# 103 / Edito

La crise qui a explosé en Israël se déroule sur deux fronts. Les manifestations sans précédent qui rythment la vie politique du pays depuis que le nouveau gouvernement de Netanyahou s’est engagé dans la voie d’une réforme du système judiciaire manifeste un front intérieur où les citoyens israéliens se déchirent sur la définition et le devenir de leur pays. Mais aussi, à l’extérieur de l’État, en Cisjordanie, où après le meurtre de deux Israéliens de la colonie de Har Brakha, des centaines de colons se sont livrés au saccage de Huwara et de trois villages voisins, faisant un mort palestinien. Sur ce deuxième front, la violence des sionistes religieux exprime la radicalité d’un nationalisme qui passe par une volonté de d’appropriation exclusive d’un lieu, et donc d’en déposséder les Palestiniens. Comme Bruno Karsenti le rappelle, si advenait l’État désiré par les émeutiers commettant un tel geste (et désiré jusque dans le gouvernement, comment en témoigne la phrase lâchée par le ministre des Finances Betsalel Smotrich : « Israël devrait effacer le village de Hawara »), il ne serait plus Israël – en tout cas l’Israël issu du sionisme historique que le sionisme religieux remet aujourd’hui en question. « Dans le sionisme historique, il ne fait de doute pour personne que les Arabes Palestiniens appartiennent à cette terre et y tiennent, c’est-à-dire sont fondés à y appartenir et à y tenir. » Le texte de Bruno Karsenti – « Ce à quoi nous tenons » – commente la situation qui agite Israël en ce moment mais il introduit aussi celui du philosophe palestinien Sari Nusseibeh – « Appartenance et possession » – , prononcé le 24 janvier dernier à Jérusalem lors d’un colloque consacré à « Martin Buber et son héritage » et que nous sommes heureux de publier dans K. cette semaine. L’exploration philosophique de tous les sens associés aux verbes « appartenir » et « posséder », aussi analytique soit-elle, nous offre une manière de plonger au cœur des enjeux du présent. En effet, attaché à un indéfectible principe de non-violence en vue de « [trouver] le chemin d’une certaine forme de vivre ensemble » entre Juifs et Palestiniens, l’ancien président de l’Université palestinienne Al-Quds à Jérusalem-Est passe par l’œuvre de Buber, par l’angoisse de ce dernier s’interrogeant sur la nature et l’avenir du sionisme, pour dire son souci que deux peuples puissent partager la même terre.

Féminisme et judaïsme… Nous republions le reportage sur les militantes juives de Marseille qui s’emparent des murs de la ville pour coller leurs slogans sur l’antisémitisme et la situation des femmes juives : « Juive et fière » proclame l’un d’eux. Yoram Melloul raconte les tensions auxquelles se confrontent ces militantes, religieuses et féministes, ainsi que leur dénonciation du silence de leur camp – la gauche – vis-à-vis de l’antisémitisme…

Revenant sur la situation politique qui enflamme Israël, Bruno Karsenti rend compte des multiples fractures qui divisent en profondeur les populations qui vivent dans la région. Tous les sous-groupes en ébullition – sionistes religieux, citoyens israéliens manifestant pour la défense d’un État moderne démocratique aujourd’hui en danger, Palestiniens d’Israël et des territoires occupés – sont ramenés à une même question, qui touche au sentiment d’appartenance diversement éprouvé. Car s’il est d’égale intensité, il n’a pas le contenu ni le même sens selon les perspectives en présence. Appartenir ou posséder ? Sari Nusseibeh revient dans le numéro de K. de cette semaine sur la tension entre ces deux mots. Le texte de Bruno Karsenti se lit comme une introduction à la contribution du philosophe palestinien.

Sari Nusseibeh, 74 ans, est un philosophe palestinien important qui, après ses études à Harvard, fut le président de l’université arabe de Jérusalem. Ancien représentant de l’OLP à Jérusalem et longtemps acteur des négociations dans le cadre du conflit israélo-palestinien, il est notamment l’auteur de ‘What Is a Palestinian State Worth?’ et de ‘The Story of Reason in Islam’. Dans son texte prononcé le 24 janvier dernier à Jérusalem, lors du colloque « Martin Buber et son héritage » organisé par l’Académie israélienne des Sciences et des Lettres, il propose une analyse philosophique des verbes « appartenir » et « posséder » – dans le contexte de l’équation unique qui, en Israël-Palestine, voit deux peuples pour une terre.

À Marseille, des militantes féministes s’emparent des murs de la ville pour coller des slogans sur l’antisémitisme et la situation des femmes juives. Elles donnent de l’écho à leur action via un compte Instagram. Une démarche qui a surpris dans la troisième communauté juive d’Europe, réputée pour son conservatisme. Yoram Melloul fait le portrait de certaines de ces colleuses, qui se retrouvent souvent prises en étau entre leur environnement traditionnel et leur militantisme.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.