À propos des mandats d’arrêts émis par la CPI contre Netanyahou et Gallant

Entretien avec Yann Jurovics 

Quelles sont les implications des mandats d’arrêts émis par la CPI contre Netanyahou et Gallant ? Faut-il y voir un jugement politique ? Pour clarifier les enjeux juridiques de cette décision, à l’écart des controverses, K. est allé interroger le juriste Yann Jurovics – que nous avions déjà interrogé à propos de la procédure engagée par l’Afrique du sud devant la Cour internationale de Justice ainsi qu’à propos de la demande d’émission de mandats d’arrêt devant la CPI en mai dernier.

 

 

Que ce soit du côté des critiques d’Israël ou du côté de ses défenseurs, on entend des interprétations politiques de la décision de la CPI d’émettre des mandats d’arrêt contre Netanyahou et Gallant. Les critiques y voient une condamnation de la politique criminelle d’Israël, les défenseurs un acte d’antisémitisme. Quelle est la dimension politique de cette décision ? 

Y.J. : Une décision de justice n’a aucun fondement politique. Elle est légaliste. De plus, ce n’est pas Israël qui est poursuivi. Si Israël était en cause, la question porterait sur l’éventuel usage illicite du recours à la Force armée, ce qui ne relève pas de la compétence de la CPI.  La CPI vise plutôt à trancher sur certaines modalités de ce recours à la force, et seulement celles-ci.

Donc la CPI ne se prononce pas sur la guerre en elle-même et sa qualité (juste/injuste), mais sur la manière dont elle est conduite par les personnes responsables de sa conduite concrète ? Et ces personnes, en démocratie, c’est le gouvernement et pas les militaires ?  

Y.J. : Exactement. La CPI se préoccupe de la responsabilité des responsables. On parle ici de deux types de responsabilité : celle des donneurs d’ordre qui ont organisé l’éventuelle stratégie criminelle ; d’autre part celle des supérieurs hiérarchiques à raison des actes de leurs subordonnés qu’ils n’ont pas empêchés ni punis. Les premiers sont souvent des dirigeants politiques et les seconds des officiers militaires.

Si les juges n’ont pas pris de décision politique, qu’en est-il du procureur ? Peut-on dire qu’il s’acharne contre Israël ? 

Y.J. : Le procureur a un agenda politique mais pas au sens habituel. Il gère un service aux moyens limités et doit décider de l’opportunité des poursuites. C’est en ce sens qu’il est le seul acteur politique de la CPI. Je n’ai pas l’impression d’un acharnement. Je pense que la poursuite d’Israël sert l’agenda du procureur. On parle ici d’opportunité politique, de répartition des moyens, de mobilisation des équipes, d’actualité internationale. Rien ne permet de soupçonner un biais anti-israélien. Ni l’inverse par ailleurs. 

 

 

K. : Que signifie l’émission d’un mandat d’arrêt ? Si la présomption d’innocence prévaut, pourquoi demander l’arrestation de l’accusé ? 

Y.J. : La CPI ne juge pas par contumace. Donc il faut arrêter l’accusé pour le juger. Ce qui ne retire rien à la présomption d’innocence. 

La CPI ne se déclare compétente qu’à condition qu’elle considère que les tribunaux du pays dont les accusés sont les citoyens ne se saisissent ni ne se saisiront du cas. Israël est un État de droit doté de tribunaux indépendants. Comment se fait-il que la Cour ait pourtant décidé de se déclarer compétente et d’émettre ces mandats d’arrêt ? 

Y.J : La complémentarité telle que définie devant la CPI repose sur une vision laissant l’initiative aux juridictions nationales. Donc si les tribunaux israéliens, dont la qualité juridique est reconnue dans le monde entier, se saisissent de l’accusation portée contre ces deux accusés, alors la Cour devra se retirer et elle le fera. 

Donc la Cour est confiante, ayant examiné les pièces à charge, que n’importe quel tribunal d’un État de droit se saisirait du dossier, s’il avait accès à ces pièces, et en arriverait aux mêmes conclusions qu’elle, c’est-à-dire à l’émission des mandats d’arrêt contre Netanyahou et Gallant ? 

Y.J. : Non. La question est plus technique. La Cour dit que, au regard de sa compétence et de sa mission, elle est légitime à examiner les cas en question. Toutefois, si une juridiction nationale se saisissait en concurrence d’elle, elle serait automatiquement dessaisie.

Orban a déclaré que la Hongrie n’arrêterait pas Netanyahou s’il venait à se rendre en Hongrie. Cette semaine, les membres du G7 ne sont pas parvenus à formuler une position commune sur la question. Quelle latitude les chefs d’État ont-ils pour obéir à la CPI ? C’est comme si les chefs d’État pouvaient décider de ce qui se passe sur le territoire souverain qu’ils gouvernent, mais est-ce de leur ressort ? 

Y.J. : Les élucubrations des dirigeants ne sont que des provocations ou réactions à chaud. Les États qui ont ratifié le statut de la CPI se sont engagés à appliquer ses décisions. Donc si les accusés se rendent sur le territoire d’un État partie, ce dernier est obligé de l’arrêter ; à défaut il engagerait sa responsabilité internationale. Je doute que la question se pose. Les accusés ne prendront pas ce risque.

Enfin, Netanyahou se compare au capitaine Dreyfus, arguant qu’à l’époque aussi, c’était un tribunal qui avait accusé et condamné un innocent. Autrement dit, il insinue que la justice, y compris aujourd’hui, n’est pas neutre mais politique. On imagine facilement que ce soupçon qu’il fait ainsi peser sur le système judiciaire lui sert aussi pour délégitimer les procédures judiciaires dont il est l’objet en Israël. Trump utilise la même stratégie aux États-Unis. Mais ce stratagème mis à part, y a-t-il quoi que ce soit de vrai dans sa comparaison entre le fonctionnement d’un conseil de guerre de la Troisième République française et celui de la CPI ou encore des tribunaux israéliens ? Comment la justice a-t-elle évolué ces 130 dernières années ?   

Y.J. : La comparaison est osée. Par expérience, aucune juridiction n’est plus légaliste qu’une juridiction internationale. Les juges sont très sensibles au regard de la communauté internationale à cet égard. Dans l’affaire Milosevic, on a même affecté à cet accusé des amici curiae[1] afin de parer à l’absence d’avocat. Le Tribunal international voulait être modèle en ce sens. 

Je rappelle les propos de Jackson, procureur américain à Nuremberg qui disait que le droit s’appliquait aussi à la défense des nazis et que l’histoire jugerait ce procès à l’aune du respect de cette aspiration de justice.


Propos recueillis par Julia Christ

Notes

1 En droit, un amicus curiae est une personnalité ou un organisme, non directement lié aux protagonistes d’une affaire judiciaire, qui propose au tribunal de lui présenter des informations ou des opinions pouvant l’aider à trancher l’affaire, sous la forme d’un mémoire (un amicus brief), d’un témoignage non sollicité par une des parties, ou d’un document traitant d’un sujet en rapport avec le cas. La décision sur l’opportunité d’admettre le dépôt de ces informations ou de ces opinions est à la discrétion du tribunal. (source Wikipedia)

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