# 66 / Edito

 

De la littérature et des sommets où elle mène… Pour le grand poète Haïm Nahman Bialik, ce fut celui du Mont Scopus. En 1925, Bialik prononça le puissant discours d’inauguration de l’Université Hébraïque de Jérusalem. Moment fondateur de l’histoire du sionisme que le poète inscrit dans la longue histoire du peuple juif. Plutôt que sur la rupture que représente le retour en Eretz Israël, Bialik insiste sur la continuité de l’étude qui trouvera désormais dans cette université le lieu privilégié de son prolongement. Une manière d’articuler, avec des accents prophétiques, la longue existence diasporique et le récent ré-ancrage territorial, et de donner toute sa profondeur historique à l’idéal spirituel que l’Université de Jérusalem entend incarner. Discours sublime mais discours oublié que K. est heureuse de publier pour la première fois en français dans une traduction de Davide Mano et Ron Naiweld qui en signent également la présentation. L’occasion, aussi, pour notre revue, d’inaugurer une nouvelle rubrique d’archives dans laquelle on croisera bientôt d’autres grandes figures des siècles passés qui comptèrent, elles aussi, dans l’histoire des Juifs et de l’Europe.

Du sommet du mont Scopus à celui de la littérature française : telle est la place conquise par Marcel Proust. Il aura pourtant fallu attendre le centenaire de sa mort pour qu’une exposition se penche enfin sur la part juive de l’auteur de la Recherche. C’est ce que propose en ce moment le mahJ, sous la houlette inspirée d’Isabelle Cahn, commissaire de l’exposition Proust du côté de la mère (jusqu’au 28 août 2022). Une exposition dont la philosophe Avishag Zafrani rend compte cette semaine.

Sommets, enfin, de la ville aux sept collines dans laquelle pose un Yehoshua rayonnant sur la photo qui illustre l’article d’hommage que lui consacre Béryl Caizzi. Après Amoz Oz et Aaron Appelfeld, il y a quelques années, une autre grande figure de la littérature israélienne nous a quittés la semaine dernière. Reste une œuvre, dont Béryl Caizzi rappelle le trait principal et qui accompagnera longtemps qui veut s’élever vers les sommets de l’engagement littéraire mais aussi de la grandeur morale.

Le 1er avril 1925, le grand poète Bialik prononçait le discours d’inauguration de l’Université hébraïque de Jérusalem. Ce discours, traduit pour la première fois en français dans K., nous ramène dans le monde d’un yichouv encore fragile et du sionisme dans sa phase pré-étatique. Une époque où le projet sioniste oscille entre l’affirmation d’une solution politique pour les Juifs, en rupture avec l’Europe, et celle d’une réalisation culturelle qui continue de s’inscrire dans la trajectoire des Juifs en Europe. L’Université, comme nombre d’institutions en Palestine mandataire, précède l’État et se conçoit comme le centre intellectuel du peuple juif à venir.

L’exposition pensée par la commissaire Isabelle Cahn et scénographiée par Joris Lipsch au mahJ – Proust du côté de la mère – recueille les traces mnésiques de la condition juive de Proust. Elle sollicite aussi une réflexion plastique sur le sens de l’art et de son histoire, sur l’institution muséale elle-même, sur la puissance de l’image et son effet sur le regard comme sur la pensée – autant de thèmes, incessamment travaillés dans La Recherche du temps perdu, sur lesquels Avishag Zafrani revient pour K.

Yehoshua est mort le mardi 14 juin à l’âge de 85 ans et il est difficile de ne pas avoir le sentiment que nous approchons de la fin d’une époque. Celle d’Aharon Appelfeld (1932-2018), d’Amos Oz (1938-2018) et d’A.B. Yehoshua (1936-2022), qui ont incarné une génération de lions de la littérature israélienne, lesquels n’étaient pas seulement de grands écrivains. Cette génération représentait aussi la conscience morale d’une nation qu’ils ont vu naître.

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.