#61 / Edito

 

Ouvrir une école juive en France : voilà une entreprise qui n’allait pas de soi, dans l’entre-deux-guerres, au pays de l’assimilation. C’est pourtant l’ambition qui préside à la fondation de l’École Maimonide : le premier établissement secondaire « juif et républicain ». Presque centenaire, l’école a surmonté bien des défis : la montée de l’antisémitisme, la Shoah, la prise en charge des survivants, l’intégration des populations juives d’Afrique du Nord, le départ vers Israël de ses cadres, l’explosion de la demande d’inscriptions dans le privé et, depuis deux décennies, le renouveau de l’antisémitisme. Pour la première fois la passionnante trajectoire de cette école atypique nous est racontée par l’historien Joseph Voignac dans un livre que publient les éditions de l’Antilope et dont K. vous propose aujourd’hui les bonnes feuilles. À travers elle, c’est une partie du destin des juifs de France depuis les années 20 qui s’éclaire.

Ruben Honigmann, dans un texte à la fois drôle et profond, avait déjà raconté dans K. comment il se percevait comme l’héritier d’une langue allemande-juive que personne ne connait plus ni ne veut connaître. Il poursuit son introspection sur la complexité d’une identité juive kaléidoscopique en nous conduisant cette fois à Vienne, la ville de sa grand-mère légendaire. Son nouveau témoignage interroge cette semaine, toujours avec humour et profondeur,  son désir d’acquisition de toutes les pièces d’identité possibles auxquelles il peut prétendre…

Enfin, c’est vers une autre enfance viennoise que nous emmène le texte de Joel Whitebook, celle de Sigmund Freud, marquée par ses deux mères… Anna Freud, la fille de Freud, confiait que sa grand-mère était « dévouée et fière de son [fils], comme le sont les mères juives ». Mais qui était la mère du fondateur de la psychanalyse ? Et, d’ailleurs, combien de mères a-t-il eues ? On sait relativement peu de choses sur le rapport du père de la psychanalyse à la figure maternelle, lui qui, il est vrai, a construit son œuvre en explorant davantage le continent des pères, le désir de ses patients de les tuer ou de les remplacer et les effets psychiques souvent dévastateurs de cette pulsion interdite. La mère, pour centrale qu’elle soit comme objet sexuel, est étonnamment absente en tant que telle. Celle de Freud lui-même, lorsqu’elle apparaît sous sa plume, est hautement idéalisée comme jeune et belle mère passionnément dévouée à son fils premier-né. Joel Whitebook, l’auteur d’une biographie intellectuelle de Freud[1], met à mal ce mythe de la « bonne mère aimante » qu’aurait été Amalia, cette mère juive galicienne superstitieuse qui semble avoir eu une influence bien plus grande sur le développement de la psychanalyse que Freud lui-même ne pouvait le percevoir. K. publie cette semaine la première partie de cette analyse, où l’on voit une Amalia complexe face à son « Sigi », avant que, la semaine prochaine, on ne rencontre la seconde mère de Freud, sa « nannie » catholique, vieille et laide celle-là, mais pas moins importante pour un jeune Freud en pleine phase de curiosité sexuelle.

 

Notes

1 Joel Whitebook. Freud. An Intellectual Biography. Cambridge University Press, UK, 2017.

Les éditions de l’Antilope publient demain le premier livre de Joseph Voignac. Ce jeune historien a enquêté sur une institution atypique : l’école Maïmonide, le premier établissement secondaire juif de France. De sa fondation dans l’entre-deux-guerres jusqu’au début du XXIe, l’auteur dresse le portrait de cette grande institution « juive et républicaine ». Mais à travers l’histoire de cette école, c’est aussi le destin des Juifs en France depuis un siècle qui s’expose : du « réveil juif » de l’entre-deux-guerres, à l’épreuve de la Shoah, de l’accueil des populations juives originaires d’Afrique du Nord à la guerre des Six jours, du renouveau de l’antisémitisme depuis trente ans en passant par l’attraction du sionisme puis de l’État d’Israël. K. propose en exclusivité quelques extraits de ce livre passionnant.

« J’aime bien Soukot. Pendant une semaine, les juifs sont tenus de prendre leurs repas dans un habitat éphémère, en hébreu une souka qu’on traduit, faute de mieux, par « cabane » pour aiguiser la curiosité des enfants et peut-être aussi attendrir les antisémites (…) Une savante construction solide-fragile dans laquelle on migre trois fois par jour, chariot à la main. En s’installant provisoirement à l’extérieur tout en gardant un pied à la maison, le dedans et le dehors se confondent, résidence principale et secondaire s’inversent. Bref, on met en scène son propre exil. Et comme je n’arrive jamais à me sentir totalement bien là où je me trouve, espérant à chaque station que la prochaine sera la bonne, cette fête de la bougeotte me convient parfaitement. »

Anna Freud, la fille de Freud, déclara que sa grand-mère était « dévouée et fière de son [fils], comme le sont les mères juives ». Le fait est que cette mère, Amalia, Galicienne superstitieuse qui parlait essentiellement le yiddish, avait prédit que son Sigmund, sur lequel elle projeta ses rêves de grandeur, deviendrait un grand homme. Mais qui était la mère du fondateur de la psychanalyse ? Et, d’ailleurs, combien de mères a-t-il eues? K. publie cette semaine la première partie de l’analyse de Joel Whitebook sur la relation de Freud à ses figures maternelles. Car on rencontrera la semaine prochaine la seconde mère de Freud, sa « nannie » catholique, vieille et laide celle-là, mais pas moins importante pour le jeune Freud en pleine phase de curiosité sexuelle…

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.