# 73 / Edito

 

Décidément, on n’est jamais tranquille. Nous avions prévu d’offrir à nos lecteurs un peu de littérature en attendant la rentrée, et de publier jusqu’à la fin du mois d’août – en un feuilleton de quatre épisodes– la longue nouvelle d’un grand auteur lituanien jamais traduit en français. Mais l’actualité nous oblige à la faire précéder d’un texte que nous n’avions pas prévu de proposer. Car il fallait bien réagir au combat que des députés communistes et insoumis ont cru bon, au cœur de l’été, de placer au premier rang de leurs priorités. La proposition de résolution – déposée le 22 juillet dernier et qui a enflammé l’Assemblée nationale depuis – s’échine en effet à vouloir définir la politique israélienne comme l’institutionnalisation d’une politique d’apartheid, au sens d’« un régime d’oppression et de domination d’un groupe racial sur un autre ». La question sociale pouvait attendre, il y avait plus urgent : faire de la dénonciation d’Israël le point sur lequel l’unité de la Nupes doit s’éprouver. La séquence qui s’en est suivie était programmée d’avance : on s’est écharpé sur les mots – antisionisme, apartheid, antisémitisme – comme si leurs sens étaient un secret introuvable, ce qui a engendré un psychodrame parlementaire. Bruno Karsenti revient sur l’épisode, qu’il analyse comme un écueil de la gauche européenne en général. Écueil qu’il lui faudra surmonter si elle veut vraiment se reconstruire. Car la critique de la politique d’Israël ne peut ainsi être surdéterminée par un antisionisme à usage domestique. Les jours de guerre réelle qui ont suivi à Gaza, avec son lot inacceptable de victimes civiles palestiniennes, montrent l’urgence qu’il y a à prendre le problème tout autrement, sans ces parasitages où un antisémitisme tout aussi réel trouve son débouché.

Né en juin 1929 à Janova, dans une famille juive de langue yiddish, Grigory Kanovich a publié de nombreuses nouvelles et dix romans, traduits dans de nombreuses langues. En ce mois d’août, sous la forme d’un feuilleton de quatre épisodes, K. publie la première traduction en français – par Elena Guritanu – d’une de ses nouvelles, écrite en russe. « Mes romans forment une sorte de saga litvak, un monument écrit à la mémoire des Juifs lituaniens disparus. » : c’est ainsi que l’écrivain lituanien de 93 ans qui vit aujourd’hui en Israël aime à décrire son œuvre — à laquelle nous introduit le texte d’Elena Guritanu et Elie Petit.

La nouvelle que nous présentons, « Le Pauvre Rothschild », raconte l’histoire d’Itzik, qui n’est ni baron à Paris, ni Lord à Londres, mais garçon de bain dans le Shtetl où il est né.  Encouragé par ses deux protecteurs, le rabbin Hillel et le pharmacien Zalman Amsterdamskii, Itzik se met à rêver d’un lien de famille et d’un autre destin, d’émancipation et de richesse : « Le pauvre Itsik avait beau essayer de sortir de sa tête Paris et Londres et de se concentrer sur autre chose, il n’y parvenait pas. Qu’il descende à la rivière avec les seaux et la palanche, qu’il fende du bois dans la cour, qu’il file chercher des médicaments pour son père à la pharmacie du petit lieu, où régnaient des odeurs paradisiaques, ses prétendus parents le suivaient où qu’il aille. Même la nuit, ils lui apparaissaient dans de drôles de rêves – voilà que lui, le Pauvre Rothschild du tout petit lieu, se tient dans la salle immense et inondée de lumière d’un palais royal, à côté de ces célèbres nantis, du seigneur-roi des lieux et de toute sa famille. »

Bien qu’elle ait été réunie pour se consacrer prioritairement aux enjeux de pouvoir d’achat, les députés communistes et insoumis ont estimé nécessaire de profiter de cette session parlementaire estivale pour mettre au premier rang de leur combat une résolution condamnant le supposé régime d’apartheid institutionnalisé par l’État d’Israël. Au-delà des polémiques qu’elle a suscitées, Bruno Karsenti propose de lire cet empressement anti-israélien comme un énième symptôme de la crise de la critique que traverse la gauche française depuis plusieurs années.

« Mes romans forment une sorte de saga litvak, un monument écrit à la mémoire des Juifs lituaniens disparus. » C’est ainsi que Grigory Kanovich aime à décrire son œuvre. Né en juin 1929 à Janova, dans une famille juive de langue yiddish, il a publié de nombreuses nouvelles et dix romans, traduits dans de nombreuses langues. Au mois d’août dernier, sous la forme d’un feuilleton de quatre épisodes, K. publiait la première traduction en français — par Elena Guritanu — du « Pauvre Rothschild ». En ce début d’année, nous continuons la saga juive de ce prolifique écrivain lituanien de 93 ans avec le récit « J’ai rêvé de Vilnius, la Jérusalem disparue », écrit en hommage à la capitale de la Lituanie. Elie Petit et Elena Guritanu retracent le parcours de Grigory Kanovich.

« Tous les Juifs du « petit lieu » appelaient Itsik – le fils du préposé aux bains Avigdor – non pas par le nom qui lui fut donné à sa naissance, mais par son patronyme précédé de l’immanquable épithète « pauvre ». Même de la bouche du rabbin Hillel, qui connaissait sur le bout des doigts le nom de chaque Juif que Dieu avait mis sous ses auspices, le sobriquet finissait par s’échapper :
— Comment vas-tu, Pauvre Rothschild ? »

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