Après le 7 octobre, le sujet des viols commis par le Hamas sur les femmes juives lors du massacre a été occulté, parfois même cyniquement derrière un supposé manque de preuves ; mais il n’est désormais plus possible d’ignorer les faits. Le travail accompli par des associations israéliennes a permis de documenter la manière dont, ce jour-là, les femmes ont été délibérément ciblées, profanées et détruites. Alors qu’est publiée une tribune « féministe » qui tente de dissoudre la réalité des viols dans une prétendue propagande israélienne, alors que des militantes armées de pancartes « MeToo unless you are a jew » sont rejetées hors de la manifestation contre les violences faites aux femmes, l’article de Julia Christ essaie de formuler une réponse aux questions qui importent. Pourquoi l’opinion internationale, et ses représentants progressistes ordinairement les plus enclins à croire les victimes, redoublent-ils ici les violences sexuelles perpétrées par le Hamas par celle du silence ? Qu’est-ce qui explique l’apparente impossibilité à faire reconnaître la spécificité du crime qui a supplicié des juives ?

La situation actuelle occupe l’esprit de faits bruts, de débats stériles, d’un trop-plein d’émotions qui peinent à être élaborées et digérées. La créativité suffoque, l’inspiration fait défaut : voilà le constat dont part Etgar Keret dans le texte qu’il nous a cette semaine proposé de traduire et de publier. Mais, on comprend en lisant cet écrivain et cinéaste israélien que, si écrire est dans ces moments-là presque impossible, il s’agit pourtant d’une nécessité. Nécessité de témoigner d’une réalité, de rendre compréhensible ce qui nous oppresse et nous sépare. Mais surtout, écrire « pour se libérer de l’emprise étouffante de la rationalité », pour rendre son souffle à la subjectivité, pour imaginer d’autres pensées et d’autres possibles, moins sombres. Avec justesse Etgar Keret nous offre ici un témoignage de la « réalité insaisissable » de son pays, écrit à la fois aujourd’hui et il y a 22 ans.

« Depuis quelques semaines, Alex se trouve dans un tunnel à Gaza. J’imagine un tunnel sombre et humide. Peut-il s’asseoir, s’allonger, a-t-il de quoi manger ? À quoi pense-t-il ? » Cette semaine où commencent les premières et laborieuses libérations d’otages, la romancière israélienne Rachel Shalita nous confie un texte — « Sept minutes » — dans lequel elle partage ses rêves de libération et son cauchemar éveillé…

>>> Suite de l’édito

 

Que dire des crimes sexuels perpétrés par les hommes du Hamas le 7 octobre – documentés un peu plus chaque jour par le travail d’un groupe israélien de gynécologues, médecins légistes, psychologues et juristes du droit international ? Et comment comprendre l’occultation de la violence faite aux femmes ce jour-là par une partie de l’opinion mondiale – supposées « féministes » comprises ?  Cette occultation ne revient-elle pas à faire une deuxième fois violence à ces femmes, comme si leur calvaire ne comptait pas et était dépourvu de signification ?

Peut-on raconter l’histoire du conflit israélo-palestinien « en 600 mots maximum », comme le rédacteur en chef d’un média américain l’avait demandé à l’écrivain israélien Etgar Keret ?  Aujourd’hui, ce dernier dit se sentir incapable d’écrire. Quoique... En introduisant comme il le fait aujourd’hui un texte – de 600 mots – écrit hier, il y a 22 ans, il rend compte, au « milieu de la détérioration » dont nous sommes les contemporains, de la permanence du sentiment d’être incompris aussi bien par les Israéliens que les Palestiniens.

Le début laborieux des premières libérations d'otages ces jours-ci crée un émoi intense et amer dans la société israélienne. Dans K. cette semaine, la voix de l'écrivaine Rachel Shalita témoigne, dans « 7 minutes », de son amitié et de son inquiétude – jusque dans ses rêves – pour un otage, Alex Danzig, historien de la Shoah, figure de la réconciliation entre Israël et la Pologne, prisonnier aujourd'hui du Hamas.

Dès le lendemain du massacre du 7 octobre, un travail d’archivage et de documentation a été entrepris qui rend compte d'un premier effort pour élaborer et intégrer dans la conscience de chacun l’ampleur de l’événement. Ce travail de mémoire immédiat s’inscrit dans un imaginaire collectif et un ensemble de pratiques testimoniales qui fait remonter à la fois l’histoire de la Shoah et celle des pogroms. Sensible à l’ambigüité de la société israélienne, Frédérique Leichter-Flack interroge les effets de cet entrelacement mémoriel des massacres, entre reviviscence traumatique et ressource pour ne pas se laisser sidérer par la Gorgone.

