#25 / Edito

La tentation de voir dans la reconnaissance du caractère singulier de la Shoah un obstacle à la reconnaissance des crimes coloniaux est connue. C’est par ce biais que la mouvance postcoloniale, depuis au moins trois décennies, s’est engagée dans une concurrence victimaire dérisoire avec un penchant qui confine souvent au révisionnisme. L’article récent de l’historien Dirk Moses « Der Katechismsus der Deutschen » (Le catéchisme des Allemands) indique que cette ligne de pensée jadis hétérodoxe devient progressivement une doxa. Elle n’est plus produite à la marge de l’université, mais s’invite au cœur du débat public allemand et vient percuter la manière dont l’Allemagne elle-même intègre la Shoah dans sa conscience politique. Effectivement, dès lors que la Shoah est normalisée, la perception de sa singularité ne peut être rapportée qu’à des effets de domination dont les bénéficiaires sont logiquement les Juifs et leurs alliés supposés.

Dans un texte inédit en français, Saul Friedländer, le grand historien de la Shoah, revient cette semaine sur cette question qui nous a souvent occupés dans K.[1]. Il analyse les conditions qui permettent à une certaine pensée postcoloniale d’inscrire l’extermination des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale dans la continuité des crimes et des violences commises par l’Occident. Il déplore que la reconnaissance des violences coloniales, en effet trop longtemps ignorées, semble devoir en passer par le refoulement de la spécificité du crime commis contre les Juifs par les nazis.

L’usage et la caractérisation de la mémoire de la Shoah font décidément en Europe l’objet d’un débat qui ne cesse de connaître des à-coups, en se diffractant selon les pays. Nous publions cette semaine la deuxième partie de l’essai d’Ewa Tartakowsky sur une visite scolaire du « Musée des Polonais sauvant les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale » à Markowa en Pologne. La Pologne semble se forger, à travers ce type de dispositif, un récit nationaliste ethno-religieux promu par le gouvernement du PiS, qui soit compatible avec la reconnaissance de l’extermination des Juifs de Pologne tout en s’exonérant de toute responsabilité dans le crime. 

Le troisième texte proposé par K cette semaine est une fiction. Il nous détourne du présent en nous projetant dans l’espace et dans le futur, dans une dimension spatio-temporelle encore vierge de toute colonisation : il y est question de Star Trek et d’un certain « Moritz Benayoun » qui plonge le personnage principal de la nouvelle dans une rêverie judéo-cosmique assez inattendue…

Alors que l’antisémitisme sévit dans le monde entier, la mémoire de la Shoah est de plus en plus critiquée au nom d’idées postcoloniales. La dernière attaque en date est signée par l’historien australien Dirk Moses. Le grand historien de la Shoah Saul Friedländer, dans un article originairement paru dans Die Zeit, contre-attaque : l’extermination des Juifs est un événement qui diffère fondamentalement des atrocités coloniales commises par l’Occident.

La semaine dernière, Ewa Tartakowsky nous racontait les conditions dans lesquelles se déroule aujourd’hui, à l’époque du PiS, une visite scolaire comme celle du « Musée des Polonais sauvant les Juifs durant la Seconde Guerre mondiale – Famille Ulma » à Markowa. Suite et fin de cette plongée au cœur de ce qui apparait comme un récit ethno-religieux biaisé de l’histoire des relations entre Polonais non juifs et Juifs de Pologne.

« Le docteur que Picard était venu voir pour passer des examens en vue d’être rétabli aux commandes d’un vaisseau de Starfleet, ce vieil ami qu’il avait rencontré plus d’un demi-siècle auparavant à bord du Stargazer, s’appelait Moritz Benayoun. « Benayoun ?! », s’écria Hayon. Son étonnement était double. D’abord, Star Trek laissait envisager que, dans moins de quatre siècles, les Juifs du futur compteraient parmi eux des sépharades de l’espace. Mais surtout, il était stupéfait que ce docteur Benayoun portât le même nom que lui. Ou plutôt le nom que, à peu de choses près, il aurait pu porter. »

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.