Israël, invité d’honneur au salon « Choisir l’École juive »

Scolariser ses enfants dans une école juive est devenu un choix de plus en plus courant pour les familles juives de région parisienne. Quelles évolutions les établissements ont-ils connues ? Que proposent-ils ? Les attentes des nouvelles générations correspondent-elles encore à celles de leurs aînés ? Visite du salon de l’association « Choisir l’école juive » qui accompagne les parents dans leurs démarches.

 

Salon de Choisir l’école juive, 12 février 2023, Paris © Maëlle Partouche

 

Dimanche 12 février dernier s’est tenu le quatrième salon de Choisir l’école juive. Créée il y a une dizaine d’années par Élodie Marciano, une entrepreneuse française qui a depuis fait son alyah, l’association qui l’organise rassemble une petite équipe extrêmement motivée et dévouée, qui accompagne les familles envisageant d’inscrire leurs enfants en école juive. La fondatrice se rappelle : « J’ai créé l’association il y a dix ans maintenant, dans un contexte de recrudescence de l’antisémitisme en France et particulièrement dans les établissements scolaires publics. Quand nous avons commencé, nous pensions aider les enfants parmi nos proches, dans notre communauté. Finalement, après 10 ans, nous avons permis à près de 5 000 enfants d’entrer à l’école juive. »

À l’entrée du salon, au pied des escalators du grand hôtel, un premier stand. Plusieurs jeunes filles souriantes vérifient l’inscription du nouveau-venu et distribuent les totebags déjà garnis de prospectus et de goodies, dont un Sidour[1] pour les enfants. Il faut ensuite contourner l’accueil pour passer le long couloir qui mène à l’immense salle où se tient le salon. Dans le couloir, plusieurs stands entourés de kakemonos signés par l’Agence juive. Des appels à s’engager pendant deux semaines aux côtés de Tsahal à Sar-El[2] ou encore la promotion du programme Massa qui permet de faire des stages en Israël. L’offre est large. Les chlihot[3] attendent les jeunes avides d’aventure. Au fond, bien visible, le stand de Torah Box dont les bureaux sont à Jérusalem. Apparu en ligne il y a quinze ans, le fameux site internet réalise et met en ligne des centaines de vidéos de ravs faisant la promotion d’un judaïsme orthodoxe et d’un sionisme religieux affirmé. Le stand est submergé par d’imposantes colonnes de livres édités par le même site. Les piles en viendraient presque à cacher la petite table installée à l’arrière qui doit servir aux rendez-vous avec une conseillère d’orientation proposés aux jeunes visiteurs qui viendront cet après-midi.

Dans la grande salle, les stands sont prêts. Un café à la main, les représentants profitent du calme matinal avant l’arrivée des nombreux visiteurs attendus – plus de mille d’après Élodie Marciano. Le salon est l’occasion pour eux de recroiser d’anciens collègues et, peut-être d’en rencontrer de futurs. Très vite, les premières familles arrivent : le matin, ce sont surtout de jeunes parents avec des enfants en bas âge. Ils viennent se renseigner pour le gan[4] ou encore sur les délais d’attente avant d’intégrer l’un des grands groupes scolaires de l’école juive française.

Ces derniers se repèrent facilement : leurs stands sont les plus grands et les moins décorés. Plus besoin de faire leur réputation. Sur les tables, peu de prospectus et encore moins de goodies, chaque représentant est assis derrière une petite pancarte indiquant simplement le nom et la localisation de l’établissement : Ort Villiers-le-Bel, Ozar Hatorah Sarcelles… La brochure cartonnée est remise à l’issue d’une discussion prolongée avec les parents. À l’ORT, des élèves de BTS présentent leurs réalisations : moulages de mâchoires ou encore lunettes de vue. La simplicité des stands tranche avec les autres, plus petits et plus chargés, où affiches, prospectus et sucreries sont mis en avant pour attirer les familles et redorer la réputation de ces plus petites écoles, pour la plupart orthodoxes, certaines liées au mouvement Loubavitch.

