Que se passe-t-il dans la société israélienne ? Si pour d’aucuns cette question peut paraître secondaire eu égard de ce qui se passe actuellement à Gaza, force est de constater qu’on n’en sait pas grand-chose. Car si elle a été intensément sillonnée dans les semaines qui ont suivi le 7 octobre, le travail sur ce terrain a été délaissé au fur et à mesure que l’attention internationale s’est portée sur les conséquences insupportables de la guerre à Gaza. Les reportages qui nous parlent de cette société israélienne, qui ne peut pas être désidentifiée de l’armée qui mène la guerre désormais vilipendée, se sont raréfiés et, en vérité, on s’est arrêté sur un plan fixe : une société unie dans le traumatisme et déchirée entre le désir de voir revenir les otages et son attachement féroce à gagner cette guerre. Or, la société israélienne est plus complexe que cela. Deux membres de notre rédaction, Julia Christ et Elie Petit, sont en ce moment sur place pour documenter la complexité des dilemmes et des enjeux qui la traversent . Un de ces enjeux est certainement la question des otages. Aussi se sont-ils rendus, dès leur arrivée en Israël, à la grande manifestation hebdomadaire exigeant leur libération, pour comprendre ce qui se joue réellement dans cette question. Et il s’avère que la demande de la société israélienne se résume à un seul mot, « Maintenant », comme si le présent du 7 octobre ne s’était jamais refermé. Cette semaine, K. publie leur reportage, premier texte d’une série d’articles qui seront issus de ce séjour en Israël.
Serait-il possible qu’au cœur de l’Europe, dans sa capitale même, les juifs se trouvent esseulés ? C’est le triste constat que dresse cette semaine le texte de l’historien belge Joël Kotek. Il s’y alarme de la prégnance en Belgique d’une passion anti-israélienne décomplexée, souvent ouvertement antisémite, qui semble s’étendre à l’ensemble du paysage politique, de la droite chrétienne au parti socialiste. Si l’on peut s’interroger sur les particularités de cet antisémitisme belge, et s’inquiéter de ce que signifie l’expression d’une telle hostilité à l’égard des juifs à quelques pas des institutions européennes, on s’étonnera aussi de ce que, vue de Belgique, la situation française apparaisse tellement enviable. Le modèle républicain, qui vectorise l’opinion selon un idéal d’émancipation, permettrait-il de cantonner l’antisémitisme aux franges ?
Alors que la Belgique donne un spectacle que l’on redoute pour l’Europe, la scène juive américaine semble continuer de produire des éloges de l’exil, pensés non pas dans la complémentarité avec un État pour les juifs, mais contre ce dernier. Nous publions cette semaine un texte d’Abraham Zuraw faisant la critique du dernier livre de Shaul Magid, The Necessity of exil. Dans une veine qui rappelle à certains égards le « manifeste juif » de Daniel Boyarin (selon lequel la solution pour les juifs résiderait dans le fait qu’il ne possède pas d’État), Magid y idéalise l’exil, se faisant le promoteur d’un « contre-sionisme » à portée métaphysique. Mais alors que le climat est en train de changer pour les juifs américains – depuis le gouvernement Trump jusque dans la vague antisioniste actuelle sur les campus –, il se pourrait très bien que même les contempteurs les plus résolus de l’État d’Israël finissent par ressentir l’inquiétude qui s’éprouve de Bruxelles. À peine sorti, le contre-sionisme serait-il déjà périmé ?