Le 10 février 2022, la Saeima (le parlement letton) a adopté la loi sur le remboursement « de bonne volonté » [Law on Goodwill Reimbursement] de la communauté juive de Lettonie. Par cette loi, il s’agit de compenser les spoliations réalisées avant l’occupation nazie par les soviétiques. Car en Lettonie, les spoliations ne sont pas les faits des nazis. Le sort des juifs n’en est pas moins singulier pour autant puisqu’ils demeuraient jusqu’à présent les seuls à ne pas avoir obtenu réparation. L’adoption de cette loi vient ainsi mettre un terme à un très long combat – que nous raconte cette semaine Elie Petit, tout en revenant sur l’histoire des Juifs de Lettonie.
Fils de parents originaires d’Odessa et Rostov-sur-le-Don ayant fui l’antisémitisme, Vladimir Jankélévitch est né en 1903, il y a 120 ans. Cette année anniversaire fut l’occasion de publications qui permettent de découvrir ou redécouvrir l’œuvre de l’auteur de L’Imprescriptible[1] – livre qui tente de maintenir, « jusqu’à la fin du monde » selon son auteur, le deuil de toutes les victimes du nazisme. On sait comment le philosophe voulut oublier l’allemand. « J’ai admiré dans le sacrifice qu’a fait Jankélévitch de la pensée et de la musique allemandes la continuation de la Résistance par d’autres moyens » a dit de lui Élisabeth de Fontenay. Celle qui fut son assistante à la Sorbonne ajoute : « La rencontre avec lui a été un événement décisif. J’aimais ses livres et la façon dont il enseignait. Et puis il était musicien, d’origine juive russe, engagé à gauche, attentif au christianisme, il avait fait de la Résistance et était obsédé par l’Extermination[2]. » Jankélévitch occupe une place à la fois marginale, solitaire, mais marquante dans l’histoire de la philosophie française du XXe siècle. Ce que souligne la biographie que lui a consacré Françoise Schwab, Vladimir Jankélévitch. Le charme irrésistible du je-ne-sais-quoi (Albin Michel, 2023), le Cahier de l’Herne paru il y a quelques mois, tout comme le récent volume La conscience juive. Ces publications nous permettent de revenir précisément sur une dimension de la judéité de Jankélévitch à partir de considérations sur le temps juif. Dans quelle mesure, se demande Avishag Zafrani, une force motrice du temps donne-t-elle à Jankélévitch la possibilité de s’attacher au judaïsme, mais aussi de se distinguer non seulement du temps tragique, mais aussi du temps de la déréliction et de l’angoisse ? Quel est le ressort temporel de cette philosophie morale à laquelle Jankélévitch tenait tant ?
L’Europe pullule de monuments encombrants dont elle ne sait que faire. Elle doit négocier la place de la part problématique de son patrimoine d’avant le génocide avec l’image qu’elle veut se forger depuis. Le monument Lueger, l’un des plus hauts de Vienne, au sommet duquel se tient une statue de quatre mètres du maire antisémite de la capitale autrichienne entre 1897 et 1910 – que Hitler considérait comme l’un des plus grands « maires allemands de tous les temps » –, est un cas d’école. Sur le piédestal du monument, le mot « Honte » [Schande] a été tagué pendant des mois tandis qu’un collectif d’artistes et de militants viennois organisait des « veillées de la honte » [« Schandwache »]. L’affaire semble avoir trouvé une solution : on a appris la semaine dernière que la ville de Vienne inclinera la statue de Lueger de 3,5 degrés vers la droite afin de changer la « perspective » du spectateur. « J’aimerais ainsi provoquer une irritation ou, plus encore, un moment d’insécurité qui ne sera perceptible qu’après un second regard » a déclaré l’artiste Klemens Wihlidal. A l’occasion de l’annonce de ce projet de réinstallation (prévue pour 2024), nous republions « Que faire du monument dédié à Karl Lueger ? », l’enquête très détaillée de Liam Hoare sur le débat qui a animé la capitale autrichienne pendant plusieurs années.