Tous les articles de Ruben Honigmann

Que se passe-t-il lorsque, l’insouciance des festivités rituelles prenant fin, le cours impitoyable de l’Histoire reprend ses droits sur les esprits ? Ruben Honigmann nous livre dans ce texte le récit intime de ce week-end du 7-8 octobre où la mesure de l’événement n’est prise qu’une fois les portables rallumés. De ce décalage temporel et existentiel, il fait un élément constitutif du trouble des juifs qui, en attendant l’aurore du 9, sont condamnés à claudiquer.

« Quelque chose ne cessera jamais de m’étonner chez les juifs : leur capacité à s’étonner de l’hostilité à leur égard. À chaque meurtre, attentat, massacre ou pogrom antisémite, on tombe des nues. L’absence d’empathie de notre si affable marchand de fruits et légumes habituel nous offusque, la réaction du secrétaire général de l’ONU nous indigne, les contorsions sémantiques de Jean-Luc Mélenchon, dignes des meilleurs élèves de yeshiva, nous insupportent, la solitude radicale du peuple juif persécuté nous révolte. On se frotte les yeux, à chaque fois comme au premier jour, de voir des fils à Papa de Harvard dénoncer le « génocide en cours à Gaza » ou les Queers for Palestine arracher les affiches des otages israéliens. Mais de quoi exactement s’étonne-t-on ? »

« Je suis pile au centre de la photo. Nous sommes 25 garçons de la classe de 6e de l’école Aquiba, la principale école juive de Strasbourg (…) Souvent, je regarde la photo de classe. Chaque fois, je me surprends à traquer les infimes indices qui préfiguraient les destinées : la casquette Michael Jordan de l’un, la dissimulation d’un autre, l’air absent de celui-ci, la coquetterie de celui-là, un sourire espiègle, un faux air sûr de soi. Longtemps cette photo est restée ma boussole sociale, l’instrument de mesure de ma géométrie intérieure, celui par lequel j’évaluais la distance qui me séparait de chacun de mes camarades de classe. Chacun d’entre nous a suivi sa propre voie, le groupe s’est disloqué et c’est heureux. Je ne suis plus au centre du groupe, je suis mon propre centre. »

« J’aime bien Soukot. Pendant une semaine, les juifs sont tenus de prendre leurs repas dans un habitat éphémère, en hébreu une souka qu’on traduit, faute de mieux, par « cabane » pour aiguiser la curiosité des enfants et peut-être aussi attendrir les antisémites (…) Une savante construction solide-fragile dans laquelle on migre trois fois par jour, chariot à la main. En s’installant provisoirement à l’extérieur tout en gardant un pied à la maison, le dedans et le dehors se confondent, résidence principale et secondaire s’inversent. Bref, on met en scène son propre exil. Et comme je n’arrive jamais à me sentir totalement bien là où je me trouve, espérant à chaque station que la prochaine sera la bonne, cette fête de la bougeotte me convient parfaitement. »

« Arrivé en France à l’âge d’un an, j’ai attendu 37 ans pour devenir français. De mon Allemagne natale je ne connaissais rien, ma germanité était toute virtuelle, réduite à une langue et un passeport. La procédure fut expéditive et je reçus mon acte de naissance français six mois seulement après avoir entamé ma démarche de naturalisation. Trois jours plus tard, le binational que je venais de devenir était à nouveau saisi de bougeotte identitaire et je me mis en contact avec l’ambassade d’Autriche à Paris. Depuis 2019, l’Autriche, comme l’Allemagne, permet aux descendants des victimes du nazisme de récupérer la nationalité dont leur ancêtre a été déchu. Ce qui est mon cas. »

« C’est à chaque fois la même scène. Je suis dans un square parisien et l’on me demande quelle langue je parle avec mes enfants. Ma « gueule juive » les met sur deux fausses pistes : soit c’est du yiddish, soit de l’hébreu. Dans aucun cas, ils ne reconnaissent ma langue maternelle, parlée par un européen sur cinq… »

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Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.