# 84 / Edito

Au début du mois d’octobre, Pinchas Goldschmidt, l’ex-grand-rabbin de Moscou, faisait paraître, dans le New York Times, une tribune intitulée : « Mon premier Yom Kippour en exil ». C’est un beau texte, d’une immédiate nostalgie, qui se souvient de tout le travail fait pour contribuer à une renaissance de la communauté juive russe depuis les années Gorbatchev. Le rabbin, natif de Zurich, y raconte notamment comment il a décidé de quitter son pays d’adoption : « Pendant des années, nous avons espéré que les institutions démocratiques en Russie prendraient racine. Nous avons espéré que les communautés juives pourraient garder leurs distances par rapport à l’autoritarisme croissant du président Vladimir Poutine. (…) Nos espoirs ont été anéantis. (…) Un jour, un représentant du gouvernement a informé la synagogue que l’on attendait de nous que nous soutenions la guerre. C’est alors que ma femme et moi avons décidé de quitter le pays. » Nous avons rencontré Pinchas Goldschmidt – à l’occasion de son passage à Paris pour une réunion de l’Institut pour la liberté religieuse et la sécurité en Europe (IFFSE) dont il est un des membres fondateurs, en tant que président de la Conférence des rabbins européens. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur les trente ans passés dans sa « nouvelle maison », sur son départ, comme celui de nombreux juifs russes et sur l’avenir envisageable des communautés juives de l’Est frappées par la guerre.

À propos de la propagande poutinienne soi-disant antinazie par laquelle la guerre est justifiée, Pinchas Goldschmidt évoque un langage qui relève de la science-fiction et rappelle que Zelensky est juif. Or, on se souvient combien ce rappel a été contourné de manière délirante par Serguei Lavrov, le chef de la diplomatie russe, laissant entendre dans son discours de mars dernier que l’on pouvait être juif et nazi, et que d’ailleurs Hitler aurait eu du « sang juif ». Ces propos sont au départ de la réflexion du philosophe Stéphane Bonnet. Que signifie que l’on puisse fantasmatiquement vouloir, comme Lavrov, que les juifs ne soient plus les victimes du nazisme mais les bourreaux, et qu’il soit de nouveau possible d’être antisémite en toute bonne conscience ? Selon Stéphane Bonnet, par-delà la sentence scandaleuse de Lavrov, il y a une ambivalence fondamentale du rapport des Européens aux juifs, à interroger.

Enfin, reprise du texte de Nathalie Skowronek : « Diamonds are forever ». L’auteure d’Un monde sur mesure (Grasset, 2017), enquête sur la disparition du shmattès yiddish, revient sur les grandes années du quartier anversois des diamantaires et de son activité aujourd’hui déplacée vers Dubaï, Moscou, Mumbai, New York et Tel-Aviv. C’est la fin d’un monde qu’elle évoque : les fils, petits-fils et arrière-petit-fils des diamantaires anversois comprennent que « pour eux, c’est fichu » et voient bien que « l’anglais a fini par enterrer le yiddish ».

Depuis cet été, Pinchas Goldschmidt n’est plus le grand-rabbin de Moscou, poste qu’il a occupé pendant près de trente ans. Né à Zurich, arrivé en Russie en 1988, à l’époque de Gorbatchev, pour travailler au rétablissement d’une vie juive au moment de la perestroïka, il a décidé de quitter son pays d’adoption après l’invasion de l’Ukraine, alors qu’il subissait des pressions pour soutenir la guerre. K. l’a rencontré à l’occasion de son passage à Paris pour une réunion de l’Institut pour la liberté religieuse et la sécurité en Europe (IFFSE) dont il est un des membres fondateurs, en tant que président de la Conférence des rabbins européens.

La sentence de Lavrov, soutenant que Zelensky pouvait être à la fois juif et nazi et que d’ailleurs Hitler avait du « sang juif », a frappé les esprits. Les réactions en Europe furent unanimes pour s’indigner face à ce qui a été perçu comme la parole obscène d’un dirigeant politique prêt à tout pour justifier la guerre d’agression que mène son pays. Or qu’est-ce qui recouvre exactement ce sentiment d’obscénité ? Est-ce vraiment l’expression d’un rejet du nazisme réel, celui qui avait la haine des juifs pour ressort ? Ou bien ce sentiment recouvre-t-il une ambivalence plus fondamentale du rapport que les Européens entretiennent avec les juifs, encore aujourd’hui ?

Anvers, ses diamants. Dans ce texte que l’écrivaine Nathalie Skowronek nous a confié, elle s’échappe du roman et de l’essai qui l’ont fait connaître pour nous faire découvrir, cette fois par l’approche documentaire, un monde en voie de disparition.  L’auteure s’est promenée dans une ville à la rencontre des fils, petits-fils et arrière-petit-fils des diamantaires anversois qui comprennent que « pour eux, c’est fichu » et voient que « l’anglais a fini par enterrer le yiddish ».

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.