Salon de Choisir l’école juive, 12 février 2023, Paris © Maëlle Partouche
Entre « environnement juif serein » et pédagogies alternatives

La présidente de l’association partage avec nous sa connaissance du terrain et fait le constat d’une véritable évolution des demandes des familles : « Pendant plusieurs dizaines d’années, les parents ont choisi l’école juive par conviction et la notion d’apprentissage des matières juives était primordiale. Depuis une quinzaine d’années, c’est moins le cas. La situation sécuritaire au sein des établissements publics s’étant considérablement dégradée et parallèlement l’inquiétude des parents ayant progressé, les écoles juives ont dû répondre aux attentes d’un nouveau public : des familles traditionnalistes, reliées à une communauté, qui recherchent un environnement juif serein dans lequel leurs enfants pourront s’épanouir pleinement et vivre leur judaïsme au quotidien. Le fait que nos écoles juives soient devenues des références en matière éducative attire également de plus en plus de parents. Enfin, contrairement aux générations précédentes, nombre de parents qui ne sont pas en capacité de transmettre eux-mêmes les bases du judaïsme et de notre histoire s’en remettent à l’école. Ils tiennent à ce que leurs enfants se renforcent dans leur identité et apprennent des bases solides pour se construire. »

Nos échanges avec les représentants d’établissement le confirment. Le premier argument de ces écoles reste celui d’offrir un environnement juif de qualité. Mais face aux nouvelles demandes, les écoles juives ont cherché à s’adapter. Leur discours rejoint désormais celui des écoles aux pédagogies alternatives, plaçant l’élève, sa réussite mais aussi son bien-être, au cœur de leur projet. Les plus petites structures, parfois éloignées des centres juifs d’Île-de-France, mettent en avant la possibilité d’un suivi personnalisé, toujours en collaboration avec l’État, notamment grâce au recours à des assistantes d’éducation spécialisées (A.E.S.), quand l’élève peut en bénéficier. Les responsables d’établissement font de « l’ouverture » leur mot d’ordre, tout en rappelant le caractère personnel de la démarche des familles.

Ce dimanche, 90% des écoles juives de France sont partenaires de l’événement. Dans son discours prononcé dans l’après-midi, alors que le salon bat son plein, Élodie Marciano se félicite d’un « salon à l’image de la communauté » où toutes les tendances, allant des traditionnalistes aux ultra-orthodoxes, sont représentées. En dépit de certains groupes historiques qui veillent à maintenir l’ouverture au fondement de leur politique d’accueil, c’est toutefois une approche orthodoxe du judaïsme qui domine le salon. Le guide du visiteur distribué à l’entrée compte ainsi plus d’une dizaine d’écoles affiliées au mouvement Loubavitch, sept de tendances orthodoxe ou religieuse contre dix établissements traditionnalistes. Face aux brochures désuètes de la yechiva d’Aix-les-Bains, qui a remarqué l’absence de l’École juive moderne ?

Vers un international très israélien

L’affirmation d’une ouverture, cette fois-ci à l’international, passe d’abord, « à l’image de la communauté », par Israël ; l’invité d’honneur du salon. Des écoles francophones en Israël et des oulpanim[5] sont indifféremment répartis dans les allées du salon. L’enjeu pour les lycéens qui voudraient faire leur alyah est clair : maîtriser l’ivrit et réussir les tests psychométriques d’entrée des universités israéliennes. Dans la brochure aux bandes bleues et blanche d’Ozar Hatorah, le programme international comprend trois axes : l’anglais, l’hébreu et les tests psychométriques. L’international reste en effet principalement tourné vers Israël. En témoigne les principaux partenaires de l’association : le Ministère Israélien de le Diaspora, dont le représentant a tenu un discours plein d’éloges pour l’entreprise d’Élodie Marciano, l’United Herzog, organisme israélien qui a pour mission de venir en aide aux juifs de Diaspora et de renforcer leur identité à travers un soutien pédagogique et de formation, ainsi que la Yael Foundation, jeune organisation juive internationale également investie dans le monde éducatif juif.

