#80 / Edito

Dans le numéro de K. de la semaine dernière, il était question d’indemnisations (L’Accord de « réparations » entre l’Allemagne et Israël (1952) : le mirage de la réconciliation, par Constantin Goschler) ainsi que de vengeance, à travers le portrait de Samuel Schwarzbard proposé par Elisabeth de Fontenay. Cette semaine, nous approfondissons la question de la réparation, de la « réponse » juive au projet d’extermination, de la quête d’une justice pourtant impossible à envisager après un tel événement et du fantasme de vengeance qui a pu parfois en découler. Tous les textes proposés cette semaine abordent ce thème périlleux de la vengeance juive. D’abord en revenant sur l’exposition proposée en ce moment au musée juif de Francfort. Intitulée « Vengeance : Histoire et Imaginaire » (« Rache, Geschichte und Fantasie »), elle documente la présence du thème dans la tradition et l’histoire juives comme dans la fiction populaire la plus contemporaine, dont Inglorious Basterds de Quentin Tarantino est le meilleur des symboles. Eli Roth, son co-scénariste, qualifie le film de « Kosher Porn » ou de « Jewish Revenge Porn Movie » – autrement dit un film destiné à faire jouir son public de voir des juifs s’en prendre violemment et victorieusement à des nazis. Si le sujet est périlleux, comme les concepteurs de l’exposition le concèdent volontiers, c’est notamment parce que leur travail devait contrer le trope antisémite selon lequel les Juifs sont des « êtres vengeurs » par nature… Élie Petit les a rencontrés et questionnés sur l’ambition et la portée d’une telle exposition en Allemagne aujourd’hui.

L’écrivaine Marianne Rubinstein nous livre quant à elle son témoignage. Elle raconte comment, rencontrant des élèves de lycée auxquels elle était venue parler de son travail consacré à la mémoire de la Shoah, la question de la vengeance lui a été posée. Elle évoque sa réaction face à ces enfants et soulève la tension qui se manifeste entre désir de justice et désir de vengeance.

Cette tension est au cœur de la pensée qui, à la fin de la guerre, anime Abba Kovner – dont Joann Sfar nous offre un magnifique portrait. Le poète, dont le témoignage lors du procès d’Eichmann demeure fameux, fut aussi un combattant de la première heure des Brigades juives hanté par l’idée de vengeance. Danny Trom, tout se demandant pourquoi il n’y a pas eu de vengeance juive après la Shoah (sinon sporadiques), revient sur les plans avortés de Kovner ainsi que sur les raisons qui rendent compte de son obsession tenace pour l’idée d’une vengeance pensée comme une impasse : un geste à la fois nécessaire et irréalisable.

Depuis le 18 mars dernier et jusqu’au 3 octobre prochain, le musée juif de Francfort présente l’exposition « Vengeance : Histoire et Imaginaire » (« Rache, Geschichte und Fantasie »). Le spectre de cette exposition est large : des récits bibliques aux films de fictions populaires ; de Judith et Holopherne à Quentin Tarantino, le réalisateur d’Inglorious Basterds ; du motif antisémite qui fait des Juifs des êtres vengeurs par essence aux épisodes de l’histoire où des Juifs ont voulu répondre par la vengeance à la violence dont ils étaient les victimes. Elie Petit a rencontré la directrice du musée, Mirjam Wenzel, et le curateur de l’exposition, Eric Riedel, pour les interroger sur les objectifs et les difficultés d’une telle exposition.

« Avant-hier, j’intervenais auprès d’une classe de seconde du lycée Camille Sée. Je leur ai raconté l’histoire de mon père, sa fuite en zone libre avec ses parents, leur capture à la ligne de démarcation, la prison, la séparation d’avec sa mère pour être confié à la Croix-Rouge et quelques mois plus tard, la police française qui vient le chercher dans son école parce qu’il n’a pas été déporté avec ses parents : on le fait alors sortir par une porte dérobée et il est envoyé quelques temps à la campagne. Un lycéen m’a demandé : ‘Et la vengeance alors ? N’y avez-vous jamais songé ?’ »

« Vengez-nous ». A la supplique qui sourdait des Juifs assassinés et figurait partout après-guerre – sur les murs des synagogues en ruine ou sur des petits morceaux de papier laissés par ceux qui en firent leur dernière volonté avant de périr – Abba Kovner, poète et combattant voulut répondre. Il chercha à prolonger la lutte partisane contre l’État nazi par une action de vengeance de grande ampleur. Il fomenta des plans qui échouèrent ou ne furent pas mis à exécution. Le legs d’Abba Kovner est celui d’une impasse, selon Danny Trom : l’impasse d’une vengeance pensée comme nécessaire et irréalisable.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.