Après la Shoah, après la création de l’État d’Israël, la carte de la vie juive a été profondément reconfigurée. Ses centres les plus significatifs se sont déplacés. Comme toujours au long de l’histoire juive. Car il ne faut pas penser que le polycentrisme juif aurait pris fin : l’État d’Israël ne constitue pas le centre des centres, mais complique un polycentrisme auquel il s’est intégré. Simon Doubnov (1860-1941) fut le grand historien moderne de ce mode d’existence de la nation juive, comme nœud constamment refait de temps et d’espaces. Cherchant à en suivre les mouvements au gré de l’histoire, il s’engagea de cette manière à comprendre son propre présent juif, et nous légua, au seuil de sa mort dans le ghetto de Riga, la forme de la question : comment le polycentrisme juif peut-il être décrit, ici et maintenant et comment faut-il nous y mouvoir pour survivre et perpétuer la nature diasporique du peuple ? Bruno Karsenti la reconstitue dans sa forme et son insistance de question proprement juive, et la reprend dans notre présent : celui d’une Europe de l’Ouest où s’accusent les traits d’une expérience qui concerne aujourd’hui tous les juifs, parce que s’y précipitent les éléments autour desquels elle s’est toujours construite.
C’est aussi à une expérience qui concerne tous les Juifs d’Europe aujourd’hui qu’est consacré le travail de Patrick Zachmann sur lequel Avishag Zafrani revient cette semaine dans K. Ses photographies, exposées au mahJ jusqu’au 6 mars, traquent la perte, mais enregistrent aussi la survie et la persistance. Elles sont d’un blanc et noir d’encre, comme si le présent de leur capture était déjà figé dans le passé. La réalité juive qu’il documente apparaît souvent comme spectrale, les images distinguant les contours du monde d’après. La catastrophe qui a frappé s’y décèle partout comme une trace indélébile, mais les images racontent aussi l’histoire d’une mémoire qui se retrouve. Zachmann est né après la guerre, dans une famille silencieuse qui ne lui disait rien de sa religion et de sa culture. Il a fallu qu’il aille photographier les Juifs là où il les trouvait pour en savoir un peu sur lui-même.
On se demande comment Philippe Zachmann pourrait photographier un Marco Mouly, personnage haut en couleur, escroc et histrion de génie, qui vibrionne sans jamais cesser son cirque dans Les rois de l’arnaque, le documentaire réalisé par Guillaume Nicloux et diffusé sur Netflix. Le titre évoque une série B française des années 70, le film raconte l’histoire d’une des plus grosses escroqueries commises en France. Escroquerie qui est aussi une histoire juive et que David Haziza regarde comme telle, en s’interrogeant sur la criminalité des juifs et les chemins sinueux de leur ascension sociale.