Néanmoins, le constat est le même à tous les stands : les départs en nombre se sont largement ralentis. Les responsables des établissements traditionnalistes assurent qu’aujourd’hui seuls quelques-uns de leurs diplômés font leur alyah une fois le bac en poche. Au contraire, ils voient de plus en plus de familles, déçues et démunies, revenir d’Israël. Les frais de scolarité et la cantine sont alors offerts aux enfants. Les retours ne laissent pas indifférents, ni les professionnels, ni les parents d’élèves. Quand on interroge des responsables d’établissement sur l’avenir des jeunes, leur réponse est hésitante : « Je ne sais pas. C’est compliqué. Est-ce qu’ils ont plus d’avenir en Israël ? Honnêtement, je ne sais pas ! Parce que s’ils y vont en croyant que ça va être comme les vacances, ce n’est pas la peine. La vie est plus dure en Israël. Après, je pense qu’il faut que ça vienne de chacun, c’est une démarche individuelle. Il y a des enfants, ils vont faire leur alyah, ça va très bien marcher. Il y en a d’autres qui vont la faire, ça ne va pas marcher. » Le coût de la vie représente le premier frein à l’installation en Israël. La réalité économique et les risques qu’impliquent l’alyah nuancent les discours, même des plus convaincus. Israël, semble avoir perdu de son aura et n’apparaît plus comme le pays de tous les possibles.

À la contrainte économique s’ajoute celle de la sécurité et la question du service militaire. Alors que nous sommes au stand d’un petit établissement situé dans l’extrême sud du pays, la responsable se donne du mal pour attirer l’attention des parents qui préfèrent garder leurs enfants auprès d’eux, en France, du moins pour quelques années encore. Elle explique : « Les enfants, quand ils viennent chez nous, je ne peux pas dire : « Regardez, ne restez pas en France, il y a les attentats. En Israël, c’est mieux, c’est l’harmonie la plus totale. » Je leur raconterais un mensonge. Je ne peux pas dire une chose pareille ! » Où se tourner alors ?

L’American dream fait-il toujours rêver ?

Dans ce contexte, une troisième voie est (ré)apparue : les États-Unis, représentés aujourd’hui par le stand superbement équipé de la Yechiva University. Fondée en 1886, la prestigieuse université privée avait initialement pour but de fournir une éducation à la fois religieuse et profane, notamment des cours d’anglais, aux juifs ashkénazes immigrés du Lower East Side de Manhattan. L’établissement s’est depuis agrandi et compte à présent quatre campus à New-York et en Israël. Dans la petite salle de projection, isolée du tumulte du salon, un film de promotion est diffusé pour les quelques intéressés. Il faut dire que le judaïsme américain élargit le champ des possibles des familles traditionnalistes aisées et éduquées présentes : à l’écran, des filles en jupe longue étudient aux côtés d’étudiantes en pantalon. L’ancien étudiant, qui travaille désormais comme représentant de l’université newyorkaise en France, renchérit : « L’ouverture à l’américaine permet aux élèves d’être proches de leur identité juive et de la vivre comme ils l’entendent. »

Salon de Choisir l’école juive, 12 février 2023, Paris © Maëlle Partouche

S’en suit un échange avec les parents qui envisagent, pour leurs progénitures, l’international avec un grand i. Le discours est sans détour. Peu importe qu’ils aient étudié en école juive auparavant ou non, les étudiants doivent d’abord avoir un excellent niveau d’anglais pour intégrer et réussir le programme américain : « Aux États-Unis, c’est à nous de nous intégrer à eux. Pas à eux de s’intégrer à nous. » Il faut donc travailler son expression orale – éternel point faible des Français – pour y parvenir. Mais le jeu semble en valoir la chandelle. Bien d’autres avantages sont mis en avant : des bourses généreuses (en comparaison avec d’autres universités américaines), une soixantaine de cours de kodech[6] de qualité allant du niveau débutant à la formation rabbinique et la possibilité de valider sa première année de formation en séminaire en Israël. L’American dream n’exige pas de faire l’impasse sur Israël.

