#39 / Edito

 

Une « guerre des langues » entre le yiddish et l’hébreu s’est déroulée en Europe de l’Est, à partir du milieu du XIXe siècle. L’enjeu était alors de savoir laquelle des deux langues serait culturellement hégémonique chez les juifs de l’Est. Mais la Shoah et la naissance d’un État pour les Juifs tranchèrent la question : le peuple yiddish disparu dans la tourmente et l’État pour les juifs fit prospérer l’hébreu moderne. Le yishouv, puis l’État d’Israël bannirent toutes les langues des migrants, y compris le yiddish, surtout le yiddish, considéré comme le jargon de l’exil. Et ce dernier périclita, presque jusqu’à l’extinction. Presque. Il subsiste encore, en marge, dans les milieux orthodoxes. Et sa flamme est entretenue à l’Université, ainsi qu’au sein du yung yiddish, cet « abri secret du yiddish » en Israël comme le désigne Danny Trom. À la fois immense bibliothèque et lieu de spectacle, ce lieu créé par Mendy Cahan anime presque clandestinement l’esprit du yiddish, sans pourtant raviver la guerre des langues.

Une autre figure qui balance elle aussi entre extinction et désir de renouveau nous est présentée cette semaine dans K. En France « l’israélite » témoignait d’une forme de l’intégration à la nation des juifs français que la politique du régime de Vichy a rendue caduque. On ne parle plus volontiers d’israélite dans la France d’aujourd’hui… sauf dans la langue d’un Zemmour, qui, pour réhabiliter le terme, réécrit totalement son histoire. À travers un hommage à Georges Wormser, récemment disparu, Milo Lévy-Bruhl nous raconte l’histoire de celui qu’il appelle « le dernier israélite ». On y lit à la fois la grandeur de l’articulation entre juif et français et son inactualité.

Retour en Israël et passage à la fiction pour le troisième texte proposé par K cette semaine. Moshe Sakal, auteur notamment du roman Yolanda (Stock), nous propose une courte nouvelle où il est question d’un écrivain (ashkénaze), d’un critique littéraire (séfarade), d’une urologue fraichement immigrée de France – et d’un petit scorpion noir…

Mendy Cahan est acteur, chanteur, et sauveteur de livres en yiddish… Il en a stocké 90 000 dans un local improbable situé dans la gare routière de Tel-Aviv. Dans ce petit morceau d’Europe de l’est niché au coeur de l’Etat d’Israël, Mendy fait vibrer la langue et la culture yiddish, marginalisées mais survivantes. Visite du Yung Yiddish et portrait de son créateur.

Le terme d’israélite est récemment revenu dans l’actualité à la suite de sa valorisation par un polémiste, désormais candidat à l’élection présidentielle française. Pourtant le modèle israélite que ce dernier prétend incarner n’a rien à voir avec la réalité de ce que fut l’israélitisme. À travers un vibrant hommage à Marcel Wormser, récemment disparu, et à son père, Georges Wormser, Milo Lévy-Bruhl restitue les coordonnées principales de l’israélitisme et revient sur les raisons de sa disparition.

D’abord, il avait entendu un boum. Comme un coup sourd, et le guidon s’était enfoncé dans ses côtes. Il avait bien eu conscience d’avoir heurté quelqu’un, un passant de sexe masculin au teint clair, un peu bouclé. Mais il ne lui était pas venu à l’idée que le quidam qu’il venait de percuter était un critique littéraire. Il lui était déjà arrivé de renverser toutes sortes de gens avec son vélo électrique sur les trottoirs de Tel-Aviv, mais il ne lui était jamais arrivé de tamponner un critique littéraire.

Avec le soutien de :

Merci au bureau de Paris de la Fondation Heinrich Böll pour leur coopération dans la conception du site de la revue.

Merci au mahJ de nous permettre d’utiliser sa photothèque, avec le voyage visuel dans l’histoire du judaïsme qu’elle rend possible.