Nous avons choisi, pour cette semaine au cœur de l’été, de remettre à la une trois textes concernant la circulation du yiddish parus dans K. depuis sa création. Occasion de se reposer une question : le yiddish est-il hors-jeu ? Prisonnier à jamais d’anciennes photographies en noir et blanc, sans importance pour les juifs d’aujourd’hui ?
Le yiddish fut emmuré, rejeté, tu. Ses locuteurs furent humiliés, ridiculisés, assassinés – avec d’autres. Pourtant, ces derniers temps, il refait brusquement surface. D’abord à travers la traduction d’œuvres capitales de sa littérature, comme par exemple la poésie éblouissante de Sutzkever, offerte aux lecteurs français par la grande traductrice et professeure Rachel Ertel. Celle-ci présente l’œuvre et la vie de cet homme auquel on interdit de témoigner en yiddish à Nuremberg, mais qui tout au long de sa longue vie mania la poésie comme un bouclier, une peau vivante et cuirassée.
Mais la langue yiddish reparaît aussi par un autre biais culturel, celui de la vidéo et du cinéma, qui s’emparent du caractère cinégénique des hassidim dans plusieurs films et séries tournés presque intégralement en yiddish – un yiddish d’aujourd’hui, celui des hassidim qui ne parlent pas d’autres langues. Chercheront-ils à se séparer politiquement de l’État sioniste, comme l’imagine la série israélienne Autonomies ? Noémie Benchimol interroge les fantasmes que révèle cette série, bientôt visible en France ; la signification et l’organisation politiques de l’État juif s’y trouvent questionnées de façon originale.
Aux États-Unis, où la démographie hassidique est la plus importante, ces éternels juifs d’exil, qui portent l’Europe et la Torah avec eux, développent une presse importante. Comme le poète Sutskever, qui lui n’était pas un hassid, ils rugissent quand on leur oppose la disparition de leur langue. Macha Fogel nous livre un panorama d’une production culturelle et médiatique, que s’arrachent ces juifs pour lesquels le yiddish va de soi.
K. choisit donc de s’intéresser à l’actualité la plus contemporaine du yiddish. Sans nier les blessures irréversibles de son destin ni le cours naturel des langues minoritaires que le XXIe siècle voit disparaître, notre revue donne la parole à ceux qui vivent aujourd’hui à l’intérieur de cette langue d’exil, juive par essence bien que née en Europe au sein des Nations. On pourra relire à ce propos la seconde chronique de Macha Fogel sur « l’entre-soi » contemporain qui lie les locuteurs du yiddish.