Quand nous demandons à la directrice de Choisir l’École juive, comment comprendre cette ouverture à un international qui reste avant tout israélien, Élodie Marciano répond : « Parce que le cœur des juifs français vibre pour Israël, il est important de faire un pont entre les écoles de France et d’Israël. Beaucoup de nos jeunes imaginent partir étudier à l’étranger aux États-Unis ou en Israël. Personnellement, je pense que c’est certainement une des clés pour leur assurer un brillant avenir. Cela dit, tous ne pourront pas partir et il est de notre devoir, responsables éducatifs et communautaires de tout mettre en œuvre pour leur offrir une éducation juive de qualité en France. » Et c’est bien ce qui transparaît lorsqu’on interroge les principaux intéressés.

L’avenir en France

À l’entrée du salon, les étudiants des écoles préparatoires ou encore les jeunes venus présenter leur organisme de colonies de vacances ont un discours beaucoup plus nuancé que celui des parents. Aucun d’eux n’envisage vraiment son avenir ailleurs qu’en France. Et ce n’est pas faute d’y avoir réfléchi ! Au contraire, tous se sont longuement posés la question avant de défendre le « bonheur d’être juif en France ». Qu’ils aient été en école juive ou dans les écoles publiques, les jeunes adultes rencontrés affirment avec conviction qu’ils ne cèderaient pas leur place sur les bancs des universités françaises. Aucun d’entre eux ne se risquerait cependant à nier l’antisémitisme auquel ils sont confrontés de fait dès l’école. Mais tant que celui-ci ne dépasse pas le condensé de racisme ordinaire, ils préfèrent ne pas s’arrêter sur cet antisémitisme « de bas étage ».

Éloignés de tout bord politique, ils regardent au-delà : leur ville à laquelle ils sont attachés, leur proches et leur avenir, professionnel et personnel – le succès du premier conditionnant le second. Garçons comme filles, pour la plupart issus de familles séfarades, refusent le pessimisme de leurs parents. Certains y voient même de l’ingratitude et du ressentiment contre « le pays qui les a accueillis » et pour lequel leurs grands-parents ont parfois donné leur vie.

Ils s’accordent sur le refuge que représente Israël et n’hésitent pas non plus à exprimer un attachement fort à ce pays, prêt à les accueillir en cas de péril. Mais quand les anciens dénoncent la généralisation d’un sionisme à la carte favorisé par la multiplication des programmes courts promus, nous l’avons vu, dans l’antichambre du salon, les nouvelles générations défendent au contraire un sionisme à tête froide. On l’observe, par exemple, dans le choix de nombreux lycéens français en Israël de conserver un visa touriste qui leur permet de reporter le (lourd) choix de l’alyah à plus tard. Garder une voie de sortie en cas d’échec n’altère pas leur attachement pour le pays, au contraire. Ils y voient simplement la possibilité de vivre un sionisme plus apaisé qui n’exige pas d’eux un renoncement : Israël est leur État mais la France est leur pays. Pour eux, l’un ne va toujours pas sans l’autre.


Maëlle Partouche

Maëlle Partouche est doctorante à l’Université de Strasbourg et à l’École des Hautes Études en Sciences sociales. Sa thèse porte sur les rapports entre sionisme et judéité en France et aux États-Unis.

Notes

1 Livre de prières.
2 Programme de volontariat permettant à des civils non-israéliens de participer à des séjours collectifs de deux à trois semaines au sein d’une base arrière de l’armée israélienne dans le but d’apporter un soutien logistique aux soldats. Le programme Nati Sar-El est spécialement destiné aux jeunes entre 16 et 18 ans.
3 Pluriel féminin de chaliah, « émissaire ».
4 Littéralement « jardin ». Par extension, « école maternelle ».
5 Pluriel d’oulpan, centre d’apprentissage intensif d’hébreu moderne mis en place en Israël dès sa création pour faciliter l’intégration des nouveaux immigrants. Aujourd’hui, le terme désigne également les cours d’hébreu moderne dispensés par des organismes privés en-dehors d’Israël. À la différence des cours de langue habituels, ceux de l’oulpan ont gardé une forte visée appliquée. On y privilégie la compréhension et l’expression à une maîtrise linguistique fine et approfondie.
6 Études juives.

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