K., nos lecteurs le savent bien, est une publication éminemment sérieuse. Or, notre numéro de cette semaine tombe à la croisée de deux célébrations aux dimensions carnavalesques, puisqu’elles enjoignent de se réjouir de la subversion des rapports de pouvoir et de domination habituellement institués, jusqu’à leur renversement. Que faire alors, pour ne pas déchoir de notre réputation de trouble-fête ? Nous n’avons trouvé d’autre solution que de pousser l’interrogation en direction du sens de ces fêtes qui, si on veut éviter qu’elles se réduisent à de simples mascarades, doit rester tangible au sein de la liesse.
Pourim est une fête liée à la condition politique des juifs en exil, au sens où elle en reflète l’enjeu central : celui de leur protection en tant que peuple dispersé. Or, en principe, l’État des juifs – qui est dédié à cette tâche de protection – devrait rendre l’expérience de la tension contenue dans le livre d’Esther inaccessible, et donc Pourim obsolète. Pourtant, Pourim a continué d’être célébré, même là où son sens se faisait le plus lointain. Le 7 octobre, en rendant saillantes la fonction de l’État des juifs et ses limites, est venu interroger cette déréalisation progressive. Si bien que, pour le Pourim de cette année, on voit circuler des appels à ce que les enfants israéliens adoptent le costume de Batman qui fut porté par Ariel Bibas. Mais que recouvre exactement cet appel à actualiser en Israël la fête diasporique par excellence ? Danny Trom nous invite à considérer le sens de Pourim, dans ce qu’il a de disjoint selon que l’on se situe en diaspora ou en Israël, mais aussi de convergent.
Qu’est-ce que la Journée internationale des droits des femmes, sinon une procession d’hommages calculés, une chorégraphie de courbettes serviles, une grand-messe de bons sentiments où le patriarcat se donne la peine, une fois l’an, de feindre son propre enterrement ? C’est en tout cas l’avis de notre autrice Valeria Solanstein qui, pastichant le fameux SCUM Manifesto de Valerie Solanas de 1967, nous raconte la réalité de la condition féminine dans la communauté juive tous les jours où l’on ne fait pas semblant que la domination masculine serait à l’agonie. K. considère qu’il faut faire entendre ce cri de rage d’une jeune femme juive qui essaie d’exister dans un monde qui ne veut pas d’elle si elle ne sait pas rester « à sa place ». Quand il s’agit d’émancipation féminine, le monde juif n’est pas pire que le reste de la société, mais il n’est pas meilleur non plus, voilà ce que cette voix fait résonner, douloureusement.
Il était tout aussi douloureux de voir des femmes et féministes juives se faire rejeter à nouveau des manifestations en l’honneur de la Journée internationale des droits des femmes. Comme l’année dernière, ce cortège censé faire avancer la lutte pour l’émancipation féminine s’est transformé en forum anti-israélien, refusant obstinément d’entendre la souffrance que des femmes juives ont subie lors du 7 octobre, et plus tard dans les tunnels du Hamas. Tout cela au nom d’un universalisme tordu, prétendant œuvrer pour l’émancipation de tous. Pour honorer les femmes israéliennes, qui clairement n’appartiennent pas à ce « tous » aux yeux des féministes occidentales, nous republions cette semaine le texte glaçant que Julia Christ avait consacré aux viols de masse le 7 octobre, et à ce faux universalisme où les femmes juives semblent ne pas compter.