K. propose cette semaine des témoignages de gazaouis qui racontent leurs vies sous le règne du Hamas. Présentées sous forme d’animation protégeant l’anonymat des personnes, ces vidéos ont été conçues par le Center for Peace Communications[1], qui mènent des projets de mise en lumière des conditions d’existence réelles des populations civiles au Moyen-Orient. Pour ce qui est Gaza, elles font voir un quotidien d’oppression, de coercition belliciste et d’islamisme. Démocratiquement élu en 2006, le Hamas a immédiatement mis la société civile sous sa coupe, de sorte que la population s’est trouvée prise en étau entre les rigueurs du blocus israélo-égyptien et les agissements du pouvoir palestinien en place qui n’hésite pas à les utiliser à ses fins destructrices, s’arrogeant impunément le sens de la cause palestinienne et ce qu’elle a en elle-même de juste.
À l’heure où l’armée israélienne pénètre dans Gaza pour y combattre les forces du Hamas, c’est vers les vies des civils palestiniens, sacrifiées comme elles n’ont pas cessé de l’être depuis le début de cette guerre, que nos regards se tournent. Car il ne faut pas se leurrer. Les meurtres sauvages de chaque israélien que les tueurs du Hamas trouvaient sur leur chemin le 7 octobre avaient aussi cet objectif: exposer sans scrupule à la mort le peuple palestinien de Gaza tout entier, embarqué comme il l’est maintenant dans la guerre. Et surtout, soumis comme il l’a été depuis de longues années, sous le joug d’un pouvoir qui a systématiquement éliminé tous ses opposants. Parmi tous les torts dont le gouvernement d’Israël et la communauté internationale peuvent être accusés, il y a celui de ne jamais s’être donné la peine de regarder et d’entendre les voix qui venaient de cette société même. Car si le Hamas ne lui est assurément pas exogène, il n’est pas non plus ce à quoi la société peut se réduire, voilà ce qui doit maintenant être bien présent à tous les esprits. Autrement dit, c’est à ce moment d’intensification de la guerre qu’il importe le plus de comprendre la situation sociale et historique réelle de cette population. La résistance palestinienne au Hamas dans Gaza a pu être écrasée et persécutée, elle ne s’est jamais éteinte. Elle ne s’est jamais départie non plus de son affirmation de la justice de la cause palestinienne, orientée vers la construction d’un Etat dont les citoyens seraient des acteurs politiques à part entière, et pas les sujets d’un pouvoir autoritaire mu intégralement par la volonté de détruire Israël. Cette contradiction n’a pas cessé d’être vécue et subie par l’ensemble de la population – une population profondément meurtrie en ce moment, dont la préservation doit rester au principe de la guerre sur le territoire palestinien qu’entame maintenant Israël.
C’est ce témoignage, nécessaire à la conscience qui émerge si difficilement dans le fracas de la guerre, que nous avons voulu faire entendre en publiant les trois vidéos animées du projet « Whispered in Gaza » présentées ici.
1 – Whispered in Gaza – Not Much Different Than an Occupation
Majed » se souvient du début des manifestations à la frontière de Gaza en 2018-2019. « Cela a commencé par des rassemblements de protestation pacifiques dans les camps de réfugiés, dit-il, mais le Hamas a décidé de les instrumentaliser. » On a dit aux Gazaouis qu’ils « briseraient le blocus » s’ils marchaient sur la frontière, se souvient-il, « mais c’est plutôt le peuple qui a été brisé. »
Bien que les manifestations de la Marche du retour aient été initiées à l’origine par des militants locaux, le Hamas n’a pas tardé à les orienter à ses propres fins. Comme l’a déclaré à CNN Reham Owda, analyste politique gazaouie, « rien ne se passe ici sans l’approbation du Hamas et il appuie les manifestations ». Dans une interview, Salah al-Bardawil, membre du politburo du Hamas, s’est vanté qu’au moins 50 des personnes tuées lors des manifestations étaient des membres du Hamas. Un autre pilier du Hamas, Khalil Al-Haya, a affirmé plus tard que le Hamas était « au cœur » des manifestations.
En cooptant la Marche du retour, le Hamas a cherché à en faire une plateforme pour des attaques transfrontalières violentes. La mainmise du Hamas sur la marche a inquiété son organisateur, l’activiste gazaoui Ahmed Abu Artema, qui a déclaré au Financial Times : « L’idée était la nôtre, mais la situation réelle s’est avérée être une tout autre histoire. » C’est le Hamas, et non les habitants de Gaza, qui a été le principal bénéficiaire des manifestations. Comme l’a déclaré Mkhaimar Abusada, professeur à l’université d’Al-Azhar, « ils sont les premiers gagnants de cette marche – ils n’ont pas eu à en avoir l’idée, mais ils ont été immédiatement en mesure de se l’approprier ». Les habitants de Gaza ont donc dû en subir les conséquences. Comme l’observe Majed, « quatre cents personnes ont été tuées en martyrs, et personne ne sait pourquoi ».
