Culture

L’exposition pensée par la commissaire Isabelle Cahn et scénographiée par Joris Lipsch au mahJ – Proust du côté de la mère – recueille les traces mnésiques de la condition juive de Proust. Elle sollicite aussi une réflexion plastique sur le sens de l’art et de son histoire, sur l’institution muséale elle-même, sur la puissance de l’image et son effet sur le regard comme sur la pensée – autant de thèmes, incessamment travaillés dans La Recherche du temps perdu, sur lesquels Avishag Zafrani revient pour K.

Yehoshua est mort le mardi 14 juin à l’âge de 85 ans et il est difficile de ne pas avoir le sentiment que nous approchons de la fin d’une époque. Celle d’Aharon Appelfeld (1932-2018), d’Amos Oz (1938-2018) et d’A.B. Yehoshua (1936-2022), qui ont incarné une génération de lions de la littérature israélienne, lesquels n’étaient pas seulement de grands écrivains. Cette génération représentait aussi la conscience morale d’une nation qu’ils ont vu naître.

En mai dernier, Gallimard faisait paraître « Guerre », le premier des manuscrits inédits de Céline, disparus depuis la fin de la guerre et disponibles à nouveau au terme d’une histoire rocambolesque encore largement secrète. Spécialiste de l’auteur de ‘Voyage au bout de la nuit’, Philippe Roussin revient pour K. sur l’entreprise que constitue l’édition de ses manuscrits perdus et retrouvés, un travail problématique mais dont l’objectif est ailleurs. Car au fond c’est toujours du statut de gloire littéraire de Céline dont il est question, au prix d’une entreprise d’effacement et de réécriture visant à réintégrer l’auteur dans le panthéon national et à en faire une machine à cash.

L’enfant terrible de la philosophie juive internationale d’après-guerre, voilà probablement la meilleure manière de décrire Jacob Taubes. Admiré et sollicité par tous ses contemporains, Taubes incarne une figure qui se répète dans l’histoire de la pensée : celle du génie sans œuvre. Mais Taubes ne correspond pas exactement à cette image. Car sa vie durant, plutôt qu’une œuvre, le génie laissa… une impression mitigée. Scholem allait jusqu’à se cacher dans des coins obscurs quand il risquait de le croiser par hasard tandis que d’autres furent désireux de faire sa connaissance. C’est à cet étrange monsieur Taubes que Jerry Muller vient de consacrer une biographie : ‘Professor of Apocalypse. The many lifes of Jacob Taubes’. Mitchell Abidor en propose une lecture qui nous plonge dans la folle vie d’un personnage oscillant entre Shlemiel et faux messie.

Après Amalia, Joel Whitebook nous présente la seconde mère de Freud : la nourrice catholique qui s’occupa de lui durant les premières années de sa vie et lui apporta le soutien émotionnel qui lui manquait. A posteriori, c’est aussi à cette fréquentation infantile que Freud fera remonter sa découverte de la sexualité. D’une mère à l’autre, ces deux portraits éclairent puissamment la place problématique que Freud a ménagé aux femmes dans la science psychanalytique ; et les enrichissements qu’elle appelle aujourd’hui en passant la vie de l’homme Freud au tamis de sa propre théorie.

Anna Freud, la fille de Freud, déclara que sa grand-mère était « dévouée et fière de son [fils], comme le sont les mères juives ». Le fait est que cette mère, Amalia, Galicienne superstitieuse qui parlait essentiellement le yiddish, avait prédit que son Sigmund, sur lequel elle projeta ses rêves de grandeur, deviendrait un grand homme. Mais qui était la mère du fondateur de la psychanalyse ? Et, d’ailleurs, combien de mères a-t-il eues? K. publie cette semaine la première partie de l’analyse de Joel Whitebook sur la relation de Freud à ses figures maternelles. Car on rencontrera la semaine prochaine la seconde mère de Freud, sa « nannie » catholique, vieille et laide celle-là, mais pas moins importante pour le jeune Freud en pleine phase de curiosité sexuelle…

L’année 2022 marque les cent ans de la mort de Marcel Proust. Pour l’occasion, le « côté juif » de l’auteur de La Recherche fait l’objet d’une attention inédite. Le mahJ lui consacre depuis quelques semaines une excellente exposition « Marcel Proust. Du côté de la mère », dont le conseiller scientifique est le professeur au Collège de France Antoine Compagnon, qui vient de faire paraître Marcel Proust du côté juif (Gallimard). Le livre enquête sur les réceptions de l’œuvre qui se sont intéressées à son aspect « juif ». L’hypothétique judaïsme de Proust a fait couler beaucoup d’encre. Pour K., Milo Lévy-Bruhl propose de faire un pas de côté pour saisir le rôle pivot du grand romancier à l’intérieur d’un judaïsme moderne traversé à la fois par des dynamiques d’émancipation et de retour.

K. Publie cette semaine un entretien d’Antoine Nastasi avec Aharon Appelfeld, réalisé en 2010 et paru d’abord dans la revue ‘Esquisse(s)’. Nous avons demandé à Valérie Zenatti – sa traductrice en français et l’auteur de ‘Dans le faisceau des vivants’ (2019, Editions de l’Olivier), le beau livre dans lequel elle évoque ses relations de travail et d’amitié avec lui – de le lire et de l’introduire. Elle nous a donné ce texte sur les langues d’Appelfeld, autrement dit sur la tension qui traverse le grand écrivain entre l’allemand, sa langue maternelle mais aussi celle des bourreaux, et l’hébreu, sa langue adoptive dans laquelle il a construit une œuvre que sa mère n’aurait pas pu lire…

Romancier et poète israélien, né le 16 février 1932 à Jadova (près de Czernowitz, alors en Roumanie, aujourd’hui en Ukraine) et mort le 4 janvier 2018 à Petah Tikva en Israël, Aharon Appelfeld n’a eu de cesse de « traduire » son expérience d’enfant ayant survécu à la destruction des Juifs d’Europe. Nous sommes heureux de publier dans K. l’entretien réalisé par le psychanalyste Antoine Nastasi en août 2010 dans la revue ‘Esquisse(s)’ dont il était le rédacteur en chef. L’auteur de ‘Histoire d’une vie’ y parle de l’écriture et des mots, de l’hébreu « qui a modelé le caractère du peuple juif » et témoigne du mouvement des langues dans lequel l’histoire l’a ballotté, de l’allemand à l’hébreu, en passant par le yiddish.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.