# 130 / Edito

En Pologne, depuis plusieurs années déjà, on assiste à des tentatives d’instrumentalisation de l’histoire de la Shoah au profit d’un récit glorificateur porté par le nationalisme polonais et relayé jusqu’aux plus hautes sphères du pouvoir. Cette pulsion de réécriture, que nous avons évoquée plusieurs fois dans K. (voir « Les ‘Justes polonais’ à Markowa » d’Ewa Tartakowsky ou « Judéités et nationalisme : le kaléidoscope polonais. Entretien avec Geneviève Zubrzycki »), s’exprime notamment par un militantisme qui s’acharne sur les contenus en ligne abordant l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, en particulier sur Wikipédia. Jan Grabowski et Shira Klein, dans une étude parue cette année – « La déformation intentionnelle de l’histoire de la Shoah par Wikipédia » (The Journal of Holocaust Research) – analysent les pratiques de certains Wikipédiens (ces bénévoles contribuant à la rédaction de l’encyclopédie ouverte) qui minimisent, omettent, voire nient des faits historiques. Parmi ces derniers, en premier lieu, les faits qui mettent en cause l’image d’une Pologne victime et héroïque, peuplée de Justes ayant sauvé les Juifs pendant la guerre. Ewa Tartakowsky s’est entretenue avec les deux historiens.

Pour signaler la sortie, à la fin de l’été, du nouveau roman de Robert Menasse – L’Élargissement, l’un des romans les plus remarquables de cette rentrée littéraire – nous publions une nouvelle, inédite en français de cet auteur, un des écrivains contemporains de langue allemande les plus importants. Né le 21 juin 1954 à Vienne, où ses parents, chassés d’Autriche par le nazisme, sont revenus après la guerre, Robert Menasse appartient à la deuxième génération après la Shoah. Son prénom en porte les traces (le choix de son père se porta à dessein sur Robert, ces deux syllabes prononçables en toute langue :  « au cas où »), tout comme son œuvre, avec des romans comme La pitoyable histoire de Leo Singer ou Chassés de l’enfer. En 2010, Robert Menasse s’intéresse à Bruxelles, « laboratoire de l’Europe », selon son expression, qui sert de toile de fond à ses deux derniers romans. Après La Capitale (2019), L’Élargissement aborde de manière satirique la question de l’adhésion de l’Albanie à l’Union européenne. Toutes ses œuvres sont publiées en France chez Verdier. Dans « La Fin de l’hiver de la famine », que K. se réjouit de faire paraître cette semaine, il revient sur la thématique de l’exil, constamment présente dans son œuvre, et offre une réflexion sur le souvenir de la Shoah et la perversité des mécanismes de la mémoire que l’Autriche en particulier et l’Occident en général entretiennent à son égard.

Enfin, puisque la saison 2 de Kulüp [The Club] est disponible sur Netflix en France depuis le 15 septembre, nous republions le texte que nous avions déjà consacré à la série turque. En racontant l’histoire de la communauté juive stambouliote des années 50, celle-ci a donné une visibilité inédite à une minorité généralement représentée de manière caricaturale et malveillante en Turquie. Nesi Altaras (journaliste d’Istanbul publiant à la fois en turc et en Ladino) évoque l’émotion qu’il a éprouvée à entendre le ladino à la télévision. S’appuyant sur ses propres souvenirs familiaux, il raconte comment, avec The Club, le traumatisme privé des familles juives victimes du nationalisme a fait irruption dans le débat public turc.

Les historiens Shira Klein et Jan Grabowski ont rédigé une importante étude sur les distorsions de l’histoire de la Shoah – en particulier en Pologne – contenues dans un grand nombre de pages Wikipédia. Ils y analysent les pratiques de certains Wikipédiens, ces bénévoles contribuant à la rédaction de l’encyclopédie ouverte, qui visent à minimiser, omettre, voire nier certains faits historiques ; notamment ceux qui touchent à l’image d’une Pologne victime et héroïque, peuplée de Justes ayant sauvé les Juifs pendant la guerre.

« Il avait alors un peu moins de cinq ans, mais comme il venait de passer six mois caché dans la singerie du zoo d’Amsterdam, cela ne l’avait ni surpris, ni même effrayé : ‘Le singe est venu nous apporter le repas, ça, c’était on ne peut plus normal.’ Ce qui n’était pas habituel, au point de nous mettre dans tous nos états… Ça, il le dit juste à ce moment-là : ‘Ce qui n’était pas habituel, au point de nous mettre dans tous nos états, c’est que le chimpanzé Kocheeba nous avait aussi apporté un livre. Il a posé la gamelle devant nous et s’est mis à bafouiller.’ »

La série The Club, diffusée sur Netflix, ébranle les récits officiels de la Turquie pour présenter une image plus complexe et réaliste de l’Istanbul juive des années cinquante. Alors que le tournage de la saison trois vient de se terminer, le journaliste turc Nesi Altaras revient sur les effets, pour les juifs stambouliotes, de ce programme inattendu, interprété dans une langue – le ladino – qu’il n’aurait jamais cru entendre dans une série destinée au grand public.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.