Karl Kraus a fait de sa vie une affaire publique et fait des affaires publiques le souci de sa vie, son existence se résumant à ses prises de position, auxquelles il donna une forme pamphlétaire et satirique à nulle autre pareille. Ce fut une star de la vie intellectuelle dans l’Europe du début du XXe siècle. En 1899, il fonde à Vienne Le Flambeau, un journal dont il devient, en 1911, l’unique financier, éditeur et auteur. Cette solitude était pour lui le moyen de se créer un espace de parole critique absolument libre, radical et souverain. Mais, après que Hitler ait été nommé chancelier du Reich – le 30 janvier 1933, il y a quatre-vingt-dix ans cette semaine –, il écrivit cette phrase restée fameuse : « Je n’ai rien à dire sur Hitler ». Rien à dire, Karl Kraus ? Comment comprendre que cet essayiste-là soit resté muet face à l’arrivée au pouvoir du nazisme ? Julia Christ rouvre le dossier sur ce silence qui, comme elle le rappelle, avait intensément surpris et préoccupé le monde intellectuel autrichien, germanophone et plus largement européen. Mais sa réflexion sur la position de Karl Kraus, qui se donne à lire aussi comme un fascinant portrait de la figure complexe que fut l’essayiste viennois, la mène jusqu’à aujourd’hui, sur ce qui se dit et ne se dit pas – ou mal ou pas encore – à propos d’Hitler dans notre Europe contemporaine.
Depuis les dernières élections israéliennes et la formation du nouveau gouvernement, la mobilisation des opposants n’a cessé de croître. Elle a atteint 130 000 personnes en Israël la semaine dernière, et les pétitions se multiplient dans le pays. Un regard israélien qui vient à l’appui de cette opposition s’exprime cette semaine dans K. Le grand historien des religions Guy Stroumsa, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, intervient ici pour nous dire comment l’État d’Israël est parvenu à une telle situation, et ce qui se joue exactement dans la polarisation à laquelle nous assistons.
Enfin, nous republions le beau texte de Maxime Decout sur Albert Cohen, romancier hors-norme, auteur d’une somme qui, de Solal en 1930 aux Valeureux en 1969, en passant par Mangeclous (1938) et Belle du seigneur (1968), doit s’appréhender comme une vaste fresque, une unique tempête de lyrisme et de fulgurances narratives où le comique et le tragique s’empoignent dans un jeu virtuose et foisonnant qui place à l’un de ses multiples centres une réflexion unique sur le destin juif. « Albert Cohen, romancier de la totalité » selon Maxime Decout.
La semaine dernière, dix jours après que nous publiions la traduction inédite en français de son texte sur Vilnius, Grigory Kanovich, l’écrivain lituanien de langue russe, est mort en Israël à l’âge de 94 ans. Nous avions également publié l’été dernier, sous la forme d’un feuilleton en plusieurs épisodes, sa longue nouvelle « Pauvre Rothschild ». Nous adressons nos condoléances à sa famille, qui nous a aidés pour faire paraître dans K. quelques textes de cet écrivain important que nous sommes heureux d’avoir contribué à faire connaitre en France.