Que reste-t-il du judaïsme polonais ? Environ 10 000 personnes, et quelques cimetières bien entretenus. Nous publions cette semaine la première partie du reportage du journaliste américain Gabriel Rom, consacré à la préservation du patrimoine funéraire des juifs de Pologne, et à l’étrange ambivalence mémorielle dont elle témoigne. Voilà en effet que le gouvernement conservateur polonais avait dédié des sommes importantes à la restauration des cimetières juifs, alors même qu’il s’est attelé pendant des années à l’édification d’un récit national se voulant sans zone d’ombre, allant jusqu’à criminaliser l’idée que la Pologne aurait une responsabilité dans la Shoah. Le souci de la mémoire, une mémoire chargée de culpabilité, y passe par des silences et des dénégations, de sorte que la Pologne peine à honorer pleinement sa participation à une Union européenne qui fait de la lucidité sur son passé une pièce maitresse de son identité politique. Mais la virée de Gabriel Rom entre les pierres tombales ne se limite pas aux allées bien ordonnées et aux grands noms patrimonialisés : derrière la volonté de blanchir l’histoire et de prétendre que judéité et polonité s’articulent sans solution de continuité, on trouve des monuments aux victimes de la Shoah couverts de mousse, et des plaques dont les noms sont déjà presque effacés. C’est aussi de ces bribes d’une mémoire en voie de disparition que son reportage se fait l’écho.

Le deuxième texte que nous publions cette semaine traite lui aussi du souvenir d’un judaïsme oriental disparu, et de la manière dont son invocation idéalisée dans le présent peut servir d’écran de fumée. Nous avons demandé à Boris Czerny de nous faire un compte-rendu critique de Contes des frontières, le dernier livre de l’historien israélo-américain Omer Bartov, spécialiste du rôle de la Wehrmacht dans la Shoah et des relations interethniques…

>>> suite de l’édito

La Pologne, pays où plus de la moitié des Juifs d’aujourd’hui ont des racines, comptait autrefois plus de 1 500 cimetières juifs, soit le plus grand nombre au monde. Selon les estimations, la population juive actuelle de la Pologne s'élève à 10 000 personnes, mais nombreux sont ceux qui affirment que le nombre réel est bien inférieur. Le calcul est brutal : environ un cimetière juif pour 15 Juifs polonais vivants. Dans ce reportage fouillé que nous publions en deux parties, le journaliste Gabriel Rom nous raconte les initiatives de préservation vertueuses et les politiques d'instrumentalisation vivaces dont sont l'objet les cimetières juifs de Pologne, parfois nécropoles.

Dans Contes des frontières : faire et défaire le passé en Ukraine (Plein jour, 2024) , le dernier livre d’Omer Bartov, il est question d’un « bout du monde » presque oublié – celui d’une Galicie où cohabitaient Juifs, Polonais et Ukrainiens – dont l’historien cherche à narrer la mémoire à partir de ses contes et légendes. Boris Czerny en fait un compte rendu critique, notant qu’à la nostalgie pour ce pays édénique perdu répond, dans le récit intime qu’en fait Bartov aujourd’hui, une défiance pour la manière dont les Juifs ont investi un autre « bout du monde », qui les aurait transformés en « brutes épaisses ».

« Il faut différencier entre antisionisme et antisémitisme » affirment ceux à qui il ne plaît pas d’être qualifiés d’antisémites. Cette exigence, à première vue, n’a rien d’insensée : il est en effet nécessaire de distinguer ce qui relève d’une critique légitime de l’État des juifs d’un sentiment louche et douteux à l’égard de ces derniers. Est-il pour autant nécessaire d’inventer un mot spécifique pour cette critique ? La philosophe Julia Christ traque les différents usages possibles de la notion d’ « antisionisme » et se demande à quelle condition, et dans quel contexte, la critique de l’État d’Israël peut légitimement se dire antisioniste. Cette petite analytique de la critique étatique et de ses modalités permet de percevoir mieux quand l’antisionisme n’est qu’un autre mot pour antisémitisme.

