Nous n’avons pas cessé, dans K., de marquer l’effroi suscité par les attaques du 7 octobre en même temps que d’exprimer la déréliction sioniste, au sens où nous l’entendons, que cet événement a provoqué. Les manifestations de la haine d’Israël qui se sont révélées – de l’antisémitisme le plus vulgaire, menant à des actes de violence concrets, à celui de certaines élites intellectuelles nourrissant la réaction d’une partie de la gauche globale – sont ce contre quoi il nous faut combattre en diaspora. Rien de ce diagnostic ne peut selon nous être remis en question à l’heure où l’aggravation croissante de la situation à Gaza exige qu’on prenne clairement position. Car la guerre, juste quant à son but, a un prix en termes de vies palestiniennes détruites qu’Israël même ne peut consentir à payer. Michael Walzer l’avait formulé ainsi dans l’entretien paru dans K. dès le 18 octobre : « la manière dont vous menez un combat juste met en péril la justesse ce combat » Et Bruno Karsenti analyse cette semaine comment la politique militaire israélienne, telle qu’elle est actuellement menée, minée par son absence totale de perspective, se révèle une impasse.
Mais il ne faut pas oublier que les fronts sont multiples. Pour les communautés juives en diaspora, la guerre est avant tout symbolique et se joue dans les attaques du langage même, quand il travestit la réalité (historique, politique) et que les exigences de la pensée cèdent devant la tentation du repli dans l’idéologie. La démarche est honteuse quand elle se pare de la posture de la haute intellectualité pour abêtir une audience captive plutôt que contribuer à l’éclairer. Les déclarations de Judith Butler la semaine dernière, au cours d’une table ronde à Pantin à l’invitation d’un collectif décolonial, relèvent de ce phénomène. Eva Illouz – pour qui les positions d’une certaine gauche sapent les idéaux égalitaires et universalistes de la gauche, ouvrant la voie à la haine des Juifs – comme notre Karl Kraus – particulièrement attentif à la bêtise de l’opinion toute faite qui travaille de l’intérieur un discours qui se prétend articulé – y reviennent chacun à sa manière. Car il faut bien entendre et mesurer dans quelle sorte de pathologie politique et discursive s’ancrent de phrases comme celles prononcées le 3 mars dernier par une des philosophes les plus célébrées du monde universitaire actuel : « Je pense qu’il est plus honnête, et plus correct historiquement, de dire que le soulèvement du 7 octobre était un acte de résistance armée. Ce n’est pas une attaque terroriste, ce n’est pas une attaque antisémite » et « Qu’il y ait ou non des documents à l’appui des allégations de viols de femmes israéliennes… d’accord… s’il y a des documents, nous le déplorons, mais nous voulons voir ces documents. »