#169 / Edito

“Les juifs sont-ils solubles dans l’union de la gauche ?” Après le raz-de-marée de l’extrême droite suivi du séisme politique de la dissolution, c’est la question que la rédaction de K. se pose dans le premier texte de cette semaine, prenant acte du tragique de la situation : face au Rassemblement National, et en dépit d’une campagne ou LFI a dépassé toutes les lignes rouges du populisme, la gauche ne semble pouvoir penser son union qu’en faisant l’économie de la lutte contre ses propres antisémites. 

« Violence » est un mot qui résonne étrangement à l’oreille des juifs. Qu’il fasse pour eux écho à la persécution ou aux accusations qui ont souvent servies à la justifier, la violence est toujours d’abord perçue comme une chose imposée du dehors. Et en effet, pour la tradition exilique, la violence est exclue de l’espace des recours possibles. Or, depuis la réalisation du projet sioniste, la donne politique a changé. Car l’État des juifs, comme tout État, ne saurait éviter d’exercer une violence : c’est là une donnée consubstantielle à la souveraineté politique. Dès lors, le problème qui vient cliver les consciences juives, jusqu’à profondément les diviser aujourd’hui, est celui de la possibilité d’assumer cette violence infligée. Danny Trom, dans le texte que nous publions cette semaine, se propose d’éclairer les motifs historico-idéologiques qui sous-tendent aujourd’hui le refus radical ou l’acceptation sans réserve de la violence exercée par Israël. Entre violence subie et infligée, se trouvent alors exhumées les racines d’une ambivalence dont il vaudrait mieux ne pas se défaire.

Depuis l’Europe, il est difficile de saisir la manière dont, après le 7 octobre et alors qu’Israël s’enfonçait dans la guerre, la réalité quotidienne des israéliens s’est trouvée altérée. On perçoit confusément une forte mobilisation des citoyens pour leur pays, mais aussi une accentuation des clivages politiques, sans très bien savoir comment tout cela s’articule. Dans l’entretien mené par Emmy Barouh que nous publions, Etgar Keret trouve les mots et les anecdotes pour décrire ce qui peine à l’être. Nous avons déjà publié fin novembre un court témoignage de l’écrivain, dont les textes dépeignant une banalité transfigurée par l’imaginaire ont déjà été traduits dans plus de 25 langues. Il nous livre ici, avec humour et franchise, son impression que la teneur de la réalité s’effrite, comme si elle était composée d’une juxtaposition d’histoires qui n’arrivaient plus à être rattachées.

Si l’union des gauches est souhaitable, c’est à condition qu’elle soit expurgée de ses tendances antisémites, même quand elles se parent d’antisionisme. Sinon elle pourra certes être dite « unie » mais plus réellement « de gauche ». Si les élections législatives confirment la division de l’espace public national entre une alliance des droites autour du RN et une alliance des gauches autour de LFI, une nasse se sera refermée sur les Juifs de France et, avec eux, sur l’ensemble des citoyens pour qui la démocratie, l’état de droit et le progrès social, dans une Europe solidaire, constitue un idéal.

Le résultat du sionisme réalisé, c’est-à-dire l’accès à la souveraineté politique, a aussi signifié pour l’État des juifs la nécessité d’exercer une violence. Dans ce texte, Danny Trom revient sur les difficultés à assumer cette violence infligée, et sur son articulation avec la violence subie par les juifs. Comme si, après la révolution sioniste, les juifs ne pouvaient qu’osciller dans leur rapport à la violence.

Etgar Keret est un écrivain israélien de premier plan, dont le talent pour mélanger le banal et le magique est apprécié aussi bien en Israël qu’à l’étranger. Dans cet entretien…

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.