# 161 / Edito

Parce que K. est un espace où concepts et affects s’entremêlent sans contradiction, notre revue offre à lire cette semaine un long texte de philosophie politique et un poème. Deux textes de nature très différente, mais qui ont tous deux pour fonction de fournir les ressources intellectuelles dont les sombres temps actuels font chaque jour croître en nous le besoin.

Dans « Peut-on être antisioniste ? », Julia Christ se livre à une analyse méticuleuse des éléments portant sur la question de savoir comment distinguer l’antisionisme de l’antisémitisme. On sait que l’enjeu est de taille, tant s’opposent ceux pour qui on peut tout à fait être antisioniste sans être antisémite,  à ceux pour qui tout antisionisme serait constitutivement mu par la haine des juifs. Dans la situation politique actuelle, clarifier ce débat suppose de le reconduire à ses principes, c’est-à-dire aux conceptions politiques fondamentales qui s’y trouvent engagées. Or dans le débat public, bien peu de lumières ont pour l’instant été produites à ce sujet. On a beau cogner l’un contre l’autre « antisémitisme » et « antisionisme », dans l’espoir sans doute qu’une étincelle jaillisse de cette friction, l’intelligence de leur distinction peine à émerger. Pour changer la donne, il est nécessaire, comme le fait ici Julia Christ, de cerner au plus près le genre de critique de l’État à même de justifier la création d’un terme ad hoc pour le cas singulier de l’État d’Israël. Car c’est en distinguant l’antisionisme sur le plan de la sémantique politique que son lien exact à l’antisémitisme peut du même coup être compris, et dans le même temps démasqué.

Dans Quand le vin est tiré, c’est au moyen d’un poème que Judith Offenberg, depuis Tel Aviv, nous donne des nouvelles d’Israël. Comment une vie normale est-elle possible dans l’atmosphère d’un pays en guerre ? Et comment serait-il possible de ne pas succomber à la tentation de poursuivre comme si de rien n’était ? Que rien ne soit possible et que pourtant il le faille, voilà ce que notre jeune poétesse essaie de circonscrire.

« Il faut différencier entre antisionisme et antisémitisme » affirment ceux à qui il ne plaît pas d’être qualifiés d’antisémites. Cette exigence, à première vue, n’a rien d’insensée : il est en effet nécessaire de distinguer ce qui relève d’une critique légitime de l’État des juifs d’un sentiment louche et douteux à l’égard de ces derniers. Est-il pour autant nécessaire d’inventer un mot spécifique pour cette critique ? La philosophe Julia Christ traque les différents usages possibles de la notion d’ « antisionisme » et se demande à quelle condition, et dans quel contexte, la critique de l’État d’Israël peut légitimement se dire antisioniste. Cette petite analytique de la critique étatique et de ses modalités permet de percevoir mieux quand l’antisionisme n’est qu’un autre mot pour antisémitisme.

« C’est le calme après la tempête. / C’est le calme avant la tempête. / Nous savons ce qui s’est passé. / On a repris une vie normale. / Nous savons ce qui est encore à venir. / On égarera cette vie normale. / La guerre est là, et plus est à venir. »

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