj, qui commence à avoir l’habitude, mais aussi, nouveauté, plusieurs élus présents sur le stand du Parti Socialiste. Clarification salutaire, analyse ici Bruno Karsenti : la logique de l’antisionisme contemporain ne se contente pas de mener à l’antisémitisme ; elle est irrésistiblement antisocialiste.
Le 8 mai, l’Europe célèbre sa refondation sur la défaite des nazis. Mais les Juifs peuvent-ils participer à ce moment de liesse qui soude la conscience européenne ? Stéphane Bou interroge ici, à travers le 8 mai 1945 vécu par le dramaturge Ionas Turkov, la disjonction des récits et des affects entre « le monde » et les juifs. Quelle place peut trouver l’histoire de la Shoah dans le grand récit triomphal de la victoire et de l’unité européenne ?
Deux témoignages, ceux des parents de Philip Schlesinger, se rejoignent à la frontière de l’intime et de l’histoire, dans une union déracinée où l’alliance semble surtout de circonstance. De la fuite hors de l’Autriche nazi aux difficultés de l’intégration à la société britannique, se dessine une identité prise entre le continent européen et cette île à l’appartenance incertaine.
Tous les massacres se ressemblent, quand on a sciemment décidé de se défaire de la précision analytique qui permettrait de les différencier. Mais où cet amour de la comparaison galvaudée, si courant aujourd’hui, plonge-t-il ses racines ? Stephan Malinowski s’emploie ici à repérer les filiations intellectuelles croisées et paradoxales dans lesquelles s’inscrit cette grande confusion.
Kafka, nos lecteurs le savent, est un écrivain dont l’œuvre est profondément ancrée dans l’expérience européenne, et juive, du début du XXe. Mais l’imaginaire voyage. À l’occasion d’une exposition new-yorkaise sur la vie et l’œuvre de Kafka, Mitchell Abidor nous fait découvrir son rapport à l’Amérique et l’influence qu’il y a eu, notamment à travers un de ses plus fervents admirateurs : Philip Roth.
Qu’on puisse être sioniste et de gauche, c’est ce qu’a décidé de rejeter par principe la gauche antisioniste contemporaine. Pourtant, cette possibilité est bien sûr attestée par tout un pan de l’histoire politique d’Israël comme par les mouvements politiques auxquels adhèrent de nombreux juifs de la diaspora. Julien Chanet interroge ici les causes et les conséquences de cette « évidence antisioniste » qui veut que « sionisme de gauche » soit un oxymore. En préférant dénigrer cette réalité que la penser, l’antisionisme vise non seulement à rendre les juifs un peu plus étrangers à la gauche, mais il se fait paradoxalement l’allié objectif du sionisme réactionnaire, obstruant tout horizon d’une issue politique au conflit israélo-palestinien.
Coïncidence du calendrier, Danny Trom avait prévu ses vacances en famille à Séville, pile pendant la Semaine Sainte. Perdus au milieu des défilés de pénitents, le Lexomil ne suffisant pas pour contrer une peur et une angoisse juive sans doute ataviques, il s’est improvisé correspondant journalistique de cette expérience archaïque du catholicisme.
On entend parfois dire que les juifs seraient réfractaires à la révélation christique. Pour Pâques, K. publie une nouvelle d’Ion Luca Caragiale, traduite du roumain par Elena Guritanu, qui montre qu’il n’en est rien. Dans ce récit d’une étrange conversion, le juif accepte en effet de se saisir de la main catholique qui lui est tendue, seulement un peu aidé dans sa décision par cette fièvre sans laquelle il n’est pas de foi véritable.
Les suites du 7 octobre ont profondément reconfiguré les pratiques de l’identité et de la communauté juives, ainsi que la manière dont elles sont perçues par le reste des sociétés occidentales. Dans ce texte, le démographe Sergio DellaPergola livre le diagnostic général de ces mutations, dégageant ainsi les grandes questions qui se posent pour l’avenir des juifs.

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