Depuis la création de K., nous nous sommes efforcés de porter un diagnostic lucide, depuis notre perspective européenne, sur le sionisme, sa signification historique et son devenir. Or, après les dernières élections israéliennes, la coalition la plus « à droite » que le pays ait connue s’est lancée dans une réforme judiciaire agressive, polarisant la société israélienne comme jamais elle ne l’avait été. Le sionisme religieux y occupe une part importante en infusant jusque dans le Likoud, de sorte qu’il nous revient de comprendre cette dangereuse mutation dans tous ses aspects. Car c’est ici le sens même du sionisme et de son produit, l’État d’Israël, qui est en jeu. Cette semaine, nous apportons donc la première pièce à un nouveau dossier sur le sionisme religieux, appelé à s’épaissir. Nous nous sommes entretenus au sujet de ce courant, de ses origines et de ses orientations avec Yehudah Mirsky, spécialiste de l’histoire de la pensée sioniste. En effet, il nous a semblé nécessaire d’éclairer cette question pour appréhender ce qui se joue actuellement au sein de la société israélienne : sans en passer par là, impossible de penser les enjeux de la bataille autour de la nature du sionisme, ni les moyens de lutter contre la pente qui écarte Israël des normes démocratiques modernes. Le dialogue entre Yehudah Mirsky et Danny Trom, sans effacer les désaccords, est l’occasion de prendre de la hauteur en revenant sur les fondements historiques du sionisme religieux et sur la multiplicité de ses expressions politiques, y compris libérales. Du contraste entre leurs perspectives se dégage l’alternative fondamentale sur laquelle nous aurons à revenir : avec la réalisation du mouvement national sioniste sur la terre d’Israël, est-ce la politique juive moderne qui s’est servie de l’attente messianique, ou l’inverse ?
La semaine dernière, nous publiions la première partie de l’enquête de Raphaël Amselem sur l’affaire Brusselmans, qui éclairait les lacunes du traitement belge de la lutte contre l’antisémitisme. Après avoir constaté qu’il était possible en Belgique d’exprimer publiquement ses fantasmes de planter du juif en pleine rue, sans que cela ne déclenche de contrecoup médiatique, politique ou juridique, l’enquête se poursuit par une plongée dans les arcanes de l’institution belge chargée de la lutte contre les discriminations : l’Unia. Ce dont il est question, en somme, c’est d’une attente déçue : celle des juifs belges qui espéraient trouver un appui institutionnel pour leur défense, mais qui doivent faire le constat de leur abandon…
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Dans cet entretien avec Danny Trom, Yehudah Mirsky revient sur les racines intellectuelles et spirituelles du sionisme religieux, de ses tensions internes à ses traductions contemporaines. En filigrane : la figure du Rav Kook, à la fois mystique, visionnaire, et aujourd’hui revendiqué par les courants les plus opposés de la scène sioniste-religieuse israélienne. À travers cette trajectoire une question affleure : comment un courant né d’un idéal de réconciliation entre tradition et modernité a-t-il pour partie dérivé en devenant le vecteur d’un messianisme nationaliste agressif.
Après avoir examiné l’indifférence politique, médiatique et judiciaire qui a entouré l’appel au meurtre de Juifs publié dans Humo par Herman Brusselmans, ce second volet de l’enquête de Rafaël Amselem s’attarde sur le rôle ambigu d’Unia, l’institution belge chargée de la lutte contre les discriminations. Entre interprétation légaliste, refus d’agir, et confusion face à l’antisionisme, l’affaire révèle les limites profondes du cadre juridique et politique belge face à l’antisémitisme contemporain.
Après les inquiétants résultats électoraux dans les Länder d’Allemagne de l’Est - qui ont vu triompher des partis autoritaires, xénophobes et antisémites -, Antonia Sternberger s’interroge sur l’ancrage des idées d’extrême droite dans l’ex-RDA et leur influence sur la vie juive. Son enquête fait ressortir une certaine incapacité à tirer les leçons de l’expérience historique – qu’il s’agisse des crimes nazis ou de la dictature soviétique –, laquelle contraint les juifs d’Allemagne de l’Est à devoir évoluer, non sans un certain courage, dans un environnement oscillant entre ignorance et franche hostilité.
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Connaissez-vous Herman Brusselmans ? Il est l’auteur de ces lignes, parues en août 2024 dans un magazine belge populaire : « Je vois une image d’un petit garçon palestinien en pleurs et en cris, appelant sa mère ensevelie sous les décombres. Je deviens alors si furieux que j’ai envie d’enfoncer un couteau pointu dans la gorge de chaque Juif que je rencontre. » Moins d’un an plus tard, la procédure engagée par une organisation juive débouche sur un acquittement. Dans une enquête en deux parties, Raphaël Amselem raconte pourquoi — et comment. Voyage en Belgique, là où ces paroles ne choquent (presque) plus.
