# 154 / Edito

Qu’est-ce qui explique l’engagement de l’Afrique du Sud à se faire le véhicule de l’accusation de génocide envers Israël ?[1] À écouter les responsables politiques sud-africains et leurs soutiens, il n’y aurait pas à chercher plus loin qu’un amour désintéressé pour les droits de l’homme, la liberté et la justice. Le soutien inébranlable du Congrès national africain (ANC) à la « résistance » palestinienne serait tout simplement la prolongation naturelle de la lutte du parti de Mandela contre l’apartheid. Mais, comme le montre le texte de Howard Sackstein, membre fondateur du Mouvement juif anti-apartheid, il y a de bonnes raisons de se méfier de ce récit idyllique. La « nation arc-en-ciel » proclamée par Mandela semble en effet avoir développé depuis lors sa part d’ombre. Alors que l’Afrique du Sud est gangrenée par une pauvreté galopante et une corruption endémique, les habits de parangon de vertu dont cherche à se revêtir l’ANC semblent surtout faire office de cache-misère. Il ne serait après tout pas le premier à tenter de s’acheter une réputation progressiste sur le dos d’Israël. Et, en s’aliénant les alliés historiques de la lutte contre l’apartheid que furent les juifs sud-africains, ne renie-t-il pas une partie de l’héritage dont il se revendique ?

Nous avons déjà interrogé, dans K., la manière dont les massacres du 7 octobre étaient venus raviver pour les juifs la mémoire des pogroms européens, cette fatale répétition que la création d’Israël comme État-refuge pour les juifs était supposé conjurer. Prolongeant cette interrogation, Anne Simon propose cette semaine une exploration des imaginaires mythologiques, religieux, linguistiques et littéraires qui ont été convoqués par le pogrom récent. Toutefois, son point de départ ouvre d’autres perspectives et éclaire les événements d’un jour nouveau : celui du Déluge. Car, comment le Hamas a-t-il pensé son crime atroce, sinon comme la redite de ce mythe biblique ? « Opération Déluge d’al-Aqsa » est le nom qu’il a donné à ce jour où toute créature s’étant trouvée sur le sol israélien, animaux de compagnie y compris, est devenu la cible d’une volonté d’annihilation se revendiquant d’inspiration divine. Dès lors, l’espoir d’un avenir se trouve accaparé par le motif, équivoque et disséminé, de l’Arche.

Enfin, alors que l’Association des centres d’aide aux victimes de viol en Israël a présenté la semaine dernière à l’ONU son rapport détaillé sur les violences sexuelles commises par le Hamas le 7 octobre, nous republions l’article que Julia Christ avait consacré à cette question fin novembre. À ce moment-là, après près de deux mois de silence assourdissant, il s’agissait d’un des premiers éclairages sur le caractère systématique des viols qu’avaient subi les Israéliennes lors du massacre. Surtout, Julia Christ y interrogeait les enjeux de leur occultation par une partie significative de l’opinion internationale, supposées « féministes » comprises.

Comment comprendre l’acharnement de l’Afrique du Sud à accuser Israël de génocide devant la Cour international de Justice ? Howard Sackstein, membre fondateur du Mouvement juif anti-apartheid, revient dans ce texte sur la dégradation du contexte politico-économique du pays, sur les faillites de l’ANC et la manière dont ce dernier essaye de redorer son blason et de remplir ses coffres en se faisant le porte-parole de l’antisionisme mondial. En toile de fond de ces manœuvres politiques, se pose la question incertaine de l’avenir de la communauté juive sud-africaine.

Dans ce texte, Anne Simon interroge les imaginaires qui ont été convoqués par les massacres du 7 octobre : entre la référence au pogrom qui s’est imposée chez de nombreux juifs pour les appréhender, et la manière dont ils ont été qualifiés par le Hamas, c’est-à-dire en tant que Déluge. Au cœur de cette exploration, le motif de l’Arche, d’un refuge qui ouvre la possibilité d’un avenir, mais risque toujours de s’avérer plus fragile que promis.

Que dire des crimes sexuels perpétrés par les hommes du Hamas le 7 octobre – documentés un peu plus chaque jour par le travail d’un groupe israélien de gynécologues, médecins légistes, psychologues et juristes du droit international ? Et comment comprendre l’occultation de la violence faite aux femmes ce jour-là par une partie de l’opinion mondiale – supposées « féministes » comprises ?  Cette occultation ne revient-elle pas à faire une deuxième fois violence à ces femmes, comme si leur calvaire ne comptait pas et était dépourvu de signification ?

Avec le soutien de :

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Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.