# 208 / Edito

K., nos lecteurs le savent bien, est une publication éminemment sérieuse. Or, notre numéro de cette semaine tombe à la croisée de deux célébrations aux dimensions carnavalesques, puisqu’elles enjoignent de se réjouir de la subversion des rapports de pouvoir et de domination habituellement institués, jusqu’à leur renversement. Que faire alors, pour ne pas déchoir de notre réputation de trouble-fête ? Nous n’avons trouvé d’autre solution que de pousser l’interrogation en direction du sens de ces fêtes qui, si on veut éviter qu’elles se réduisent à de simples mascarades, doit rester tangible au sein de la liesse.

Pourim est une fête liée à la condition politique des juifs en exil, au sens où elle en reflète l’enjeu central : celui de leur protection en tant que peuple dispersé. Or, en principe, l’État des juifs – qui est dédié à cette tâche de protection – devrait rendre l’expérience de la tension contenue dans le livre d’Esther inaccessible, et donc Pourim obsolète. Pourtant, Pourim a continué d’être célébré, même là où son sens se faisait le plus lointain. Le 7 octobre, en rendant saillantes la fonction de l’État des juifs et ses limites, est venu interroger cette déréalisation progressive. Si bien que, pour le Pourim de cette année, on voit circuler des appels à ce que les enfants israéliens adoptent le costume de Batman qui fut porté par Ariel Bibas. Mais que recouvre exactement cet appel à actualiser en Israël la fête diasporique par excellence ? Danny Trom nous invite à considérer le sens de Pourim, dans ce qu’il a de disjoint selon que l’on se situe en diaspora ou en Israël, mais aussi de convergent.

Qu’est-ce que la Journée internationale des droits des femmes, sinon une procession d’hommages calculés, une chorégraphie de courbettes serviles, une grand-messe de bons sentiments où le patriarcat se donne la peine, une fois l’an, de feindre son propre enterrement ? C’est en tout cas l’avis de notre autrice Valeria Solanstein qui, pastichant le fameux SCUM Manifesto de Valerie Solanas de 1967, nous raconte la réalité de la condition féminine dans la communauté juive tous les jours où l’on ne fait pas semblant que la domination masculine serait à l’agonie. K. considère qu’il faut faire entendre ce cri de rage d’une jeune femme juive qui essaie d’exister dans un monde qui ne veut pas d’elle si elle ne sait pas rester « à sa place ». Quand il s’agit d’émancipation féminine, le monde juif n’est pas pire que le reste de la société, mais il n’est pas meilleur non plus, voilà ce que cette voix fait résonner, douloureusement.

Il était tout aussi douloureux de voir des femmes et féministes juives se faire rejeter à nouveau des manifestations en l’honneur de la Journée internationale des droits des femmes. Comme l’année dernière, ce cortège censé faire avancer la lutte pour l’émancipation féminine s’est transformé en forum anti-israélien, refusant obstinément d’entendre la souffrance que des femmes juives ont subie lors du 7 octobre, et plus tard dans les tunnels du Hamas. Tout cela au nom d’un universalisme tordu, prétendant œuvrer pour l’émancipation de tous. Pour honorer les femmes israéliennes, qui clairement n’appartiennent pas à ce « tous » aux yeux des féministes occidentales, nous republions cette semaine le texte glaçant que Julia Christ avait consacré aux viols de masse le 7 octobre, et à ce faux universalisme où les femmes juives semblent ne pas compter.

Le sens de Pourim – fête exilique par excellence en ce qu’elle reflète l’enjeu de la protection du peuple dispersé – n’est-il pas appelé à s’estomper dès lors que les juifs se sont donnés un État chargé de les préserver de la persécution ? C’est la question que rouvre Danny Trom à la lumière du 7 octobre et de ses suites. Comment doit-on comprendre que circulent, pour le Pourim de cette année, des appels à ce que les enfants adoptent le costume de Batman d’Ariel Bibas ? N’est-ce pas que la condition politique juive en exil demeure latente dans la réalisation du projet sioniste, n’attendant que son actualisation ?

Pour la Journée internationale des droits des femmes, K. publie un texte qui détonne par rapport à sa ligne habituelle. Une jeune femme juive nous a en effet fait parvenir un manuscrit qui, pastichant le célèbre SCUM Manifesto (1967) de la militante féministe radicale Valérie Solanas, exprime avec virulence sa colère face à la surdité du monde juif aux revendications d’émancipation féminine. Considérant que si, certes, la colère n’est pas encore la politisation, elle est néanmoins ce qu’on obtient à maintenir le couvercle sur ce qui bout, nous avons décidé nous avons décidé de le traduire de l’anglais et de le publier.

Que dire des crimes sexuels perpétrés par les hommes du Hamas le 7 octobre – documentés un peu plus chaque jour par le travail d’un groupe israélien de gynécologues, médecins légistes, psychologues et juristes du droit international ? Et comment comprendre l’occultation de la violence faite aux femmes ce jour-là par une partie de l’opinion mondiale – supposées « féministes » comprises ?  Cette occultation ne revient-elle pas à faire une deuxième fois violence à ces femmes, comme si leur calvaire ne comptait pas et était dépourvu de signification ?

Avec le soutien de :

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.

La revue a reçu le soutien de la bourse d’émergence du ministère de la culture.