Keith Kahn-Harris, auteur de Everyday Jews : Why the Jewish people are not who you think they are, interroge ici, avec un soupçon de provocation, cette étrange et aliénante tendance juive à vouloir se rendre indispensable au monde. Et si la plus belle réplique contre l’antisémitisme était finalement de s’arroger le droit à la frivolité, de s’autoriser une existence parfaitement superflue ?
Le texte « Semaine sainte sous Lexomil » de Danny Trom a suscité de nombreuses réactions. Parmi ce courrier, plus ou moins constructif, s’est distinguée la réplique du philosophe Leopoldo Iribarren, que la rédaction de K. a décidé de publier. Danny Trom, revenu à ses esprits mais loin de faire pénitence, répond au défi amical de son collègue.
Le conflit entre Israël et l’Iran des mollahs — qui, à l’heure où nous écrivons, donne tous les signes d’être achevé — a fait ressortir le sens que prend pour Israël l’acte même de la guerre. En ôtant à la République islamique d’Iran les moyens de parvenir à ses fins exterminatrices, Israël redéfinit les conditions concrètes de sa sécurité. Se pose alors, avec d’autant plus d’acuité, la question de la poursuite d’une guerre interminable et meurtrière à Gaza. Mais l’affrontement qui vient de prendre fin interroge également l’inaction de l’Europe face aux menaces criminelles proférées depuis des décennies à l’égard de l’État d’Israël et des Juifs, laquelle n’est que l’autre face de son indifférence au sort du peuple iranien.
Si certaines vérités historiques sont trop souvent tues, leur énonciation ne suppose pourtant pas de prendre la pose du démystificateur. C’est le grand mérite de cet entretien avec Benny Morris, d’abord paru dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung le 20 juin 2025 [à la veille de l’attaque américaine], que d’illustrer la manière dont un travail historique précis et lucide permet de salutaires mises au point politiques. Alors que la guerre avec l’Iran faisait rage, l’historien israélien, figure majeure des « nouveaux historiens » dans les années 1980 et auteur de The Birth of the Palestinian Refugee Problem, 1947–1949 – ouvrage pionnier sur les causes de l’exode palestinien – revenait sur les racines du conflit au Moyen-Orient et lles mythes qui les entourent.
De la guerre Iran-Irak aux soulèvements réprimés dans le sang, jusqu’à la guerre actuelle, enterrant les espoirs nucléaires des Mollahs, la mémoire de la violence traverse toute une génération d’iraniens. Réfugiée en Allemagne, la poétesse iranienne Atefe Asadi nous a confié son témoignage. Elle questionne l’éthique des États face à un régime criminel resté impuni depuis des décennies. Entre souvenirs traumatisants, colère lucide et espoir inflexible, elle trace le portrait d’un peuple abandonné. Elle revient sur les répressions sanglantes, les illusions perdues, la guerre en cours – et continue pourtant de rêver d’un Iran libre.
Alors que l’opération israélienne de décapitation du régime de Téhéran et de ciblage de son programme nucléaire se poursuit, entraînant une riposte sur l’ensemble du territoire de l’État juif, Bruno Karsenti et Danny Trom s’interrogent sur le sens politique de ce tournant majeur du conflit au Moyen-Orient. Par rapport au dévoiement du sionisme que représente la conduite actuelle de la guerre à Gaza, la guerre contre l’Iran revêt une tout autre signification, pour les Israéliens comme pour l’ensemble du monde juif.
Du 13 au 15 juin avait lieu à Vienne le premier congrès juif antisioniste, visant à faire entendre la voix de farouches résistants à l’abomination sioniste. Depuis la capitale autrichienne, et au nom de la mémoire de la Shoah, se disait alors d’une seule traite « Ni Herzl ni Hitler », comme s’il s’agissait finalement un peu de la même chose. Cette « clarté » morale est-elle suffisante pour illuminer la voie politique à suivre ? Le reportage de notre correspondant Liam Hoare donne à croire que non : tout n’est pas clair chez les juifs antisionistes, rejoints pour l’occasion par leurs alliés Roger Waters et Rima Hassan.
Les deux lettres que nous publions sont extraites de ‘Parler sans détours. Lettres sur Israël et la Palestine’ (Cerf, 2025), correspondance entre Anoush Ganjipour et Jean-Claude Milner engagée au lendemain du 7 octobre et sur fond de guerre à Gaza. Dans cet échange, les deux intellectuels confrontent leurs diagnostics sur la nature et l’histoire de la haine antijuive en Orient : passion occidentale importée par la modernité conquérante pour l’un, judéophobie inscrite dans les affects collectifs et revitalisée aujourd’hui par l’antisionisme pour l’autre. Au cœur du désaccord, une divergence fondamentale s’exprime à travers deux regards portés sur un même phénomène, mais ancrés dans deux expériences politiques distinctes.

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