Deux mois après le 7 octobre, même si Gaza demeure le lieu d’un affrontement dont on ne voit pas à ce jour poindre la fin, la question se pose néanmoins de savoir comment cet événement et ses conséquences affectent le monde juif dans son ensemble (Israël et la diaspora) et quelles transformations politiques doivent être engagées pour assurer la promesse originaire du sionisme – laquelle s’est trouvée égarée à la fois par l’essor contradictoire d’un sionisme dit « religieux » et par les choix d’une droite toujours plus irresponsable, entérinant l’illégalité de la colonisation dans les territoires occupés. Dans le contexte d’une insécurité maximale – pour Israël qui affronte ceux qui veulent sa destruction, comme pour sa diaspora qui affronte un regain mondial d’antisémitisme – Bruno Karsenti propose un essai de théorie politique qui, en prise sur notre actualité dans ce qu’elle a de plus vif, le pogrom que les juifs viennent de subir et ses contrecoups, s’efforce de penser ce qui doit permettre à l’État juif de retrouver sa raison d’être. Car « il ne s’agit de rien moins » selon l’auteur que de s’atteler à « une reformulation du sionisme, dont la lancée sur l’axe de 1948 ne peut pas ne pas connaître une inflexion après 2023 ». Reformulation sur deux fronts : celui de la question palestinienne qui ne doit plus faire l’objet d’aucun refoulement et celui du rapport entre Israël et la diaspora.
L’événement éruptif du 7 octobre a appelé, de nous tous, un effort de qualification sans précédent. Mais l’événement a aussi exigé des responsables politiques israéliens de qualifier l’ennemi, celui qui s’est déchainé de très longues heures sur la population civile. Bien entendu l’ennemi qui conçut et planifia cette opération exterminatrice se nomme Hamas et Djihad islamique. Mais comment nommer les exécutants, dès lors que leur conduite, leur engagement en acte, leur motivation destructrice ressortissent du crime contre l’humanité ? « Hayot-adam » a-t-on entendu dire, dans la bouche du président de l’État d’Israël, sidéré par l’intensité de la violence qui s’est abattue au-delà de la frontière de Gaza. Mais que peut signifier cette expression « animaux-humains », que renferme-t-elle, et d’où vient-elle ? En s’appuyant sur la fameuse lettre de Gershom Scholem à Franz Rosenzweig, écrite en 1926, où transparaît son inquiétude face à l’usage vernaculaire de la langue hébraïque toujours potentiellement explosive, David Lemler, en philologue minutieux, enquête sur les origines de ce syntagme – « Hayot-adam » / « animaux-humains ». Des méandres de la tradition rabbinique à l’histoire tourmentée des juifs, il se transmet en mutant selon les époques et les contextes, pour finalement aboutir dans la bouche de ceux qui devront mener la guerre. Les conséquences de l’usage d’une telle expression, s’il devait structurer durablement le discours public israélien –ce qui ne semble pas le cas à ce jour – ne sont pas aussi univoques que le laissent accroire ceux qui ont décidés par avance qu’il prépare mécaniquement une contre-violence éradicatrice.
Aussi – parce que des centaines de personnes se sont rassemblées lundi dernier devant les Nations unies à l’occasion d’une session spéciale visant à sensibiliser l’opinion face aux crimes sexuels commis contre les femmes des communautés du sud d’Israël, le 7 octobre, par les hommes armés du Hamas, et que la colère ne fait que s’accroître face au silence perçu de la communauté internationale sur le sujet – nous invitons à lire ou relire l’article de Julia Christ paru dans K. : « De l’indifférenciation à l’indifférence. Sur les viols de masse le 7 octobre en Israël ».