# 93 / Edito

Le grand historien canadien Michael R. Marrus est mort il y a quelques jours. Spécialiste du judaïsme français, on lui doit notamment le classique Les Juifs de France à l’époque de l’affaire Dreyfus. L’assimilation à l’épreuve accueilli par Roger Errera dans sa collection Diaspora chez Calmann-Lévy en 1972. C’est ce même Roger Errera qui, à la même époque, demanda à Robert Paxton d’entreprendre ce qu’il allait devenir Vichy et les Juifs. En décembre de l’année dernière, Robert Paxton nous autorisait à publier un texte inédit dans lequel il racontait les péripéties de la réalisation de ce livre qui allait bouleverser l’historiographie et la mémoire françaises. Commencée en 1971, sa rédaction fut des plus difficiles et en 1976 Paxton était sur le point d’abandonner le projet lorsqu’il fut rejoint par un jeune historien : Michael R. Marrus. Grâce à son aide, le travail pu reprendre et Vichy et les Juifs fut achevé en 1981. En hommage à Michael R. Marrus, nous republions cette semaine le témoignage de Robert Paxton.

Dans ce dernier numéro de l’année, avant le retour de textes inédits dès la première semaine de janvier, K. republie aussi notre entretien avec David Nirenberg. En effet, le maître livre de ce grand historien américain — Anti-Judaism. The Western Tradition, paru en 2013 en anglais – sera enfin disponible en français aux Éditions Labor et Fides, le 3 janvier prochain, sous le titre Antijudaïsme. David Nirenberg avait d’abord soutenu l’idée que les formes d’hostilité à l’égard des juifs variaient en fonction des lieux, des époques et des circonstances, prenant à chaque fois un visage singulier, avant de changer de perspective. Dans Antijudaïsme, sur lequel l’interroge David Haziza, Nirenberg soutient que l’antijudaïsme structure la pensée de l’Occident chrétien, de sorte que ses infinies variations sont des manifestations d’un seul et même phénomène, autant de répliques d’un même schème.

Enfin, nous republions le texte sur l’assassinat du Docteur Joseph Wybran, grand médecin et président du C.C.O.J.B (l’équivalent du CRIF en Belgique) en 1989. Agnès Bensimon a rouvert ce dossier tentaculaire et fait le bilan d’une enquête impossible et d’un déni de justice patent. De Bruxelles au Royaume du Maroc, des réseaux terroristes internationaux aux carences de la police et de la justice, une enquête passionnante sur un scandale qui a défrayé la chronique en Belgique mais est resté mal connu en dehors.

 

Il y a quarante ans parut, en français et anglais simultanément, le grand livre d’histoire Vichy et les Juifs, de Michael R. Marrus et Robert O. Paxton. Réédité en 2015, le livre connaît aujourd’hui un regain d’intérêt, alors que certaines déclarations remettent en cause la responsabilité de la France dans la politique persécutrice à l’égard des Juifs sous l’occupation allemande. En 2015, à l’occasion d’une journée en hommage pour celui qui fut à l’origine de son écriture, Roger Errera, Robert O. Paxton, qui nous autorise aujourd’hui à reproduire ce texte, est revenu sur le difficile processus de production de ce livre qui a si violemment mis à mal le mythe de la France résistante.

‘Anti-Judaism – The Western Tradition’ de David Nirenberg marque un tournant dans le domaine des études juives. Son objet n’est pas tant l’étude des Juifs eux-mêmes, ou même de l’antisémitisme, que celle d’une structure qui, à travers les siècles, utilise le judaïsme comme une sorte de repoussoir. Le monde est vu sous la menace du « judaïsme », c’est-à-dire d’une « manière de penser, d’interpréter le réel fausse, corrompue, et même mortifère ». En ce sens, n’importe qui peut être « juif » et l’antijudaïsme ne nécessite pas la présence réelle de Juifs. Pour Nirenberg, c’est toute la pensée occidentale qui est ainsi structurée. Si les Juifs ne sont pas si nombreux (ni si puissants), l’antijudaïsme, lui, est bien partout : il est au cœur de la tradition occidentale et islamique.

Le 3 octobre 1989, aux alentours de 18h, le Docteur Joseph Wybran, grand médecin et président du C.C.O.J.B, le CRIF belge, était abattu à bout portant sur le parking de l’hôpital Érasme de Bruxelles. Trente-trois ans plus tard, justice n’a toujours pas été rendue. Agnès Bensimon revient pour K. sur les rebondissements d’une enquête sur un assassinat dont le traitement par la police et la justice belge interroge.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.