Politique - 7 octobre
Pourquoi certains historiens spécialistes de l’antisémitisme refusent-ils absolument toute analogie entre le 7 octobre et les persécutions antijuives historiques ? Matthew Bolton situe ici ce débat aux lourdes implications politiques sur un plan épistémologique, rendant compte des motifs pour lesquels les « historicistes » refusent de concevoir l’antisémitisme comme une « haine éternelle ». Mais il dégage en retour l’impensé de leur méthode, qui finit par dissoudre le concept même d’antisémitisme en faisant oublier sa nécessité historique.
Alors que les bombardements s’arrêtent à Gaza et que les otages israéliens commencent à être libérés, Bruno Karsenti et Danny Trom interrogent les implications de cet accord de cessez-le-feu qui, s’il rend Israël au sens de sa mission historique, laisse latente la menace du Hamas et met en cause la forme prise par les opérations militaires menées depuis plus d’un an.
Les images des crimes du 7 octobre ont suscité, au-delà d’un choc bien compréhensible, de nombreux débats : fallait-il montrer l’horreur que les terroristes du Hamas ont cherché à filmer et à diffuser ? Emmanuel Taïeb interroge ici le destin de ces images et les usages politiques qui en ont été fait, mettant en évidence leur réversibilité et le risque qu’il y aurait à les invisibiliser.
Le résultat du sionisme réalisé, c’est-à-dire l’accès à la souveraineté politique, a aussi signifié pour l’État des juifs la nécessité d’exercer une violence. Dans ce texte, Danny Trom revient sur les difficultés à assumer cette violence infligée, et sur son articulation avec la violence subie par les juifs. Comme si, après la révolution sioniste, les juifs ne pouvaient qu’osciller dans leur rapport à la violence.
« Il faut différencier entre antisionisme et antisémitisme » affirment ceux à qui il ne plaît pas d’être qualifiés d’antisémites. Cette exigence, à première vue, n’a rien d’insensée : il est en effet nécessaire de distinguer ce qui relève d’une critique légitime de l’État des juifs d’un sentiment louche et douteux à l’égard de ces derniers. Est-il pour autant nécessaire d’inventer un mot spécifique pour cette critique ? La philosophe Julia Christ traque les différents usages possibles de la notion d’ « antisionisme » et se demande à quelle condition, et dans quel contexte, la critique de l’État d’Israël peut légitimement se dire antisioniste. Cette petite analytique de la critique étatique et de ses modalités permet de percevoir mieux quand l’antisionisme n’est qu’un autre mot pour antisémitisme.
Jean-Claude Milner analyse, dans le contexte déterminé par le 7 octobre et la guerre à Gaza, la restructuration du rapport entre Israël et les États-Unis.
Depuis le 7 octobre, l’enrôlement de jeunes haredim, juifs ultra-orthodoxes, dans l’armée israélienne, n’est plus tabou. Plusieurs rabbins ou directeurs d’écoles religieuses l’ont même encouragé en Israël, dans un monde « noir » traditionnellement non sioniste, qui se différencie de l’univers sioniste religieux. Une partie importante du mouvement hassidique reste cependant imperméable au chant du canon. Le courant hassidique de Satmar, inconnu en France mais puissant aux Etats-Unis, critique même violemment les partis religieux qui soutiennent la guerre. Pour plonger dans leur univers, entièrement yiddishophone, K. présente de longs extraits de leurs journaux.
Comment expliquer la tendance de la gauche radicale à faire du 7 octobre un non-événement ? Balázs Berkovits revient sur la construction idéologique qui permet d’évacuer la réalité en l’inscrivant dans un scénario manichéen. Si la justice supposée immanente à la cause palestinienne ne peut pas être interrogée par son affiliation à un massacre aux intentions génocidaires, c’est qu’à la critique politique s’est substitué un fondamentalisme moral. Et on peut se demander si, en plus de justifier toutes les atrocités envers Israël, ce dernier n’interdit pas aux Palestiniens de jamais sortir d’une position de victime.
Pourquoi des historiens se sont-ils révélés incapables de qualifier les massacres du 7 octobre en les intégrant à l’histoire de l’antisémitisme ? En analysant cette crise de la profession comme un symptôme, Jacques Ehrenfreund met en évidence son rapport avec une forme de critique radicale des Juifs que l’on voit monter en Occident. Cette dernière, qui reproche aux Juifs de n’avoir pas su tirer les bonnes leçons de l’Histoire, en particulier de celle de leur persécution, relèverait d’ailleurs moins de l’antisémitisme moderne que de l’antijudaïsme chrétien…
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