Mais qu’est-ce que l’État d’Israël ? C’est ce que se demande Danny Trom dans son livre L’État de l’exil qui paraît le 15 février et dont K. publie cette semaine les bonnes feuilles. La question peut paraître incongrue soixante-quinze ans après sa fondation en 1948. Mais au moment de cette naissance, l’État d’Israël échoua à se donner une Constitution : il fut incapable de poser cet acte moderne par lequel un État-nation s’autodéfinit. Derrière cet échec, Danny Trom voit le symptôme d’une impossibilité parce que, écrit-il, l’État d’Israël n’est précisément pas l’État-nation du peuple juif. Il est une élaboration d’un autre ordre, qui ne s’éclaire qu’à la lumière de l’expérience politique des Juifs d’Europe. En réinscrivant cet État dans les logiques contradictoires qui ont conduit à sa naissance et qui ont formé son étrange physionomie, Danny Trom soutient que l’État d’Israël est l’État de l’exil, qu’il y demeure arrimé, quand bien même il a pu être perçu comme le préambule de la dissolution de la configuration exilique. Parce que « juifs » et « État » se tiennent, par construction, dans un rapport d’extériorité, le syntagme État-juif sonne comme un oxymore. Il s’ensuit que l’État d’Israël n’est pas tant un État juif qu’un État pour les Juifs. En ce sens, il dessine une forme singulière et pourtant moderne d’État, dont le livre esquisse les potentialités d’universalisation. En creux, Danny Trom pointe aussi ce que cet État ne devrait pas être et qui pourtant le travaille de l’intérieur, comme le montre l’actualité la plus récente. Ce qu’il ne doit pas être n’est pas affaire d’opinion ou de préférence, mais s’ancre dans les coordonnées de la trajectoire historique des Juifs d’Europe – une expérience qui, soutient Danny Trom, s’offre, à travers le cas de l’État d’Israël, au bénéfice de toute nation.
La semaine dernière nous publiions la première partie de l’entretien, mené par Avishag Zafrani, entre les philosophes Gérard Bensussan et Ivan Segré sur les usages de la tradition juive par la gauche révolutionnaire. Elle accompagnait l’article sur la revue d’extrême gauche Tiqqun, qui puisait dans la kabbale et l’ésotérisme juif une forme de messianisme révolutionnaire répondant à une critique radicale du monde capitaliste. La suite de l’entretien prolonge la réflexion sur les inspirations théologiques du politique, ses modèles philosophiques et ses mises en pratique. L’alliance a-t-elle été un modèle politique du contrat social ? Quelle en a été la portée pour notre modernité politique ? Il s’agit en outre de voir ce qui aurait été occulté dans la valorisation de l’ésotérisme juif, et dans l’usage du messianisme, notamment les dimensions démocratiques du plébéisme juif, tout comme l’éthique de la loi mosaïque. Ces dernières jouent-elles un rôle contre les éléments insurrectionnels, éventuellement violents ou stimulant une perception apocalyptique de l’histoire, inhérents aux usages politiques du messianisme ?
Cette semaine, nous reprenons enfin l’article de Vilhjálmur Örn Vilhjálmsson, auteur d’une étude sur l’antisémitisme en Islande. Pourquoi les autorités de son pays natal se sont-elles engagées plusieurs fois à initier l’enseignement de la Shoah sans jamais tenir leur promesse ? demande-t-il. « Plus je pense aux sympathies nazies des Islandais, à leurs sentiments antisémites dans un pays où il n’y a pratiquement pas de Juifs, plus je suis reconnaissant à la nature d’avoir fait de l’Islande une île et d’avoir éloigné ses habitants de leurs idoles fascistes sur le continent européen. » finit-il par lâcher, dans une chronique où la colère est palpable.