# 160 / Edito

Le judaïsme américain a longtemps fait figure d’exception dans la diaspora : relativement préservés des expressions meurtrières de l’antisémitisme, suffisamment intégrés pour pouvoir s’identifier aux idéaux majoritaires (comme l’analysait il y a peu Jean-Claude Milner dans nos colonnes), les juifs américains pouvaient porter sur leurs cousins européens un regard aussi compatissant qu’emprunt de l’assurance de celui qui a la certitude d’appartenir à la partie privilégiée de la famille. Mais, à l’heure où les manifestations à caractère antisémite sont devenues courantes et tolérées aux États-Unis, l’insouciance du juif américain peut-elle subsister ? Le texte de Daniel Solomon, doctorant en histoire et premier traducteur en anglais de K., que nous publions cette semaine offre sur cette question un témoignage saisissant. Relatant le contexte dans lequel une émeute antisémite a pu éclater sur le campus de Berkeley, et la manière dont l’administration a abandonné ses étudiants juifs, il s’interroge sur la fin d’un âge d’or, et découvre un sentiment qui lui paraissait jusque-là propre aux juifs européens : la solitude.

Qu’est-ce qui explique la tiédeur du franco-judaïsme, l’impression persistante de son languissement ? Il y a près de deux mois, Gabriel Abensour nous livrait un diagnostic sans concession, appelé à faire réagir. Cela n’a pas manqué, et c’est cette semaine David Haziza qui lui répond, se frottant à son tour à cette question épineuse. Au constat central d’Abensour – celui d’une responsabilité de longue date des institutions représentatives dans l’affaiblissement des forces vives du franco-judaïsme -, Haziza souscrit sans hésiter. Il souhaite toutefois introduire une nuance de taille : à ses yeux, cet affaiblissement n’est pas d’abord dû à un mépris colonial ayant empêché le judaïsme français de se saisir des ressources culturelles et intellectuelles de la sépharadité, mais, plus fondamentalement, à un déni portant sur l’héritage de la mystique kabbalistique. En somme, le franco-judaïsme dépérit d’avoir voulu se moderniser à outrance, de s’être identifié, selon le mot d’Hermann Cohen, à une « religion de la raison ». Rapportées à ce standard bien propre sur lui, ni les racines ashkénazes d’Europe orientale ni celles du monde sépharade ne peuvent venir irriguer les pratiques et réflexions actuelles.

Enfin, nous publions la deuxième partie de l’enquête de Liam Hoare sur la stratégie autrichienne de lutte contre l’antisémitisme, conçue dans le cadre de notre série en partenariat avec la DILCRAH. Après avoir exploré la manière dont l’Autriche entendait assumer son passé nazi et assurer le futur de sa communauté juive, Liam Hoare plonge cette semaine dans les remous de l’actualité. Alors que la menace d’une victoire de l’extrême droite plane sur les prochaines élections, et que l’épidémie de coronavirus et la guerre à Gaza ont fait monter le nombre de manifestations de l’antisémitisme, la lutte s’annonce de longue haleine.

Le 26 février dernier, une émeute éclatait sur le campus de l’université de Berkeley à l’occasion de la venue d’un conférencier israélien. Daniel Solomon, doctorant en histoire et premier traducteur en anglais de K., nous relate de l’intérieur l’évènement et le climat menaçant dans lequel il s’inscrit. Alors que la montée de l’antisémitisme vient remettre en question l’exceptionnalisme américain, Solomon interroge la perte de ses illusions, et le sentiment de solitude qui l’accompagne.

Après avoir exploré la manière dont l’Autriche entendait assumer la responsabilité de son passé nazi et promouvoir la vie juive, Liam Hoare décrit les défis et paradoxes de cette entreprise. Comme la plupart des pays occidentaux, on a assisté en Autriche ces dernières années à un regain de l’antisémitisme, alors qu’elle est de plus dirigée par un parti associé à l’extrême-droite. Comment dans ces conditions, et alors que la guerre à Gaza enflamme les esprits en Europe, assurer à long terme la stabilité de la vie juive autrichienne ?

En février, nous publiions un texte de Gabriel Abensour déplorant la tiédeur du franco-judaïsme et son désarroi dû à l’oubli de ses héritages spirituels, notamment sépharades. David Haziza lui répond ici, sous la forme d’une « critique modérée et amicale ». S’il s’accorde avec le constat fait par Abensour d’une perte des forces vives du judaïsme, il ne l’explique pas par un dédain colonial pour la sépharadité, mais plutôt par une tentative de rendre le judaïsme moderne et présentable.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.