Allemagne

90 ans après l’accession d’Hitler au pouvoir, la philosophe Julia Christ dresse un état des lieux de la mémoire allemande. À côté de l’indéniable travail de réparation et de repentance accompli outre-Rhin, elle pointe les impensés, les failles et les impasses mnésiques qui déforment le regard porté sur le passé nazi ainsi que l’érosion progressive du sentiment de culpabilité qui en découle. Entretien réalisé, en partenariat avec Akadem, par Rafaël Amselem.

Cet été, K. vous propose de retrouver chaque semaine une sélection de quatre articles, déjà parus dans nos pages, mais rassemblés pour l’occasion autour de  quelques thématiques phares. Cette semaine : un dossier sur l’Allemagne avec des textes et reportages de Julia Christ, Lisa Vapné, Constantin Goschler et Barbara Honigmann.

En recevant le prix littéraire Elisabeth Langgässer en 2012, Barbara Honigmann a prononcé un discours qui représentait un défi pour elle. Car comment faire le portrait d’un écrivain, fervente catholique, si problématique à ses yeux ? Parce que « demi-juive », Elisabeth Langgässer fut interdite de publication par un régime nazie dont elle voulait tant qu’il l’absolve de son origine qu’elle écrivit à Goebbels pour lui demander d’être réintégrée au sein de la Chambre de la littérature du Reich, arguant que son talent provenait exclusivement de sa lignée maternelle, purement aryenne…

Le 30 janvier 1933, il y a quatre-vingt-dix ans cette semaine, Hitler était nommé chancelier du Reich. Face à cet événement l’Europe entière attendait qu’une personne prenne la parole : Karl Kraus, juif viennois, pamphlétaire radical et polémiste universellement redouté qui avait fondé en 1899 Le Flambeau, journal dont il fut le rédacteur unique à partir de 1911 et aux flèches duquel peu de ses contemporains ont échappé. Or, Karl Kraus refuse de parler. Au lieu de commenter « l’événement » il s’acharne à faire comprendre à tous ceux qui veulent « en parler » pourquoi il n’y a plus rien à dire. Julia Christ revient sur le silence de celui qui jusque-là avait toujours trouvé quelque chose à dire et rend compte de sa signification pour l’histoire de l’Europe.

200.000 Juifs soviétiques se sont installés en Allemagne depuis les années 1990. S’ils ont migré dans le pays des assassins, c’est en partie parce que l’Allemagne a mené une politique d’accueil très positive à leur égard, mais aussi parce que le judaïsme soviétique n’avait pas les mêmes représentations de ce pays que les Juifs de l’Europe de l’Ouest. Lisa Vapné nous raconte l’histoire de l’intégration complexe de ceux qui étaient d’abord désirés, puis ont déçu, et enfin jusqu’aujourd’hui se battent en grande partie pour être reconnus par leur propre communauté.

L’examen autocritique de l’ère nazie fait partie de la culture politique de l’Allemagne d’aujourd’hui. C’est cependant sur l’histoire d’une autre « culture » que l’avocat Zachary Simon revient dans son récit dont nous publions cette semaine la seconde partie : une longue culture judiciaire de l’acquittement des criminels nazis, laquelle aura commencé à se fissurer au moment les criminels poursuivis et jugés sont devenu des paisibles nonagénaires…

Pour faire face à sa responsabilité dans la Shoah, l’Allemagne a construit une « culture du souvenir » largement reconnue, qui place son passé au premier plan. Pourtant à y regarder de plus près, des fissures apparaissent dans ce tableau. Car pour l’avocat et écrivain Zachary Simon, derrière l’attachement proclamé du pays à la mémoire de la Shoah, une timidité pour juger les criminels, voir un mépris pour la justice, est manifeste.

La présence d’une toile ouvertement antisémite dans la plus grande exposition d’art contemporain mondiale – la documenta, qui a lieu tous les cinq ans depuis 1955 dans la ville de Cassel – a défrayé la chronique en Allemagne. La ministre de la culture n’a pas voulu prendre position au nom de la liberté de l’art et le Zentralrat der Juden in Deutschland, le conseil central des juifs d’Allemagne, a demandé sa démission. Récit par Julia Christ d’une folle semaine de discussions et d’excuses toutes en fausse humilité autour de l’œuvre incriminée.

Depuis le 18 mars dernier et jusqu’au 3 octobre prochain, le musée juif de Francfort présente l’exposition « Vengeance : Histoire et Imaginaire » (« Rache, Geschichte und Fantasie »). Le spectre de cette exposition est large : des récits bibliques aux films de fictions populaires ; de Judith et Holopherne à Quentin Tarantino, le réalisateur d’Inglorious Basterds ; du motif antisémite qui fait des Juifs des êtres vengeurs par essence aux épisodes de l’histoire où des Juifs ont voulu répondre par la vengeance à la violence dont ils étaient les victimes. Elie Petit a rencontré la directrice du musée, Mirjam Wenzel, et le curateur de l’exposition, Eric Riedel, pour les interroger sur les objectifs et les difficultés d’une telle exposition.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.