Hier, nous étions deux ans après. Après quoi ? Après un massacre qui s’est certes déroulé là-bas, en Israël, mais qui pourtant nous implique, nous qui sommes ici en Europe. Or, ce que nous, Européens, sommes, cela n’a manifestement plus rien d‘évident. Ce dont il s’est agi le 7 octobre, alors, conserve quelque chose de nébuleux, car le nous européen qui s’y est trouvé impliqué s’est immédiatement déchiré au sujet de ce dont il venait au juste de faire l’expérience collective. De cette scission radicale, les commémorations et manifestations qui ont eu lieu hier à travers l’Europe ont une fois de plus témoigné. S’agissait-il, le 7 octobre, d’une nouvelle occurrence du terrorisme islamiste, ou du début de la destruction de Gaza ? Avons-nous assisté à un épisode de la lutte de libération du peuple palestinien, ou au plus grand massacre antisémite depuis la Shoah, immédiatement suivi ici par une résurgence de la haine des juifs ? L’Europe hésite, et dans cette hésitation elle met en jeu ce qu’elle est et ce que sera l’avenir de sa politique. Depuis 2 ans, la revue K. s’est efforcée de prendre la mesure du 7 octobre comme événement européen, mais aussi de ce que ses suites ont révélé de l’évolution d’Israël et de ses relations avec la diaspora et la communauté internationale. Tout au long du mois d’octobre, K. reviendra sur ces enjeux en proposant une série d’analyses approfondies. Le philosophe Bruno Karsenti ouvre ce cycle placé sous la lancinante question du souvenir — et donc de la possibilité que quelque chose se soit refermé. Son diagnostic prend acte du fait que, si le 7 octobre a révélé le vacillement et le clivage de la conscience européenne post-Shoah, le conflit politique des interprétations est en train de se stabiliser. Sommes-nous encore dans l’après, et comment s’orienter dans ce qui vient ? Qu’exige le passage du traumatisme au souvenir ?…
>>> Suite de l’édito
Le 7 octobre n’a pas seulement été importé dans les débats européens : il s’y est réfléchi, révélant la crise interne d’une Europe incertaine de son héritage post-Shoah et post-colonial, et désormais divisée entre trois récits inconciliables -- l’occidentaliste, l’anticolonial et l’européen. Au cœur de cette fracture, deux questions obsédantes : que reste-t-il de l’Europe, si elle ne sait plus reconnaître ce que signifie, ici comme là-bas, la résurgence de l’antisémitisme ? Mais aussi, que reste-t-il du sionisme comme projet européen, si la réponse qu'il a donné à l'antisémitisme en termes de droit des peuples lui échappe tout autant?
Qu’est-ce que « l’invalidation traumatique » ? Selon les psychologues Miri Bar-Halpern et Jaclyn Wolfman, c’est un concept qui pourrait décrire adéquatement les effets subjectifs du 7 octobre sur la psyché de nombreux juifs. Leur travail important nous est ici présenté par la psychologue clinicienne Céline Masson.
Dans ce court texte, l’écrivain israélien Etgar Keret évoque la faille que la guerre a creusée dans sa société, au point d’y rendre la communication impossible.
L’être juif relève-t-il d’un faire semblant, d’une mascarade ? Pris dans l’excentrique manège entre deux mendiants, Ruben Honigmann s’amuse à se laisser déstabiliser, jusqu’à faire boiter son identité.
Dans une yeshiva new-yorkaise, un jeune étudiant marqué par la guerre de Six Jours décrète que la loi talmudique prohibe tout dommage collatéral. Son ami, narrateur pas si innocent, relate les péripéties qui s’ensuivent, avec leur lot de conséquences inopinées. À travers cette nouvelle aux allures de roman de formation, initialement parue dans Tablet, Elie Hirsch nous initie au charme excentrique du monde de la yeshiva, sur fond de mésaventures adolescentes.
À Treblinka, la mémoire devient enjeu d’État : monuments et projets muséaux redessinent le passé au mépris des sources, jusqu’à promettre un « mur des noms » que que nulle archive ne permet d’établir avec exactitude. Jan Grabowski et Katarzyna Grabowska plaident pour une politique mémorielle transparente et fondée sur la rigueur historique.
Entre partisans convaincus et détracteurs farouches, la reconnaissance de l’État de Palestine cristallise des positions tranchées. Les arguments de chacun sont d’ailleurs défendables — dès lors qu’ils visent à la fois la sécurité d’Israël et le droit des Palestiniens à l’autodétermination –, mais l’enjeu est ici de saisir ce que produit réellement un tel geste : une déclaration de principe porte-t-elle à conséquences pour l’avenir ?
Oui de Nadav Lapid a électrisé Cannes et la critique française. Salué comme pamphlet politique autant que confession cathartique, le film soulève pourtant une question : qu’applaudit-on au juste dans cette œuvre donnée comme radicale ? Derrière l’objet cinématographique, c’est le discours du médiatique réalisateur israélien qui – embrassant tantôt le rôle de sabra déconstruit, tantôt de prophète de malheur ou de poète voyant – fascine la critique française. À l’occasion de la sortie du film, retour sur le parcours du cinéaste israélien et la réception de son œuvre par la critique française.
L’intégration progressive des Juifs en Europe s’est toujours jouée dans une tension, entre ouverture et rejet. Cette tension est au cœur du nouvel essai de Bruno Karsenti, ‘Les paradoxes de l’intégration. L’Europe et les Juifs’ (Calmann-Lévy, 2025), qu’il a présenté au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme lors d’une rencontre avec Ruben Honigmann organisée en partenariat avec la revue K et Akadem.
Le Jewish Policy Research est un institut britannique dont la mission est d’étudier et de soutenir la vie juive en Europe. Dans cet entretien, Jonathan Boyd, son directeur, revient sur les grands défis que rencontre un judaïsme européen en pleine mutation, et s’interroge sur la manière de mesurer et de comprendre la montée de l’antisémitisme.
Bialik et ‘Agnon pouvaient-ils habiter pleinement la terre qu’ils ont rêvée ? De Bialik, poète-prophète d’Odessa accueilli en triomphe à Tel-Aviv mais dérouté par l’hébreu du yishuv, à ‘Agnon, Juif galicien perçu comme un pied-tendre par les pionniers aguerris venus de Russie, cette réflexion de Cyril Aslanov dit le choc, les ruses et les métamorphoses de l’installation en Terre d’Israël. Et pourtant Bialik est devenu le poète national d’un État qu’il n’aura pas eu le bonheur de voir naître, et ‘Agnon a été le premier et le seul prix Nobel israélien de littérature. Entre dépaysement et réinvention s’esquisse l’histoire intime de deux écrivains iconiques, d’une langue galvanisante et d’un pays en gestation.
Après l’affaire Brusselmans, le magazine flamand HUMO a encore frappé … Cette fois-ci, c’est le trope antisémite moyenâgeux du « boucher juif » qui se trouve réactivé par une caricature du duo Kama & Seele. Joël Kotek, historien et président de l’Institut Jonathas, revient ici sur l’histoire et l’actualité de l’imagerie antisémite dans la presse belge et internationale.

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