« Il ne faut pas qu’Israël se venge », répète en chœur la presse internationale, et française en particulier. Sans doute peut-on voir dans cet avertissement les intentions pacifistes les plus nobles. Reste qu’il témoigne d’un étrange paternalisme : le concert des nations craindrait-il que l’État israélien, petit frère encore jeune, ne régresse vers des dispositions archaïques ? En est-il même jamais sorti ? Dans son texte, Danny Trom interroge le rapport, d’exclusion, qu’entretient l’état moderne avec la vengeance, ainsi que les confusions qu’entraîne l’asymétrie d’un conflit entre un État et un groupe qui se pose comme son ennemi existentiel. Par-là, il rassure ceux qui peuvent l’être : non, il n’y aura pas de vengeance israélienne. Quant aux autres, qui s’obstinent à comprendre la réaction d’Israël sur le registre de la vengeance, il la leur tend comme un miroir. Car que traduit la fascination pour la logique vengeresse, sinon que l’on espère déjà y être inscrit ? « Le Hamas venge les Palestiniens de l’humiliation infligée par Israël », voilà ce qui transparaît dans le discours de cette gauche qui sait faire son beurre à partir du ressentiment. Fantasmes d’auto-humiliation et d’impossible proportionnalité s’y conjuguent. Pendant ce temps, le sol tremble sous les pieds des juifs.
Alors que Tsahal effectue ses premières incursions sur le sol de Gaza pour y combattre les forces du Hamas, il importe plus que jamais de comprendre la réalité sociale et politique de la population gazaouie. Comprendre, avant tout, pour pouvoir distinguer ce qui ne saurait être confondu : un groupe ayant certes accédé au pouvoir par les urnes en 2005, mais qui s’y maintient depuis en opprimant la société civile, et une population dont les vies et aspirations se trouvent instrumentalisées et sacrifiées. Comprendre, cependant, exige de se pencher pour écouter ; de cet effort non consenti, on peut faire le reproche à la communauté internationale et au gouvernement israélien. Cette semaine, K. se propose de partager le projet Whispered in Gaza, des témoignages de Gazaouis recueillis et animés par le Center for Peace Communications. Dans ces vidéos, les voix ont beau être étouffées, réduites au chuchotement, les noms et visages anonymisés par peur des représailles, la parole y est limpide. S’y expriment la cause palestinienne en ce qu’elle a de plus juste, et la résistance contre son accaparement par la logique haineuse et mortifère du Hamas. Surtout, on y entend la lassitude d’une population entraînée contre son gré dans un conflit armé dont elle ne retire que mort et désolation.
L’événement bouleversant que nous traversons impose aux schémas d’interprétation les mieux rodés un moment d’arrêt qui, on pourrait l’espérer, rend possible le retour réflexif. Cette rupture tend toutefois à être de courte durée, quand elle est même tolérée. À grand renfort de contextualisations, et souvent de déni, le sens peut être restauré, la cohérence inébranlable d’une vision du monde maintenue : « Je ne suis pas étonné », s’enorgueillit alors celui qui se veut sage. Dans son texte, Ruben Honigmann nous partage au contraire un étonnement qui n’est pas près d’être résorbé : celui que lui inspire ce peuple juif qui ne cesse de s’étonner. Étonnant peuple en effet que celui qui, après tous ces millénaires, persiste à s’étonner d’être persécuté ; sa naïveté en serait presque énervante. Mais, glissant d’un étonnement à l’autre, Ruben Honigmann nous rappelle l’importance vitale qu’il y a à se laisser surprendre, à ne « jamais être repu de sens ». Que ce regard éternellement enfantin soit celui du plus vieux peuple du monde ne le démentira pas.