#41 / Edito

 

Pour le dernier numéro de l’année, avant le retour de textes inédits dès la première semaine de janvier, K. republie trois articles sur trois auteurs majeurs de la modernité européenne. C’est peut-être Kafka qui résume le mieux, dans une lettre intime adressée à une femme aimée, la tension que Proust et Améry, eux aussi, ressentirent en créant:  « Pourrais-tu me dire qui je suis en fait. Dans le dernier numéro de Die Neue Rundschau, on parle de La Métamorphose. On la récuse pour des raisons sensées et on dit à peu près : “L’art de K. comme conteur a quelque chose de foncièrement allemand”. En revanche, dans l’article de Max [Brod] : “Les récits de K. font partie des documents les plus juifs de notre temps”. Un cas difficile. Suis-je un écuyer de cirque monté sur deux chevaux ? Malheureusement, je n’ai rien d’un écuyer, je gis par terre. » (Correspondance avec Felice Bauer, 7 octobre 1916)

Pour tous les trois, l’appartenance juive est à la fois un fait qu’ils reconnaissent et une évidence loin d’être évidente. Quelque chose de cette expérience du juif européen moderne se réfracte dans ces trois œuvres et contribue à leur réception. Dans Les sirènes de Kafka, Bruno Karsenti interroge la signification qu’a pu prendre l’œuvre de l’auteur du Château pour la jeune génération de juifs allemands qui s’en est saisie avec ferveur dans les années 1910 et 1920.  Dans Proust, le Talmud et la Kabbale, David Haziza évoque une génération d’auteurs et de critiques qui, après la mort de Proust, le considérèrent immédiatement comme un écrivain pleinement juif. Cela, bien avant toutes les études qui firent de l’ambiguïté de Proust un cas d’école représentatif de l’ambivalence d’une partie des Juifs français vis-à-vis de leur identité au tournant du XXe siècle. Enfin, Maxime Decout revient sur Par-delà le crime et le châtiment, le recueil d’essais (parmi lesquels « De la nécessité et de l’impossibilité d’être juif »)  où Jean Améry, rescapé d’Auschwitz, témoigne de sa mélancolie en pensant à l’esprit européen qu’il a vu disparaître avec ce qu’il contenait de possibles voies pour les Juifs d’Europe.

Que signifiait l’œuvre de Kafka pour la jeune génération de juifs allemands qui s’en est saisi avec ferveur dans les années 1910 et 1920 ? Quelle expérience du juif européen moderne se réfractait pour eux dans ses écrits ?

Bien que Proust n’ait pas été élevé dans la religion juive, une bonne partie de son éducation fut culturellement et socialement juive. Mais peut-il pour autant être lu comme un écrivain juif ? Y a-t-il quelque chose du Talmud ou de la Kabbale à trouver dans À la recherche du temps perdu ?

Il y a cinquante-cinq ans, en 1966, Jean Améry faisait paraître ‘Par-delà le crime et le châtiment. Essai pour surmonter l’insurmontable’. Dans la préface à la première édition de son livre capital, il évoquait « l’obscur envoûtement qui [l’avait paralysé] » jusqu’au moment où « tout voulait soudain être dit ». Ce « tout » qui voulait être dit, il désigne d’abord une impuissance : celle de la culture et de l’esprit devant Auschwitz.

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