#53 / Edito

Il y a un an, le 22 mars 2021, paraissait le premier numéro de K. Au matin de ce premier numéro, nous étions animés par une ambition principale : documenter et analyser la situation des Juifs d’Europe aujourd’hui, rendre compte à la fois d’une vitalité mais aussi d’une inquiétude. L’objectif était clair, les moyens d’y parvenir ne l’étaient pas toujours et nous ne savions pas exactement ce que nous allions rencontrer sur notre route. 52 numéros plus tard, force est de constater qu’a pesé sur la revue ce que nous ne pouvions prévoir et avant tout la pression d’une actualité dont la vocation première de la revue était pourtant de se tenir à distance : l’affaire du procès Sarah Halimi, les débats autour de la déclaration de Jérusalem et de la définition de l’antisémitisme proposée par l’IHRA, le cycle de violence israélo-palestinien de mai 2021, le phénomène Zemmour, la guerre en Ukraine aujourd’hui, etc. Un an après, nous continuons pourtant, chaque semaine après l’autre, d’inventer la revue que nous désirons, parfois en tâtonnant, mais avec beaucoup de détermination, convaincus que le petit territoire éditorial occupé par K. a sa raison d’être. Nous sommes heureux d’avoir contribué à créer un espace de rencontres et de dialogues avec les nombreux interlocuteurs qui nous ont accordé des entretiens et avec les nombreux auteurs – journalistes, écrivains, chercheurs – dont nous avons eu l’honneur de publier les textes. Ceux-ci nous ont informés, éclairés, parfois émus. Nous avons beaucoup appris en les lisant. Nous n’étions pas toujours d’accord avec les positions exposées, mais toujours intéressés par les points de vue qui s’exprimaient. On nous a parfois reproché de publier trop, ou trop long ; ce que nous avons préféré recevoir comme un compliment. Chaque lecteur peut faire ses choix et trouver son rythme dans nos archives. Notre souci constant demeure : maintenir un équilibre entre des textes analytiques et réflexifs d’une part, et d’autre part des textes plus ouverts – des reportages, des chroniques, des témoignages et des portraits, des fictions. Surtout nous avons voulu placer l’Europe comme l’échelle pertinente des questions qui nous occupent et faire en sorte que les articles nous permettent d’y circuler : ainsi nous avons pu aller voir d’un peu plus près en Allemagne, en Angleterre, en Irlande, en Espagne, en Pologne, en Bulgarie, en Croatie, en Autriche, en Hongrie, en Albanie, en Italie, en Islande, en Norvège…

Pourquoi l’Europe, aujourd’hui, si on veut penser le fait juif ? C’est la question principale à laquelle le manifeste que nous avons publié dans le premier numéro de la revue entendait répondre. Un an plus tard, nous avons beaucoup appris. Si bien que nous avons repris cette réflexion initiale pour l’ajuster. Le numéro de cette semaine s’ouvre donc avec le « manifeste » de la revue dans sa nouvelle mouture, où se marquent les acquis de cette première année de travail.

C’est cette Europe que les deux autres textes de ce numéro d’anniversaire parcourent également. Une Europe hantée actuellement par une Seconde Guerre mondiale, qui ne cesse de refaire surface dans les imaginaires depuis l’agression de l’Ukraine par la Russie. Poutine parle de « dénazification » quand Zelensky déclare que « l’histoire se répète » et c’est à travers toute l’Europe que circule aujourd’hui, de manière à la fois vague mais impérieuse, l’idée que ce qui advient serait une sorte de réplique de ce qui a eu lieu il y a 75 ans. Julia Christ, dont la réflexion part du désir de comprendre l’usage du terme « dénazification », analyse comment le signifiant « juif » et la mémoire de la Shoah irriguent tous azimuts les discours, à l’est comme à l’ouest de l’Europe.

En Suède aussi le destin des Juifs structure en partie la politique actuelle du pays. La communauté de Malmö ne compte que 500 Juifs mais la ville n’en a pas moins le triste privilège d’être, depuis plusieurs années, régulièrement pointée du doigt comme une des villes parmi les plus antisémites du monde. David Stavrou revient sur l’histoire d’une ville-symbole – qui a organisé l’année dernière le Forum international de Malmö sur la mémoire de la Shoah et pour la lutte contre l’antisémitisme – dans un pays où un antisémitisme importé du Moyen-Orient danse le tango avec un vieil antisémitisme d’extrême droite qui y a trouvé un refuge accueillant après la Seconde Guerre mondiale.

Il y a les faits : la violence de la force russe qui s’écrase sur l’Ukraine ; il y a les discours : la propagande poutinienne, les appels désespérés de Zelensky qui font feu de tout bois pour recevoir le soutien d’un Occident incapable d’apporter une réponse décisive, et puis la réception de l’Europe, sonnée par l’événement et sommée de réfléchir aux directions de sa politique. Car ce retour de la guerre chez nous dessine déjà des options d’une future intégration européenne. Ces options, irrésistiblement, se construisent autour du signifiant juif et de la mémoire de la Shoah qui irriguent tous azimuts les discours. C’est principalement autour de ce point que Julia Christ propose son analyse, attentive aux mots employés et aux imaginaires déployés de part et d’autre.

Mälmo, la grande ville du sud de la Suède, a fait les gros titres ces dernières années en raison de l’antisémitisme qui s’y manifeste. Le journaliste David Stavrou raconte la lente prise de conscience des pouvoirs publics locaux et nationaux et les dispositifs mis en place pour faire face au problème. Surtout, il s’interroge sur la valeur de cette expérience pour l’ensemble de l’Europe où de nombreuses grandes villes sont confrontées à des problématiques similaires. 

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.