# 174 / Edito

Pendant cette pause estivale, la revue interrompra ses publications originales. Pas d’inquiétude cependant : en attendant la rentrée, nous proposerons chaque semaine à nos lecteurs un dossier de reprises explorant une thématique importante qui nous a mobilisés cette année et qui, dans le contexte qui est le nôtre, demeure d’actualité. L’occasion de découvrir l’article à côté duquel vous étiez passé, de redécouvrir celui qui vous avait interpellé, et de partager à vos amis qui ne connaissent pas encore K. quelques-unes de ses publications. Pour rappel, nos archives sont ouvertes et nous vous invitons à cheminer parmi les centaines de textes que nous avons déjà publiés depuis trois ans et demi, et qui témoignent de l’ambition de la revue : cheminer entre actualité et profondeur historique, pour rendre compte des enjeux contemporains qui appellent une réflexion sur la situation des juifs européens.

Cette semaine, nous revenons sur les affrontements discursifs qui entourent le conflit israélo-palestinien. Ils ont pour la plupart d’entre eux été au centre des débats après le 7 octobre. Il sera donc question de discipliner ces mots qui enflamment le conflit : slogans incendiairesinsultes déshumanisantes ou encore qualifications litigieuses. Et, à l’inverse, il s’agira de déstabiliser les significations trop bien établies, les généalogies supposées sans problème et les appellations politiques qui se veulent évidentes. En un mot, de faire en sorte que le langage soit un outil de résolution et d’éclaircissement, plutôt que d’aggravation et d’obscurcissement.

Cet été, nous préparons la rentrée et nous en profitons aujourd’hui pour remercier tous nos donateurs et invitons les lecteurs réguliers qui ne l’auraient pas fait à nous soutenir (via PayPal ou helloasso). Nous sommes en train de développer des projets visant à donner davantage d’impact à la revue, que nous pensons plus que jamais nécessaire en ces temps troublés. Nous savons que beaucoup de lecteurs partagent ce point de vue, puisque leur nombre a été multiplié par plus de deux depuis que le 7 octobre a fait vaciller le monde juif et l’a placé au centre des débats nationaux, comme en ont témoigné les récentes élections en France.

Bonnes vacances et bonne lecture !

La Rédaction

Dans le numéro 129 de K., nous revenions sur la lettre ouverte, titrée « Elephant in the room », dénonçant l’État d’Israël comme régime d’Apartheid. La pétition fut signée par plus de 2.500 universitaires regroupant en un attelage encore inimaginable quelques mois auparavant des sionistes convaincus et des antisionistes déclarés. Nous avons donné la parole à plusieurs auteurs de notre revue qui ont expliqué pourquoi ils avaient signé, même s’ils ne souscrivaient à l’usage du mot d’apartheid. Le texte qui suit explique pourquoi une telle qualification est historiquement et politiquement impropre, contre-productive, fruit d’une analogie absolument impraticable sauf à vouloir jeter avec mauvaise foi un discrédit total sur l’histoire et l’existence même du sionisme.

Les premiers sionistes croyaient-ils vraiment que la Palestine fût une terre déserte, sans population ? C’est, pour certains, ce qui se laisserait deviner derrière la formule « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Diana Muir, en retraçant ici l’histoire de l’origine et des usages de cette formule, montre que ce serait à la fois faire au sionisme un mauvais procès et évacuer la question de la construction de l’identité nationale palestinienne.

Free Palestine. Le slogan à la traduction ambigüe fait florès dans les manifestations en soutien à la population de Gaza. Que sous-tend-il ? Dans ce texte d’une clarté déconcertante, l’essayiste Hussein Aboubakr Mansour revient aux sources du slogan et propose une archéologie de la volonté politique qu’il porte.

Au lendemain de l’attaque du 7 octobre, l’expression « hayot adam » prononcée par plusieurs dirigeants israéliens pour désigner les terroristes du Hamas a choqué, alimentant des polémiques. Traduite de diverses façons par « animaux », « bêtes sauvages », « animaux humains », elle interpelle par sa violence symbolique et, pour qui est sensible aux résonances de la langue hébraïque, par les échos qu’elle trouve dans des textes bibliques et rabbiniques. Le philosophe David Lemler s’engage dans une archéologie de cette expression problématique qui puise tout à la fois dans la mémoire des pogroms et du nazisme et dans des racines plus enfouies dans la représentation du non-Juif dans les sources traditionnelles.

Quel est le ça dont le slogan « Plus jamais ça ! » cherche à conjurer la répétition ? Alors que l’utilisation de la formule se banalise, au point que certains n’hésitent pas à la retourner contre l’État d’Israël, Danny Trom en retrace la genèse, au-delà de la référence à la Shoah. Interrogeant la manière dont les pionniers sionistes se sont appropriés le récit de la résistance héroïque de la forteresse de Massada face aux légions romaines, il éclaire la manière dont le slogan s’articule à la condition juive, et comment il peut encore informer notre perspective sur la situation actuelle.

« Il faut différencier entre antisionisme et antisémitisme » affirment ceux à qui il ne plaît pas d’être qualifiés d’antisémites. Cette exigence, à première vue, n’a rien d’insensée : il est en effet nécessaire de distinguer ce qui relève d’une critique légitime de l’État des juifs d’un sentiment louche et douteux à l’égard de ces derniers. Est-il pour autant nécessaire d’inventer un mot spécifique pour cette critique ? La philosophe Julia Christ traque les différents usages possibles de la notion d’ « antisionisme » et se demande à quelle condition, et dans quel contexte, la critique de l’État d’Israël peut légitimement se dire antisioniste. Cette petite analytique de la critique étatique et de ses modalités permet de percevoir mieux quand l’antisionisme n’est qu’un autre mot pour antisémitisme.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.