# 177 / Edito

Pendant cette pause estivale, la revue interrompt ses publications originales. Cependant, en attendant la rentrée, nous proposerons chaque semaine à nos lecteurs un dossier de reprises explorant une thématique importante qui nous a mobilisés cette année et qui, dans le contexte qui est le nôtre, demeure d’actualité. L’occasion de découvrir l’article à côté duquel vous étiez passé, de redécouvrir celui qui vous avait interpellé, et de partager à vos amis qui ne connaissent pas encore K. quelques-unes de ses publications. Pour rappel, nos archives sont ouvertes et nous vous invitons à cheminer parmi les centaines de textes que nous avons déjà publiés depuis trois ans et demi, et qui témoignent de l’ambition de la revue : cheminer entre actualité et profondeur historique, pour rendre compte des enjeux contemporains qui appellent une réflexion sur la situation des juifs européens.

Cette semaine, notre dossier donne à entrapercevoir des bribes de vécu, parfois intime. Chaque témoignage à la première personne qui le compose permet d’apprécier, dans leur diversité, les expériences et identités juives contemporaines. Ces dernières y apparaissent tour à tour placées sous le signe de l’étrange, du décalage, du désarroi, de la dualité, de l’incompréhension ou encore du doute. Peut-être est-ce la réflexion proposée par Ivan Segré qui rend encore le mieux compte de l’impression qui se dégage de l’ensemble, puisqu’il y voit l’expérience de l’identité juive irrémédiablement partagée entre l’inéluctable de l’inscription généalogique, et la singularité de l’affirmation subjective.

Que se passe-t-il lorsque, l’insouciance des festivités rituelles prenant fin, le cours impitoyable de l’Histoire reprend ses droits sur les esprits ? Ruben Honigmann nous livre dans ce texte le récit intime de ce week-end du 7-8 octobre où la mesure de l’événement n’est prise qu’une fois les portables rallumés. De ce décalage temporel et existentiel, il fait un élément constitutif du trouble des juifs qui, en attendant l’aurore du 9, sont condamnés à claudiquer.

Méssaouda, c’est une arrière-grand-mère juive arabe qui vient de mourir. De son histoire, de son humour et, surtout, de sa langue, Yossef Murciano, son arrière-petit-fils, garde avant tout le souvenir d’une incompréhension. Dans ce texte, le descendant lointain évoque, à l’heure des adieux, son rapport d’étrange familiarité avec la culture juive marocaine, dans laquelle il a baigné toute sa vie, sans pourtant jamais véritablement la connaître.

« C’est le calme après la tempête. / C’est le calme avant la tempête. / Nous savons ce qui s’est passé. / On a repris une vie normale. / Nous savons ce qui est encore à venir. / On égarera cette vie normale. / La guerre est là, et plus est à venir. »

Pour les juifs, la situation politique actuelle donne l’impression d’être pris dans un étau, comme s’il était impossible de se positionner sans se trahir. Dans ce texte, Judith Lyon-Caen témoigne de ce doute qui l’assaille et de la manière dont un simple petit « h » de trop peut venir inscrire l’impossibilité de s’en défaire.

Un juif qui transgresserait le shabbat sans avoir conscience de son existence devrait-il l’expier ? Partant de ce problème d’une judéité inconsciente d’elle-même, Ivan Segré interroge la bipolarité de l’être juif, entre la facticité de l’inscription généalogique et la radicalité de l’affirmation subjective. Par-là il éclaire l’articulation juive entre l’émancipation individuelle et collective : ce n’est pas parce qu’il se sait juif que Moïse décide de quitter la maison de Pharaon mais, en posant cet acte, il l’était pourtant déjà…

Pour Gabriel Abensour, le franco-judaïsme serait oublieux de ses héritages spirituels. Déplorant l’adoption d’une ultra-orthodoxie qui rigidifie pratiques et esprits, et critiquant le manque d’audace des institutions représentatives de la communauté juive, il en appelle à renouer avec un judaïsme qui connait à la fois la valeur de l’universalisme révolutionnaire et la richesse intellectuelle de la civilisation sépharade.

Frédéric Brenner, après plus de quarante ans de reportages sur la vie juive dans le monde a passé les trois dernières années à explorer Berlin, scène d’un judaïsme européen paradoxal et fascinant où se mêlent des Allemands convertis aux Israéliens en rupture de ban avec le sionisme, la récente immigration des juifs russes avec les rares juifs allemands revenus après-guerre dans le pays où fut décidé leur extermination.

Cette semaine, nous vous proposons de (re)découvrir quelques témoignages écrits à la première personne pour K. Avec des textes de Ruben Honigmann, Yossef Murciano, Judith Lyon-Caen, Judith Offenberg, Ivan Segré, Gabriel Abensour et Frédéric Brenner.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.