#51 / Edito

 

Avec l’agression de l’Ukraine par la Russie, la guerre s’est installée au cœur de l’Europe. Nul ne sait le temps qu’elle durera ni l’extension qu’elle prendra. Mais ce que l’on sait déjà, c’est que l’Europe y a éprouvé son unité, en s’élevant d’une voix unanime pour donner son appui à la nation agressée, condamner l’agresseur et tenter de l’arrêter. D’aucuns y voient le signe positif compensateur du présent, une identité européenne retrouvée, démentant la crise d’identité qui s’était accusée dans les dernières décennies, et qui – tel est le diagnostic qui a motivé la fondation de K. – trouve son révélateur dans la montée de l’antisémitisme et l’incapacité des États européens à y faire face. Mais l’on sait combien les questions d’identité collective sont difficiles à manier, et combien elles sont source d’illusions en chaîne. Éprouver une solidarité dans l’adversité, s’affirmer aux côtés de la nation qui subit la violence de la guerre, l’appuyer effectivement en consentant à en payer le prix, c’est désigner avec sûreté ce que l’Europe n’est pas, ce qu’elle rejette sans la moindre ambiguïté : le nationalisme autoritaire néo-impérial, expansionniste et guerrier, qui, en recourant à la violence brute, foule au pied la liberté des peuples au sein de l’espace européen. Dire cependant ce que l’Europe n’est pas n’équivaut pas à dire ce qu’elle veut être. L’expérience de l’adversité fait sentir que l’on est, certes, quelque chose, mais sans dire quoi. Tout au plus fait-elle signe vers la tâche de le formuler, tâche qui est évidemment étrangère à la guerre, et qui ne s’affronte vraiment qui si on fait tout pour en sortir.

Ce qu’il faut donc tirer de l’épreuve présente, c’est une détermination d’autant plus forte à scruter les dilemmes qui grèvent la conscience européenne, en usant pour cela du prisme – constitutif de l’Europe elle-même et coextensif de son histoire – de la « question juive ». Dans K. cette semaine, nous poursuivons cette enquête, d’abord en Autriche et à travers les étudiants juifs de ce pays, lesquels entendent bien faire entendre leur voix et peser sur le discours public à travers les prises de position et actions militantes de leur Union autrichienne des étudiants juifs (JÖH).

Le deuxième texte de cette semaine interroge le regard européen sur la politique israélienne depuis la formation de la dernière coalition au gouvernement, à laquelle participent, comme on sait, aussi bien un parti issu du sionisme religieux qu’un parti islamiste. Il a pour point de départ une petite phrase, prononcée le 22 décembre 2021 par Mansour Abbas, député arabe d’un parti islamiste et ministre délégué au cabinet du Premier ministre israélien : « L’État d’Israël est né en tant qu’État juif. C’est la décision du peuple et la question ne porte pas sur l’identité de l’État. Il est né comme ça et il restera tel ». Noémie Issan-Benchimol et Élie Beressi l’analysent comme un moment qui fait césure dans l’histoire d’Israël et rendent intelligible pour nous le fonctionnement de la société et de la politique israélienne où se dessine une voie de collaboration entre minorités et majorité que l’idée européenne de la politique, accordant une importance absolue aux phénomènes idéologiques, semble incapable de concevoir.

Enfin, nous publions une nouvelle que Ber Kotlerman, professeur de littérature à l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv, a écrite en yiddish (elle est disponible en traduction et dans sa langue originale sur le site) et qui évoque une idée de la présence juive éphémère dans les villes européennes contemporaines, en l’occurrence à Rothenburg. Ber Kotlerman a reçu le prix Hirsh et Dvora Rosenfeld pour la littérature yiddish pour son recueil de nouvelles originales en yiddish intitulé The Secret of Polar Bears (Der sod fun vayse bern, Tel Aviv, 2017) dont est extraite la nouvelle que nous publions.

Une organisation étudiante juive, génération après génération, est devenue un acteur important du débat public national autrichien, jusqu’à faire vaciller les gouvernements. Remontant des origines de L’Union autrichienne des étudiants juifs (JÖH) à leurs derniers coups d’éclat, le texte de Liam Hoare raconte comment leur activisme se confronte à la réalité de l’histoire autrichienne et comment il défie le récit national, rappelant la mémoires des victimes des crimes nazis et les responsabilités de ceux qui les ont commis.

« L’État d’Israël est né en tant qu’État juif. C’est la décision du peuple et la question ne porte pas sur l’identité de l’État. Il est né comme ça et il restera tel ». Cette petite phrase a été prononcé le 22 décembre 2021 par Mansour Abbas, député arabe d’un parti islamiste et ministre délégué au cabinet du Premier ministre israélien. Noémie Issan-Benchimol et Elie Beressi nous en rendent le contexte et l’analyse comme un moment qui fait césure dans l’histoire de la vie politique israélienne.

« Rothenburg » est une nouvelle extraite du recueil en yiddish « The Secret of Polar Bears » (« Der sod fun vayse berne », Tel Aviv, 2017) pour lequel son auteur, Ber Kotlerman, a reçu le prix Hirsh et Dvora Rosenfeld pour la littérature yiddish. Elle peut être lue dans sa version originale en yiddish ici : ראָמאַנטישע שטר אַסע

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.