« C’est le calme après la tempête. / C’est le calme avant la tempête. / Nous savons ce qui s’est passé. / On a repris une vie normale. / Nous savons ce qui est encore à venir. / On égarera cette vie normale. / La guerre est là, et plus est à venir. »

Le 26 février dernier, une émeute éclatait sur le campus de l’université de Berkeley à l’occasion de la venue d’un conférencier israélien. Daniel Solomon, doctorant en histoire et premier traducteur en anglais de K., nous relate de l’intérieur l’évènement et le climat menaçant dans lequel il s’inscrit. Alors que la montée de l’antisémitisme vient remettre en question l’exceptionnalisme américain, Solomon interroge la perte de ses illusions, et le sentiment de solitude qui l’accompagne.

En février, nous publiions un texte de Gabriel Abensour déplorant la tiédeur du franco-judaïsme et son désarroi dû à l’oubli de ses héritages spirituels, notamment sépharades. David Haziza lui répond ici, sous la forme d’une « critique modérée et amicale ». S’il s’accorde avec le constat fait par Abensour d’une perte des forces vives du judaïsme, il ne l’explique pas par un dédain colonial pour la sépharadité, mais plutôt par une tentative de rendre le judaïsme moderne et présentable.

Après avoir exploré la manière dont l’Autriche entendait assumer la responsabilité de son passé nazi et promouvoir la vie juive, Liam Hoare décrit les défis et paradoxes de cette entreprise. Comme la plupart des pays occidentaux, on a assisté en Autriche ces dernières années à un regain de l’antisémitisme, alors qu’elle est de plus dirigée par un parti associé à l’extrême-droite. Comment dans ces conditions, et alors que la guerre à Gaza enflamme les esprits en Europe, assurer à long terme la stabilité de la vie juive autrichienne ?

Sur quelles ressources idéologiques s’appuient les partisans de la solution binationale, alors même que la cohabitation entre Israéliens et Palestiniens semble plus que jamais compromise ? Denis Charbit nous livre ici son compte rendu critique du dernier ouvrage de Shlomo Sand, Deux peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme (Seuil). Soulignant comment l’ouvrage resitue une idée binationale née dans la pensée sioniste, il nous prévient cependant contre la supercherie qui consiste à faire jouer une perspective critique interne au sionisme contre le projet lui-même.

Pour ce nouveau volet de notre série, conçue en partenariat avec la DILCRAH, sur l’antisémitisme en Europe, Liam Hoare s’est intéressé à la stratégie autrichienne de lutte contre la haine et les préjugés envers les juifs. Dans cette première partie de son enquête, qui sera complétée la semaine prochaine, il s’arrête sur la volonté de pérenniser la vie juive autrichienne, notamment par une politique éducative. Mais comment cela s’articule-t-il avec le passé autrichien de collaboration dans les crimes nazis ?

Nous avons, en mars 2022, publié des bonnes feuilles de la nouvelle traduction en français de ‘Motl, fil du chantre’ de Sholem-Aleikhem. La suite – ‘Motl en Amérique’ – est désormais disponible, grâce aux traductrices Nadia Déhan-Rotschild et Evelyne Grumberg et aux éditions de l’Antilope. Le grand conteur yiddish y raconte l’arrivé du paquebot le Prince Albert à New York, l’appréhension et l’espoir des émigrants, le passage par Ellis Island de Motl et sa famille, les premiers pas dans les ‘strites’ de New York et leur nouvel exil… 

Dans le texte qu’il fait paraître dans K. cette semaine, Jean-Claude Milner nous offre son analyse acérée de l’évolution de l’alliance entre les États-Unis et Israël qu’il nous faut en effet constater. Et pour le philosophe, il s’agit bel et bien de circonscrire les ressorts d’un véritable divorce en cours. Bruno Karsenti et Danny Trom – avec en tête le très récent discours du chef de la majorité démocrate au sénat Chuck Schumer – reviennent sur le texte de Jean-Claude Milner et s’interrogent autrement sur la profondeur de la crise entre les États-Unis et Israël.

Depuis de nombreuses années, Jean-Claude Milner est attentif et lucide à ce que font les signifiants « Juif » et « Israël » dans la reconfiguration de l’Occident post-Shoah. Un livre décisif comme Les penchants criminels de l’Europe démocratique (2003) demeure un objet de méditation constante pour de nombreux lecteurs, soucieux de mesurer à nouveau frais l’ampleur de la « question juive » en Europe. Pour K., il analyse cette semaine, dans le contexte déterminé par le 7 octobre et la guerre à Gaza, la restructuration du rapport entre Israël et les États-Unis.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.