# 138 / Edito

Un mois depuis le 7 octobre. Chaque jour qui passe confirme que le massacre inouï perpétré par le Hamas a été l’étincelle qui a enflammé les esprits et précipité des événements de plus en plus inquiétants. Les incendies se multiplient. La guerre à Gaza – sur un territoire où les civils palestiniens sont tragiquement exposés et où les otages israéliens sont encore à la merci du Hamas – dessine un front qui semble avoir le monde entier pour base arrière. Ce qui s’y produit de plus notable est la multiplication des actes et des paroles antisémites, concomitante de la relativisation du pogrom à l’origine de cette nouvelle époque. Un mois après le début de celle-ci, et parallèlement à cette montée de l’antisémitisme que l’opinion générale commence tout doucement à prendre en considération, elle s’achemine vers une sorte de consensus sur la nécessité d’un cessez-le-feu, comme le note Bruno Karsenti dans un texte qui s’efforce de clarifier les enjeux de la guerre en cours, tout en s’interrogeant sur ce que pourrait être « la bonne politique à suivre pour Israël dans le piège où le Hamas l’a délibérément attiré ». Il en va ici d’un questionnement sur ce à quoi Israël doit être fidèle pour rester lui-même. La question se posait avec intensité depuis l’installation d’un gouvernement d’extrême-droite, il y a un an. Elle est aujourd’hui reconduite dans les nouvelles conditions engendrées par le 7 octobre.

Un effort de clarification d’une autre nature nous vient d’Allemagne. Son Vice-chancelier, Robert Habeck (Les Verts), a mis en ligne un discours en vidéo que nous avons traduit en français[1]. C’est certes avant tout une parole allemande que l’on entend lorsqu’il dit que « c’était la génération de mes grands-parents qui a voulu exterminer la vie juive en Allemagne et en Europe ». Ce discours témoigne toutefois d’une dimension politique supplémentaire : s’y exprime une vision de l’Europe qui lui rappelle qu’elle est constitutivement une construction post-Shoah, et que la légitimité du projet politique européen en viendrait à s’écrouler si l’Europe manquait à défendre les juifs contre toute forme de menace antisémite – qu’elle vienne de l’extrême-droite, de la gauche ou de l’islamisme. Et ceci, démontre Robert Habeck, inclut la défense de l’État d’Israël dont la sécurité, nous dit-il, est « nécessaire » pour l’Allemagne « en tant qu’État » et par extension pour l’Europe en tant qu’entité politique souveraine.

Une autre voix s’inquiétant de ce qu’elle désigne pour sa part comme une « idiotie morale » de la gauche, en l’occurrence américaine, se fait entendre dans K. cette semaine. Mitchell Abidor, qui a régulièrement écrit pour notre revue, collabore depuis plus de quarante ans pour la presse juive américaine de gauche. Tout en revenant sur l’histoire de son propre engagement dans les années soixante-dix, il nous fait le récit de la réaction des militants de la nouvelle génération d’activistes radicaux, en particulier juifs, après le 7 octobre. Il est à la fois fascinant et affligeant de voir comment ceux-ci, au sein d’une revue comme Jewish Currents par exemple, se sont révélés incapables d’appréhender la nature du massacre commis par le Hamas, et donc de le condamner franchement. Il évoque une sorte de « paralysie » idéologique. « C’était comme si la simple mention des morts juives signifiait qu’on les privilégiait au détriment des Palestiniens. »

Notes

1 Le site du Grand Continent en propose également une autre traduction.

Alors que la situation de la population de Gaza s’aggrave et que le sort des otages aux mains du Hamas reste suspendu, l’appel légitime au cessez-le-feu devient de plus en plus insistant. Dans ce contexte, où domine un sentiment d’urgence à la fois humanitaire et politique, se pose en en effet la question du degré auquel la riposte d’Israël doit se produire après le crime inouï qui l’a frappé. Bruno Karsenti s’en saisit en posant la question tout aussi cruciale de la position dont doit être capable Israël pour rester fidèle à ce qu’il est.

Le discours prononcé le 2 novembre à propos de la situation au Proche-Orient par le Vice-chancelier allemand Robert Habeck, membre des Verts, a frappé les esprits. D’une clarté sans faille, qui sans doute en Europe ne pouvait venir que d’Allemagne, il y insiste à la fois sur le droit des Palestiniens à avoir leur propre État et celui d’Israël à défendre sa sécurité. Fustigeant l’ambiguïté d’une partie de l’opinion envers le Hamas, il explique pourquoi l’Allemagne et l’Europe, si elles veulent rester fidèles à ce qui fonde leur légitimité politique, ne doivent céder en aucune circonstance et pour aucune raison « humanitaire » sur le combat contre l’antisémitisme.

Notre collaborateur Mitchell Abidor témoigne ici de sa colère contre une partie de son camp politique qui, « aveuglé par la haine d’Israël, craignant d’être associé aux gouvernements occidentaux [a fait disparaître] la boussole morale de la gauche ». Son récit de la production éditoriale au sein de cette dernière depuis le 7 octobre, en particulier celle de la presse juive de gauche, est précieux pour nous faire comprendre les ressorts d’une sorte d’impossibilité physique à y condamner les massacres du Hamas.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.