Il y a quelque chose de sidérant à constater que, quatre-vingts ans après la Shoah, la question du « parc » des monuments européens qui lui sont consacrés demeure ouverte : il y a les monuments toujours en attente (comme en témoignaient à la fois le texte de Lisa Vapné paru la semaine dernière sur les enjeux de mémorialisation de Babi Yar et celui de Romano Bolković, paru dans K. le 24 mai dernier, sur une Croatie à la recherche constante de son mémorial) ; et puis les monuments encombrants dont on ne sait que faire, dans une Europe qui doit négocier la place de la part problématique de son patrimoine monumental d’avant le génocide avec l’image qu’elle veut se forger après. Le monument Lueger, l’un des plus hauts de Vienne, au sommet duquel se tient une statue de quatre mètres du maire antisémite du parti Chrétien-Social de la capitale autrichienne entre 1897 et 1910, est un cas d’école. Hitler, qui a passé une partie de sa jeunesse dans la ville de Karl Lueger considérait ce dernier comme l’un des plus grands « maires allemands de tous les temps ». Sur le piédestal du monument, le mot « Honte » [Schande] est tagué depuis des mois et un collectif d’artistes et de militants viennois organise des « veillées de la honte » [« Schandwache »]. L’affaire, qui agite encore à ce jour la vie politique de Vienne, nous est racontée cette semaine dans une enquête très détaillée de Liam Hoare.
C’est une autre sorte de monument que Benny Mer a dressé : un monument de mots et de récits en souvenir de la rue Smotschè, une des rues emblématiques de la Varsovie juive et populaire d’avant-guerre – dont il ne reste rien, sinon quelques traces. « Pourquoi m’intéresser à Smotshè ? » se demande l’écrivain israélien, dans Smotshè Biographie d’une rue juive de Varsovie qui vient de paraître aux Éditions de l’Antilope et dont nous publions aujourd’hui, avec leur aimable autorisation, le premier chapitre. Parce qu’il ne cesse de s’identifier à elle et qu’il veut restituer la vitalité d’un monde disparu qu’aucun monument ne pourra jamais honorer.
Nous vous avions parlé de David Miller, ce professeur à l’université de Bristol selon qui « la sphère publique britannique est prise d’assaut par l’État d’Israël et ses défenseurs ». Dans un communiqué publié le 1er octobre dernier son employeur a annoncé qu’« après une enquête approfondie », la décision avait été prise que « David Miller n’est plus membre du personnel de l’Université de Bristol. » En relisant le texte de David Hirsh consacré au sociologue et publié dans K. en mai dernier, on comprend pourquoi le même communiqué peut avancer en effet que « le professeur Miller ne respectait pas les normes de comportement que nous attendons de notre personnel, [ce qui a mené] l’Université [déterminée à favoriser un environnement de travail et d’apprentissage positif] a conclure que l’emploi du professeur Miller devrait être résilié avec effet immédiat. » Il va de soi que pour David Miller, tout ce qui lui arrive est la faute d’Israël. Son licenciement ? Le résultat d’une « campagne de pression contre moi supervisée et dirigée par un gouvernement étranger hostile ». Et désormais, selon lui – comme le rapporte le Jewish Chronicle – « l’université de Bristol n’est plus un endroit où les étudiants musulmans, arabes ou palestiniens sont en sécurité »…