#21 / Édito

Nous avons choisi, pour cette semaine au cœur de l’été, de remettre à la une trois textes concernant la circulation du yiddish parus dans K. depuis sa création. Occasion de se reposer une question : le yiddish est-il hors-jeu ? Prisonnier à jamais d’anciennes photographies en noir et blanc, sans importance pour les juifs d’aujourd’hui ?

Le yiddish fut emmuré, rejeté, tu. Ses locuteurs furent humiliés, ridiculisés, assassinés – avec d’autres. Pourtant, ces derniers temps, il refait brusquement surface. D’abord à travers la traduction d’œuvres capitales de sa littérature, comme par exemple la poésie éblouissante de Sutzkever, offerte aux lecteurs français par la grande traductrice et professeure Rachel Ertel. Celle-ci présente l’œuvre et la vie de cet homme auquel on interdit de témoigner en yiddish à Nuremberg, mais qui tout au long de sa longue vie mania la poésie comme un bouclier, une peau vivante et cuirassée.

Mais la langue yiddish reparaît aussi par un autre biais culturel, celui de la vidéo et du cinéma, qui s’emparent du caractère cinégénique des hassidim dans plusieurs films et séries tournés presque intégralement en yiddish – un yiddish d’aujourd’hui, celui des hassidim qui ne parlent pas d’autres langues. Chercheront-ils à se séparer politiquement de l’État sioniste, comme l’imagine la série israélienne Autonomies ? Noémie Benchimol interroge les fantasmes que révèle cette série, bientôt visible en France ; la signification et l’organisation politiques de l’État juif s’y trouvent questionnées de façon originale.

Aux États-Unis, où la démographie hassidique est la plus importante, ces éternels juifs d’exil, qui portent l’Europe et la Torah avec eux, développent une presse importante. Comme le poète Sutskever, qui lui n’était pas un hassid, ils rugissent quand on leur oppose la disparition de leur langue. Macha Fogel nous livre un panorama d’une production culturelle et médiatique, que s’arrachent ces juifs pour lesquels le yiddish va de soi.

K. choisit donc de s’intéresser à l’actualité la plus contemporaine du yiddish. Sans nier les blessures irréversibles de son destin ni le cours naturel des langues minoritaires que le XXIe siècle voit disparaître, notre revue donne la parole à ceux qui vivent aujourd’hui à l’intérieur de cette langue d’exil, juive par essence bien que née en Europe au sein des Nations. On pourra relire à ce propos la seconde chronique de Macha Fogel sur « l’entre-soi » contemporain qui lie les locuteurs du yiddish.

On peut voir la silhouette bouleversante d’Avrom Sutzkever dans le film qui, en 1945, enregistre son témoignage au procès de Nuremberg. Il est l’un des rares Juifs qui y témoignera. À la barre, il est présenté comme un rescapé du ghetto de Vilnius, mais il est déjà un grand poète yiddish. Sa traductrice Rachel Ertel fait pour K. le portrait de ce poète immense sur fond de son rapport à l’Europe.

Les séries ‘Unorthodox’ et ‘Shtisel’ sont des succès mondiaux qui ont fait entrer les haredim dans les foyers. Pour K., Noémie Issan-Benchimol évoque ‘Autonomies’ série dystopique qui imagine Israël scindé en deux : d’un côté, le territoire autonome de Jérusalem dirigé par un groupe religieux ultra-orthodoxe ; de l’autre, un État laïc avec Tel Aviv pour capitale ; d’un côté le pays sioniste et de l’autre le pays théologique.

Le yiddish, c’est bien connu, est une langue sans pays. C’est ainsi qu’on parle d’elle en tout cas ; et puis comme d’une langue assassinée, disparue, agonisante. « Mais moi, je connais un pays yiddish et d’une certaine manière, j’en suis l’une des citoyennes » nous dit Macha Fogel, qui donnera régulièrement de ses nouvelles dans K. Premier tour d’horizon aujourd’hui de ce monde multiple et dispersé : les hassidim américains – qui sont aussi encore des Européens – et leur presse.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.