Une petite musique proche-orientale, bien connue en Europe, résonne contre toute attente au Chili, où vivent 18,000 Chiliens juifs et 400,000 Chiliens chrétiens d’origine palestinienne. Aussi, le conflit israélo-palestinien est-il l’invité régulier de la vie politique de ce pays et, plus que cela, constitue un marqueur important dans le jeu des appartenances politiques. Gabriel Boric, le nouveau président chilien en fonction depuis le 11 mars dernier, qui vient de l’extrême gauche, s’est parfois manifesté par des prises de positions antisionistes. Même s’il s’est politiquement adouci sur cette question au fur et à mesure que sa stature politique prenait de l’ampleur, quelques tweets ont ressurgi pendant sa campagne, dont l’un, devenu fameux jusqu’en France, qui a été beaucoup commenté : « La communauté juive du Chili m’envoie un petit pot de miel pour le Nouvel An juif, réaffirmant leur engagement pour ‘une société plus inclusive, solidaire et respectueuse’. J’apprécie le geste mais ils pourraient commencer par demander à Israël de restituer les territoires palestiniens illégalement occupés. ». Ariel Bohorodzaner, fondateur des Étudiants juifs du Chili, nous éclaire sur le contexte politique de son pays, sur la situation des Juifs qui vivent avec la communauté palestinienne la plus importante au monde en dehors du Moyen-Orient – tout cela dans un pays où le candidat d’extrême gauche a remporté la victoire contre un leader d’extrême droite, José Antonio Kast, qui fait l’éloge de la dictature de Pinochet et dont le père, immigré allemand au Chili après la Seconde Guerre mondiale, était membre du parti nazi…
L’ombre du nazisme, encore et toujours : c’est sur l’histoire conjointe du nazisme et de la Hongrie que bute la politique de Victor Orbán dans le pacte qu’il entend proposer aux Juifs hongrois. Dans un article précédent, paru en avril 2021 dans K., János Gadó nous expliquait le type de coexistence avec la communauté juive de Hongrie qu’Orbán envisageait comme fonctionnelle, ses démarches pour l’enrôler dans son nationalisme et les clivages au sein de celle-ci en réaction à sa politique juive. Il poursuit son récit alors que, le 3 avril prochain, auront lieu les élections législatives hongroises. Comme l’explique János Gadó, les Juifs et la question de l’antisémitisme ont été instrumentalisés à outrance lors de la campagne : Orbán se présentant d’une part comme le défenseur authentique des Juifs en Europe et taxant ses ennemis d’antisémites ; mais le tout en usant d’une rhétorique antidémocratique, nationaliste et religieuse qui rappelle celle du régime de Horthy entre les deux guerres – régime considéré comme l’antichambre de la Shoah pour la plupart des Juifs hongrois. Si une partie des Juifs de Hongrie – autour du mouvement Chabad – soutient le pacte qu’Orbán leur propose, la majorité d’entre eux demeure intransigeante concernant la réécriture de l’histoire de la Shoah que ce pacte implique. Une réécriture de l’histoire par laquelle la Hongrie se présente comme une nation de victimes et de héros de la résistance au nazisme.
Cette semaine nous avons enfin voulu remettre à la une le beau témoignage de Ruben Honigmann, qui se présente comme l’héritier d’une langue allemande attachée à un monde périmé : « C’est à chaque fois la même scène. Je suis dans un square parisien et l’on me demande quelle langue je parle avec mes enfants. Ma « gueule juive » les met sur deux fausses pistes : soit c’est du yiddish, soit de l’hébreu. Dans aucun cas, ils ne reconnaissent ma langue maternelle, parlée par un Européen sur cinq. (…) L’allemand berlinois que je parle est un fossile. »