Un mois depuis le 7 octobre. Chaque jour qui passe confirme que le massacre inouï perpétré par le Hamas a été l’étincelle qui a enflammé les esprits et précipité des événements de plus en plus inquiétants. Les incendies se multiplient. La guerre à Gaza – sur un territoire où les civils palestiniens sont tragiquement exposés et où les otages israéliens sont encore à la merci du Hamas – dessine un front qui semble avoir le monde entier pour base arrière. Ce qui s’y produit de plus notable est la multiplication des actes et des paroles antisémites, concomitante de la relativisation du pogrom à l’origine de cette nouvelle époque. Un mois après le début de celle-ci, et parallèlement à cette montée de l’antisémitisme que l’opinion générale commence tout doucement à prendre en considération, elle s’achemine vers une sorte de consensus sur la nécessité d’un cessez-le-feu, comme le note Bruno Karsenti dans un texte qui s’efforce de clarifier les enjeux de la guerre en cours, tout en s’interrogeant sur ce que pourrait être « la bonne politique à suivre pour Israël dans le piège où le Hamas l’a délibérément attiré ». Il en va ici d’un questionnement sur ce à quoi Israël doit être fidèle pour rester lui-même. La question se posait avec intensité depuis l’installation d’un gouvernement d’extrême-droite, il y a un an. Elle est aujourd’hui reconduite dans les nouvelles conditions engendrées par le 7 octobre.
Un effort de clarification d’une autre nature nous vient d’Allemagne. Son Vice-chancelier, Robert Habeck (Les Verts), a mis en ligne un discours en vidéo que nous avons traduit en français[1]. C’est certes avant tout une parole allemande que l’on entend lorsqu’il dit que « c’était la génération de mes grands-parents qui a voulu exterminer la vie juive en Allemagne et en Europe ». Ce discours témoigne toutefois d’une dimension politique supplémentaire : s’y exprime une vision de l’Europe qui lui rappelle qu’elle est constitutivement une construction post-Shoah, et que la légitimité du projet politique européen en viendrait à s’écrouler si l’Europe manquait à défendre les juifs contre toute forme de menace antisémite – qu’elle vienne de l’extrême-droite, de la gauche ou de l’islamisme. Et ceci, démontre Robert Habeck, inclut la défense de l’État d’Israël dont la sécurité, nous dit-il, est « nécessaire » pour l’Allemagne « en tant qu’État » et par extension pour l’Europe en tant qu’entité politique souveraine.
Une autre voix s’inquiétant de ce qu’elle désigne pour sa part comme une « idiotie morale » de la gauche, en l’occurrence américaine, se fait entendre dans K. cette semaine. Mitchell Abidor, qui a régulièrement écrit pour notre revue, collabore depuis plus de quarante ans pour la presse juive américaine de gauche. Tout en revenant sur l’histoire de son propre engagement dans les années soixante-dix, il nous fait le récit de la réaction des militants de la nouvelle génération d’activistes radicaux, en particulier juifs, après le 7 octobre. Il est à la fois fascinant et affligeant de voir comment ceux-ci, au sein d’une revue comme Jewish Currents par exemple, se sont révélés incapables d’appréhender la nature du massacre commis par le Hamas, et donc de le condamner franchement. Il évoque une sorte de « paralysie » idéologique. « C’était comme si la simple mention des morts juives signifiait qu’on les privilégiait au détriment des Palestiniens. »
Notes
1 | Le site du Grand Continent en propose également une autre traduction. |