Culture - Littérature

« Mes romans forment une sorte de saga litvak, un monument écrit à la mémoire des Juifs lituaniens disparus. » C’est ainsi que Grigory Kanovich aime à décrire son œuvre. Né en juin 1929 à Janova, dans une famille juive de langue yiddish, il a publié de nombreuses nouvelles et dix romans, traduits dans de nombreuses langues. Au mois d’août dernier, sous la forme d’un feuilleton de quatre épisodes, K. publiait la première traduction en français — par Elena Guritanu — du « Pauvre Rothschild ». En ce début d’année, nous continuons la saga juive de ce prolifique écrivain lituanien de 93 ans avec le récit « J’ai rêvé de Vilnius, la Jérusalem disparue », écrit en hommage à la capitale de la Lituanie. Elie Petit et Elena Guritanu retracent le parcours de Grigory Kanovich.

A partir de cette semaine, K. publie le premier épisode d’un long entretien avec Daniel Mendelsohn. Le grand écrivain américain, devenu célèbre avec Les Disparus, est l’auteur d’une œuvre riche où se croisent diverses traditions (tradition grecque, tradition juive, tradition américaine) et où l’art du récit se mêle avec l’acuité de l’analyse savante. Déborah Bucchi et Adrien Zirah, en introduction à l’entretien qu’ils ont mené, nous permettent de mieux percevoir la singularité et l’ambition d’une écriture où l’autofiction entre en dialogue avec les mythes les plus originaires.

Daniella Pinkstein fait se rencontrer et résonner les grandes figures juives de l’écriture et de la représentation qui se croisaient autrefois à Varsovie et à Paris — notamment autour des deux numéros de la revue ‘Khaliastra’. Entre des évocations et des extraits d’oeuvre de Kafka, de Chagall, de Markish et de Greenberg, elle y rend hommage à ce ‘davar’ qui les tenait ensemble, soit « cette chose disloquée qui rejoint, ondulante et impatiente, le mot. » Dans cette période d’entre-deux où des artistes juifs sont à la pointe de la modernité, elle y décrit une condition où « la responsabilité ne s’acquiert pas, ne s’apprend pas, elle se transmet, dans cette langue habitée, qui place l’individu face à son double. »

Yehoshua est mort le mardi 14 juin à l’âge de 85 ans et il est difficile de ne pas avoir le sentiment que nous approchons de la fin d’une époque. Celle d’Aharon Appelfeld (1932-2018), d’Amos Oz (1938-2018) et d’A.B. Yehoshua (1936-2022), qui ont incarné une génération de lions de la littérature israélienne, lesquels n’étaient pas seulement de grands écrivains. Cette génération représentait aussi la conscience morale d’une nation qu’ils ont vu naître.

En mai dernier, Gallimard faisait paraître « Guerre », le premier des manuscrits inédits de Céline, disparus depuis la fin de la guerre et disponibles à nouveau au terme d’une histoire rocambolesque encore largement secrète. Spécialiste de l’auteur de ‘Voyage au bout de la nuit’, Philippe Roussin revient pour K. sur l’entreprise que constitue l’édition de ses manuscrits perdus et retrouvés, un travail problématique mais dont l’objectif est ailleurs. Car au fond c’est toujours du statut de gloire littéraire de Céline dont il est question, au prix d’une entreprise d’effacement et de réécriture visant à réintégrer l’auteur dans le panthéon national et à en faire une machine à cash.

L’année 2022 marque les cent ans de la mort de Marcel Proust. Pour l’occasion, le « côté juif » de l’auteur de La Recherche fait l’objet d’une attention inédite. Le mahJ lui consacre depuis quelques semaines une excellente exposition « Marcel Proust. Du côté de la mère », dont le conseiller scientifique est le professeur au Collège de France Antoine Compagnon, qui vient de faire paraître Marcel Proust du côté juif (Gallimard). Le livre enquête sur les réceptions de l’œuvre qui se sont intéressées à son aspect « juif ». L’hypothétique judaïsme de Proust a fait couler beaucoup d’encre. Pour K., Milo Lévy-Bruhl propose de faire un pas de côté pour saisir le rôle pivot du grand romancier à l’intérieur d’un judaïsme moderne traversé à la fois par des dynamiques d’émancipation et de retour.

K. Publie cette semaine un entretien d’Antoine Nastasi avec Aharon Appelfeld, réalisé en 2010 et paru d’abord dans la revue ‘Esquisse(s)’. Nous avons demandé à Valérie Zenatti – sa traductrice en français et l’auteur de ‘Dans le faisceau des vivants’ (2019, Editions de l’Olivier), le beau livre dans lequel elle évoque ses relations de travail et d’amitié avec lui – de le lire et de l’introduire. Elle nous a donné ce texte sur les langues d’Appelfeld, autrement dit sur la tension qui traverse le grand écrivain entre l’allemand, sa langue maternelle mais aussi celle des bourreaux, et l’hébreu, sa langue adoptive dans laquelle il a construit une œuvre que sa mère n’aurait pas pu lire…

Romancier et poète israélien, né le 16 février 1932 à Jadova (près de Czernowitz, alors en Roumanie, aujourd’hui en Ukraine) et mort le 4 janvier 2018 à Petah Tikva en Israël, Aharon Appelfeld n’a eu de cesse de « traduire » son expérience d’enfant ayant survécu à la destruction des Juifs d’Europe. Nous sommes heureux de publier dans K. l’entretien réalisé par le psychanalyste Antoine Nastasi en août 2010 dans la revue ‘Esquisse(s)’ dont il était le rédacteur en chef. L’auteur de ‘Histoire d’une vie’ y parle de l’écriture et des mots, de l’hébreu « qui a modelé le caractère du peuple juif » et témoigne du mouvement des langues dans lequel l’histoire l’a ballotté, de l’allemand à l’hébreu, en passant par le yiddish.

Comment le récit de Meursault dans L’Étranger – avec en particulier la fameuse scène de son meurtre final – circule-t-il chez divers écrivains ? D’Albert Camus à Kamel Daoud, en passant par A.B. Yehoshua et Edward Saïd, Beryl Caizzi a repéré un jeu de reprises et de variations témoignant d’un motif secret sur lequel les relations inextricables entre Français, Arabes et Juifs sont projetées et interprétées de toutes les manières possibles.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.