2 – Whispered in Gaza – The Crime of Wanting to Live
En 2019, un millier de Gazaouis ont manifesté dans les rues sous la bannière « Nous voulons vivre ». « Rana » était l’une d’entre elles. « Le peuple voulait que sa voix soit entendue par le gouvernement », explique-t-elle. « Mais comme vous l’avez certainement vu, le Hamas a réagi à l’inverse de ce que nous espérions… avec toutes sortes de brutalités ».
Il a en effet été fait état à l’époque de tirs de la police sur les protestataires, de prises d’assaut de maisons dans toute la bande et d’arrestations de toute personne soupçonnée d’être impliquée dans les manifestations. Un représentant d’Amnesty International a déclaré : « La répression de la liberté d’expression et le recours à la torture à Gaza ont atteint un niveau alarmant… nous avons assisté à des violations choquantes des droits de l’homme commises par les forces de sécurité du Hamas contre des manifestants pacifiques, des journalistes et des défenseurs des droits de l’homme ».
Parmi les victimes figure Momen al-Natour, un organisateur de manifestations. Le Hamas a pris d’assaut sa maison et a menacé ses parents pour savoir où il se trouvait. Lui et les autres personnes arrêtées ont été « torturés, humiliés et accusés de collaborer avec Israël et l’Autorité palestinienne », a déclaré Momen al-Natour. Les violences, a-t-il ajouté, montrent qu’il s’agit d’une lutte policière partisane visant à protéger le Hamas, et non le peuple. Un autre manifestant, dont la famille a subi des mauvais traitements similaires, a déclaré à l’agence AP : « Le Hamas ne veut pas que nous criions. Il veut que nous mourions en silence. »
3 – Whispered in Gaza – « Don’t Tell Me How to Resist »
Partout où « Iyad » se tourne dans la bande de Gaza, il trouve les responsables du Hamas qui le regardent. Leurs portraits et leurs slogans couvrent les murs et les ruelles. « Est-ce une ville ou une caserne ? » demande-t-il. Lorsque ses compatriotes gazaouis se déclarent « prêts au martyr », il n’entend que du désespoir. » Bien sûr, la Palestine est notre cause, et elle est juste « , dit-il, » mais cela ne veut pas dire que vous devez continuer à faire tuer des Palestiniens, encore et encore, sans aucun résultat « .
Si les critiques ouvertes à l’encontre de la stratégie de guerre du Hamas restent rares, un examen plus approfondi montre une population qui s’interroge sur la pertinence d’un conflit perpétuel. En août dernier, lors d’une rare occasion où le Hamas s’est abstenu de tirer des roquettes sur Israël pendant une période d’escalade, 68 % des habitants de Gaza ont soutenu cette décision. Halima Jundiya, mère de famille gazaouie, a déclaré au New York Times : « Nous ne voulons pas que le Hamas tire des roquettes. Nous ne voulons pas d’une autre guerre ». Un autre sondage réalisé en 2022 a révélé que 53 % des habitants de Gaza sont au moins d’accord pour dire que « le Hamas devrait cesser d’appeler à la destruction d’Israël et accepter à la place une solution permanente à deux États basée sur les frontières de 1967 ».
Les signes de l’opposition des habitants de Gaza vis-à-vis de l’idéologie et des politiques du Hamas, qui sont de plus en plus nombreux, sont probablement sous-estimés, étant donné que 62 % des habitants de Gaza pensent que « les habitants de la bande ne peuvent pas critiquer les autorités du Hamas sans crainte ». C’est ce règne de la peur qu’il faut prendre en considération pour distinguer ce qui se dit. Un dissident, qui s’est entretenu avec +972 Magazine sous le couvert de l’anonymat, a déclaré : « Nous avons traversé quatre guerres horribles et n’avons rien accompli. »
L’ensemble des vidéos du projet Whispered in Gaza est disponible en suivant ce lien.
La Rédaction
Notes
1 | Le Centre de communication pour la paix, une organisation à but non lucratif basée aux États-Unis, qui soutient les efforts des médias, des écoles et des lieux de culte de la région promouvant une culture de la paix. On compte parmi ses équipes des juifs de la diaspora, américains et européens, des natifs de Syrie, d’Irak, de Tunisie… |