Israël

Dans Contes des frontières : faire et défaire le passé en Ukraine (Plein jour, 2024) , le dernier livre d’Omer Bartov, il est question d’un « bout du monde » presque oublié – celui d’une Galicie où cohabitaient Juifs, Polonais et Ukrainiens – dont l’historien cherche à narrer la mémoire à partir de ses contes et légendes. Boris Czerny en fait un compte rendu critique, notant qu’à la nostalgie pour ce pays édénique perdu répond, dans le récit intime qu’en fait Bartov aujourd’hui, une défiance pour la manière dont les Juifs ont investi un autre « bout du monde », qui les aurait transformés en « brutes épaisses ».

« Il faut différencier entre antisionisme et antisémitisme » affirment ceux à qui il ne plaît pas d’être qualifiés d’antisémites. Cette exigence, à première vue, n’a rien d’insensée : il est en effet nécessaire de distinguer ce qui relève d’une critique légitime de l’État des juifs d’un sentiment louche et douteux à l’égard de ces derniers. Est-il pour autant nécessaire d’inventer un mot spécifique pour cette critique ? La philosophe Julia Christ traque les différents usages possibles de la notion d’ « antisionisme » et se demande à quelle condition, et dans quel contexte, la critique de l’État d’Israël peut légitimement se dire antisioniste. Cette petite analytique de la critique étatique et de ses modalités permet de percevoir mieux quand l’antisionisme n’est qu’un autre mot pour antisémitisme.

Sur quelles ressources idéologiques s’appuient les partisans de la solution binationale, alors même que la cohabitation entre Israéliens et Palestiniens semble plus que jamais compromise ? Denis Charbit nous livre ici son compte rendu critique du dernier ouvrage de Shlomo Sand, Deux peuples pour un État ? Relire l’histoire du sionisme (Seuil). Soulignant comment l’ouvrage resitue une idée binationale née dans la pensée sioniste, il nous prévient cependant contre la supercherie qui consiste à faire jouer une perspective critique interne au sionisme contre le projet lui-même.

Depuis de nombreuses années, Jean-Claude Milner est attentif et lucide à ce que font les signifiants « Juif » et « Israël » dans la reconfiguration de l’Occident post-Shoah. Un livre décisif comme Les penchants criminels de l’Europe démocratique (2003) demeure un objet de méditation constante pour de nombreux lecteurs, soucieux de mesurer à nouveau frais l’ampleur de la « question juive » en Europe. Pour K., il analyse cette semaine, dans le contexte déterminé par le 7 octobre et la guerre à Gaza, la restructuration du rapport entre Israël et les États-Unis.

Comment parler de Gaza sans se détourner de la juste cause d’Israël ? Face aux attaques du 7 octobre, la guerre devait être menée, avec son double but : la libération des otages et le rétablissement durable de la sécurité d’Israël, c’est-à-dire l’éradication du Hamas. Cela dans les conditions inextricables d’un combat où l’adversaire souhaite le martyre de son peuple et où Israël en tant qu’État juif et démocratique doit veiller à ce qu’il n’arrive à aucune de ses fins, y compris celle-là. Or ce n’est pas ce qui est en train de se produire et il nous faut redécrire la situation en fonction de cet état de fait.

La célèbre philosophe Judith Butler, invitée par un collectif d’associations décoloniales et antisionistes, a déclaré – une fois de plus – au cours d’une table ronde à Pantin dimanche 3 mars que l’attaque du 7 octobre était « un acte de résistance » et non pas « terroriste », et qu’il ne fallait pas le qualifier d’ « antisémite » . Ce jour-là, elle a par ailleurs mis en doute la réalité des agressions sexuelles commise par le Hamas . En se centrant sur le cas Judith Butler, Eva Illouz critique les positions d’une certaine gauche qui, d’après elle, sape les idéaux égalitaires et universalistes de la gauche et ouvre la voie à la haine des Juifs.

La bêtise des discours produits par la situation à Gaza fleurit partout, dans tous les camps. Mais c’est la bêtise des élites intellectuelles sur laquelle il faut s’attarder. Après tout, n’est-ce pas leur travail d’éclairer le monde au lieu de l’obscurcir ? N’est-pas pour cette raison que nos sociétés se dotent de cette fonction ? Notre collaborateur Karl Kraus en tout cas en est convaincu. Aussi s’interroge-t-il sur la tentative d’abêtir encore plus l’opinion public récemment entreprise par Judith Butler, rhétoricienne de son état mais communément présentée comme philosophe et honorée comme l’un des grands esprits de notre époque.

Quel est le ça dont le slogan « Plus jamais ça ! » cherche à conjurer la répétition ? Alors que l’utilisation de la formule se banalise, au point que certains n’hésitent pas à la retourner contre l’État d’Israël, Danny Trom en retrace la genèse, au-delà de la référence à la Shoah. Interrogeant la manière dont les pionniers sionistes se sont appropriés le récit de la résistance héroïque de la forteresse de Massada face aux légions romaines, il éclaire la manière dont le slogan s’articule à la condition juive, et comment il peut encore informer notre perspective sur la situation actuelle.

Les fronts de la menace existentielle qui pèse sur Israël sont multiples. À l’extérieur, les ennemis défiant militairement le pays s’accumulent. Mais il ne faut pas négliger ce qui menace Israël de l’intérieur. Pour Eva Illouz, Israël a besoin d’un vaste mouvement centriste et social-démocrate, nécessaire pour renouveler le contrat entre État et citoyens. Seul un tel mouvement peut redonner aux Israéliens la force qui leur a été retirée et les sauver d’un véritable risque existentiel.

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Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.