7 octobre

« Il faut différencier entre antisionisme et antisémitisme » affirment ceux à qui il ne plaît pas d’être qualifiés d’antisémites. Cette exigence, à première vue, n’a rien d’insensée : il est en effet nécessaire de distinguer ce qui relève d’une critique légitime de l’État des juifs d’un sentiment louche et douteux à l’égard de ces derniers. Est-il pour autant nécessaire d’inventer un mot spécifique pour cette critique ? La philosophe Julia Christ traque les différents usages possibles de la notion d’ « antisionisme » et se demande à quelle condition, et dans quel contexte, la critique de l’État d’Israël peut légitimement se dire antisioniste. Cette petite analytique de la critique étatique et de ses modalités permet de percevoir mieux quand l’antisionisme n’est qu’un autre mot pour antisémitisme.

Depuis de nombreuses années, Jean-Claude Milner est attentif et lucide à ce que font les signifiants « Juif » et « Israël » dans la reconfiguration de l’Occident post-Shoah. Un livre décisif comme Les penchants criminels de l’Europe démocratique (2003) demeure un objet de méditation constante pour de nombreux lecteurs, soucieux de mesurer à nouveau frais l’ampleur de la « question juive » en Europe. Pour K., il analyse cette semaine, dans le contexte déterminé par le 7 octobre et la guerre à Gaza, la restructuration du rapport entre Israël et les États-Unis.

Depuis le 7 octobre, l’enrôlement de jeunes haredim, juifs ultra-orthodoxes, dans l’armée israélienne, n’est plus tabou. Plusieurs rabbins ou directeurs d’écoles religieuses l’ont même encouragé en Israël, dans un monde « noir » traditionnellement non sioniste, qui se différencie de l’univers sioniste religieux. Une partie importante du mouvement hassidique reste cependant imperméable au chant du canon. Le courant hassidique de Satmar, inconnu en France mais puissant aux Etats-Unis, critique même violemment les partis religieux qui soutiennent la guerre. Pour plonger dans leur univers, entièrement yiddishophone, K. présente de longs extraits de leurs journaux.

Dans ce texte, Anne Simon interroge les imaginaires qui ont été convoqués par les massacres du 7 octobre : entre la référence au pogrom qui s’est imposée chez de nombreux juifs pour les appréhender, et la manière dont ils ont été qualifiés par le Hamas, c’est-à-dire en tant que Déluge. Au cœur de cette exploration, le motif de l’Arche, d’un refuge qui ouvre la possibilité d’un avenir, mais risque toujours de s’avérer plus fragile que promis.

Que signifie ce retour massif de l’histoire et de la mémoire de la Shoah comme référence depuis les massacres du 7 octobre – comme d’ailleurs la prolifération du mot « génocide » pour condamner la guerre menée par Israël à Gaza ? Comment comprendre en effet des discours qui prétendent qu’Israël instrumentalise la mémoire de la Shoah en vue de justifier une guerre considérée comme génocidaire, reprenant donc ce trope qui veut que les victimes soient devenues les bourreaux ? Nous avons demandé à Tal Bruttmann de nous éclairer sur ces différents points.

Comment caractériser la forme particulière que prend aujourd’hui dans la gauche radicale la critique hostile à Israël et aux juifs ? Karma Ben Johanan prend position sur ce terrain miné, en évitant les écueils d’une référence indiscriminée à l’antisémitisme. Dans l’antisionisme contemporain, elle identifie en effet un schéma d’interprétation renvoyant d’abord à l’ambivalence de l’antijudaïsme chrétien, c’est-à-dire à un reproche qui touche à la capacité des juifs à faire la « bonne » lecture de l’Histoire.

Comment expliquer la tendance de la gauche radicale à faire du 7 octobre un non-événement ? Balázs Berkovits revient sur la construction idéologique qui permet d’évacuer la réalité en l’inscrivant dans un scénario manichéen. Si la justice supposée immanente à la cause palestinienne ne peut pas être interrogée par son affiliation à un massacre aux intentions génocidaires, c’est qu’à la critique politique s’est substitué un fondamentalisme moral. Et on peut se demander si, en plus de justifier toutes les atrocités envers Israël, ce dernier n’interdit pas aux Palestiniens de jamais sortir d’une position de victime.

Pourquoi des historiens se sont-ils révélés incapables de qualifier les massacres du 7 octobre en les intégrant à l’histoire de l’antisémitisme ? En analysant cette crise de la profession comme un symptôme, Jacques Ehrenfreund met en évidence son rapport avec une forme de critique radicale des Juifs que l’on voit monter en Occident. Cette dernière, qui reproche aux Juifs de n’avoir pas su tirer les bonnes leçons de l’Histoire, en particulier de celle de leur persécution, relèverait d’ailleurs moins de l’antisémitisme moderne que de l’antijudaïsme chrétien…

Plus s’éternise la réponse militaire israélienne à Gaza, plus le souvenir du 7 octobre semble s’estomper dans l’opinion publique internationale. Dans ce texte, Danny Trom tire les conséquences de cette situation : l’apparition d’un clivage net entre ceux pour qui l’événement est passé, et ceux qui, de plus en plus isolés, le gardent fermement à l’esprit.

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Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.