Après le massacre du 7 octobre, la gauche israélienne a vu comment, aux États-Unis et en Europe, une partie de la gauche globale avait refusé de se désoler de la mise à mort de 1200 hommes, femmes et enfants. Adam Raz – interviewé dans K. cette semaine – est l’un des auteurs de la lettre ouverte exprimant sa « [préoccupation devant] la réponse inadéquate de certains progressistes américains et européens concernant le ciblage des civils israéliens par le Hamas, une réponse qui reflète une tendance inquiétante dans la culture politique de la gauche globale. ». Julia Christ revient sur la désillusion vécue par la gauche israélienne et formule ce que nous enseigne politiquement le clivage qui s’est révélé entre celle-ci et une partie de la gauche globale.

Adam Raz est un historien israélien. Il a publié un grand nombre de livres et d’articles condamnant en particulier l’expulsion des Arabes pendant la guerre de 1948 et l’occupation après 1967. Militant de gauche, abasourdi par certaines réactions qui, après le 7 octobre,  se sont exprimées aux États-Unis et en Europe au sein de son camp politique, il l’est l’un des auteurs de la lettre ouverte : « Déclaration des progressistes et des militants de la paix basés en Israël. À propos des débats sur les événements récents dans notre région. » Rencontre.

Free Palestine. Le slogan à la traduction ambigüe fait florès dans les manifestations en soutien à la population de Gaza. Que sous-tend-il ? Dans ce texte d’une clarté déconcertante, l’essayiste Hussein Aboubakr Mansour revient aux sources du slogan et propose une archéologie de la volonté politique qu’il porte.

Face à l’inflation verbale qui, depuis le 7 octobre, monte dans la société civile, le monde politique et les sciences sociales, Jürgen Habermas et trois éminents collègues de l’Université de Francfort – Nicole Deitelhoff, Rainer Forst et Klaus Günther – tiennent à mettre au point ce que solidarité avec Israël, mais aussi avec le peuple palestinien, veut réellement dire. Un texte bref et percutant, écrit dans la meilleure tradition de la théorie critique qui, pour pasticher l’un de ses fondateurs, T. W. Adorno, assume que lorsqu’on se trouve dans un monde qui joue avec les mots, il convient de mettre cartes sur table.

Israël est-il en train de commettre un « génocide » à Gaza ? C’est ce que suggère Didier Fassin dans une tribune récemment publiée sur le site de la revue AOC. Une réponse lui a déjà été apportée par dans le même média par Bruno Karsenti, Jacques Ehrenfreund, Julia Christ, Jean-Philippe Heurtin, Luc Boltanski et Danny Trom. Ici, Eva Illouz critique à la fois la méthode employée par le sociologue et le fond de son argumentation. Selon elle, « dans la période tourmentée que nous vivons, choisir les mots justes est un devoir moral et intellectuel ». Un texte publié en partenariat avec Philosophie Magazine.

Cette semaine, notre collaborateur Karl Kraus se penche sur cette étrange tendance qu’un nombre considérable de militants ultra-progressistes, voire révolutionnaires, nourrissent pour prendre la défense de mouvements dont le but affiché est leur destruction. Où il est question de poulets parlants, de Queers for Palestine, de juifs menteurs et perfides, de « pinkwashing » et d’avant-garde ringarde.

La marche contre l’antisémitisme du 12 novembre dernier a été perçue comme un succès. Les Juifs ne sont pas (si) seuls. La Rédaction de la Revue K. se demande aujourd’hui — car les enjeux subsistent — quelles sont les prochaines étapes nécessaires à une véritable prise de conscience face à la force de l’antisémitisme en France.

Alors que la situation de la population de Gaza s’aggrave et que le sort des otages aux mains du Hamas reste suspendu, l’appel légitime au cessez-le-feu devient de plus en plus insistant. Dans ce contexte, où domine un sentiment d’urgence à la fois humanitaire et politique, se pose en en effet la question du degré auquel la riposte d’Israël doit se produire après le crime inouï qui l’a frappé. Bruno Karsenti s’en saisit en posant la question tout aussi cruciale de la position dont doit être capable Israël pour rester fidèle à ce qu’il est.

Notre collaborateur Mitchell Abidor témoigne ici de sa colère contre une partie de son camp politique qui, « aveuglé par la haine d’Israël, craignant d’être associé aux gouvernements occidentaux [a fait disparaître] la boussole morale de la gauche ». Son récit de la production éditoriale au sein de cette dernière depuis le 7 octobre, en particulier celle de la presse juive de gauche, est précieux pour nous faire comprendre les ressorts d’une sorte d’impossibilité physique à y condamner les massacres du Hamas.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.