Semaine sainte sous Lexomil – Droit de réponse

Le texte « Semaine sainte sous Lexomil » de Danny Trom a suscité de nombreuses réactions. Parmi ce courrier, plus ou moins constructif, s’est distinguée la réplique du philosophe Leopoldo Iribarren, que la rédaction de K. a décidé de publier. Danny Trom, revenu à ses esprits mais loin de faire pénitence, répond au défi amical de son collègue.

 

« Souvenir de Semaine sainte »(c) Danny Trom

 

Un récit de voyage du sociologue Danny Trom à Séville inaugure avec panache la nouvelle rubrique « Catholicisme » de la Revue K. L’auteur, ingénu, débarque à son insu en pleine Semaine sainte. Il entame alors une étonnante promenade dans la ville, ébloui par les cortèges, les images, les pénitents. Il n’est pas moins dépaysé qu’un catholique, non moins insouciant, arpentant Brooklyn en plein Yom Kippour, perdu dans la foule des hassidim à grands shtreimlekh. Il faut dire que l’anecdote se prêtait bien à une pièce d’humour juif, ce à quoi je m’attendais d’ailleurs, tout disposé à sourire. Pour avoir grandi dans une famille de double culture, juive (enfin, séfarade) et catholique, je garde le souvenir des blagues sur les pratiques religieuses des uns et des autres ; l’humour a été le ciment de notre reconnaissance mutuelle, de notre vivre ensemble. Mais j’ai été vite déçu du récit de Danny Trom. Certes, il est bien méritant de s’essayer au sarcasme, de surjouer l’ethnocentrisme et l’hybris victimaire, mais n’est pas Groucho Marx qui veut. Le résultat ressemble davantage à un mauvais sketch, un spin-off du genre « Les bronzés à la Feria de Séville ». L’humour et les sciences sociales ont ceci en commun qu’une dose de réflexivité minimale y est requise. Hélas, on la cherche en vain dans ces observations hasardeuses et folklorisantes sur la religiosité populaire andalouse ; à moins qu’il ne s’agisse d’une hypothétique « dialectique de la réflexivité », les voies du seigneur (ou de Monsieur Trom) sont impénétrables. Pour un prochain voyage à Séville, on ne peut que lui conseiller de troquer son Lexomil contre un verre de xérès et de s’ouvrir sans préjugés à la culture d’autrui. Lehaïm !

Leopoldo Iribarren

 

 

Cher Leopoldo Iribarren,

« Le dépaysement » dites-vous : voilà très précisément ce qui sous-tend la folklorisation du monde. La globalisation dispose le touriste que nous sommes tous à appréhender les cérémonies et rituels en un spectacle consommable. Mais le sociologue se trouve face à un dilemme : soit il les décrit comme des reliquats plus ou moins authentiques d’une forme de vie désormais désactivée, avec un détachement bienveillant, soit y il décèle l’expression de tendances latentes encore significatives, avec un degré d’implication qui suppose d’en exhumer les enjeux. Or, si l’intensité d’un Yom kippour à Brooklyn vous a échappé, il est logique que celle de la Semaine sainte à Séville aussi. Ce qui cependant les distingue, c’est que le « pénitent » de Yom kippour comparait sur une scène entièrement absorbée par la relation entre le peuple et dieu, tandis que le pénitent de la Semaine sainte doit traquer un coupable à l’extérieur. C’est en ce point que les deux scènes se croisent. Il n’est pas requis d’être un esprit spéculatif pour déceler la vivacité de ce croisement dans notre actualité la plus immédiate. L’humour, réussi ou raté, n’est donc ici que le masque du tragique. Voilà pour ce qui concerne mes préjugés, et mon habitus d’un seul tenant, trop compact. Pour ce qui vous concerne, vous êtes divisé intérieurement, confessez-vous, et je comprends du même coup pourquoi la tonalité de ma petite chronique vous déplaît : votre habitus clivé penche pour la folklorisation du monde, qui n’est somme toute que le synonyme de la neutralisation des événements qui s’y déroulent. Une alternative à l’indifférence conduirait au déchirement. Je vous accorde qu’elle est inconfortable. Voilà l’éclairage que je vous propose — trop sérieux à coup sûr, mais conforme au surcroit de réflexivité que vous me demandez avec raison — de la faute de goût que vous m’imputez. Vider jusqu’à une bouteille entière de xérès ou de vodka n’y changera rien, mais je le ferai volontiers avec vous si l’occasion se présente.
Amicalement,

Danny Trom.

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